Affaire Péchier : l'ex-anesthésiste renvoyé devant les assises pour 30 empoisonnements
Soupçonné de 30 empoisonnements de patients, dont 12 mortels, l'ancien anesthésiste de Besançon Frédéric Péchier a été renvoyé ce lundi 5 août devant les assises du Doubs.
Après plus de sept ans d'instruction, la perspective d'un procès dans un dossier "sans précédent" se dessine : les deux juges d'instruction ont signé ce lundi l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises. Un document de 369 pages qui résume les charges pesant sur Frédéric Péchier et qui a été notifié dans la journée à la défense et aux 68 parties civiles, a indiqué à l'AFP le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux.
L'ancien anesthésiste, qui n'a jamais cessé de clamer son innocence, sera ainsi jugé aux assises pour les empoisonnements de 30 patients, dont 12 mortels, lors d'opérations chirurgicales dont il est accusé. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité, a précisé le procureur de Besançon. En revanche, l'ex-anesthésiste de 52 ans ne sera pas jugé pour deux autres cas pour lesquels il a été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté, les juges ayant décidé d'un non-lieu partiel.
Ces décisions sont conformes aux réquisitions du mois de mai dernier. "On n'est pas étonnés, c'était annoncé depuis le départ. Il n'y a pas eu de juge d'instruction dans ce dossier", a déclaré Me Lee Takhedmit, représentant des avocats de Frédéric Péchier, qui a estimé que les juges se sont contentés de relayer les accusations du parquet. De son côté, Philip Cohen, avocat du syndicat des anesthésistes Snarf, partie civile dans le dossier, s'est félicité du "travail approfondi fait par le procureur".
La défense a décidé de ne pas faire appel du renvoi aux assises. Frédéric Péchier s'exprimera donc pour la première fois dans le cadre d'une audience publique. Le procureur n'a pas été en mesure de communiquer la date du procès, mais celui-ci ne pourra dans tous les cas pas se tenir avant l'an prochain.
Dossier "sans précédent"
Frédéric Péchier est soupçonné d'avoir pollué, entre le 10 octobre 2008 et le 20 janvier 2017, les poches de perfusion de patients dans deux cliniques privées de Besançon dans le but de provoquer des arrêts cardiaques et de démontrer ses talents de réanimation, mais aussi de discréditer des collègues avec lesquels il se trouvait en conflit. C'est une consœur anesthésiste exerçant dans l'une de ses cliniques qui a donné l'alerte, et qui a permis à l'enquête de démarrer.
Au départ, la justice avait été saisie pour 77 événements indésirables graves.
Ce dossier est "sans précédent" dans les annales de la justice française, "on n'est pas du tout dans un cadre d'euthanasie", a insisté Etienne Manteaux. "C'est totalement unique" car les faits reprochés ne visaient pas à "empoisonner pour abréger les souffrances de patients. Là, ce sont des personnes pour la plupart en bonne santé qui venaient subir des opérations anodines" et "dont le pronostic vital n'était pas engagé".
"L'autre dimension vertigineuse de ce dossier", c'est que les patients n'étaient pas visés en tant que tels, a ajouté le procureur de la République de Besançon. D'après le scénario de l'accusation, ce sont en effet les médecins avec lesquels Frédéric Péchier était en conflit qui étaient visés, les patients n'étant "qu'un vecteur pour (les) atteindre".
Dans la majorité des cas, les multiples expertises réalisées dans le cadre de ce dossier complexe concluent au fait qu'il existait "des suspicions fortes" – et dans quelques cas "des certitudes" – que des substances en doses parfois létales aient été administrées aux patients venus se faire opérer dans les cliniques où exerçait Frédéric Péchier. Parmi les produits retrouvés en surdosage dans les analyses pratiquées sur des patients dont certains, décédés, ont dû être exhumés : de la lidocaïne, un anesthésique local ou encore du potassium.
Sur les 1514 personnes recensées par les enquêteurs et susceptibles d'avoir eu accès aux salles d'opération entre 2008 et 2017, Frédéric Péchier est la seule "présente dans ces établissements, aux périodes où les 30 empoisonnements présumés ont été constatés", indiquait Etienne Manteaux lors des réquisitions.
"Primo intervenant quand survenait un arrêt cardiaque", il avait, selon ses collègues, "toujours la solution", "se prenait pour le meilleur" et "s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur". "Dans les empoisonnements où les patients sont décédés, il était en conflit plus marqué avec les collègues auxquels ça arrivait."
Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, Frédéric Péchier avait accusé ses anciens collègues, lors d'une de ses auditions, assurant que la majorité des événements indésirables graves résultaient "d'erreurs médicales" de leur part. L'ancien anesthésiste est aujourd'hui sans activité professionnelle.
[avec AFP]
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