Budget de la Sécu : refusant d'être "sacrifiés sur l'autel du quoi qu'il en coûte", les biologistes se rebiffent

27/10/2022 Par Aveline Marques
Politique de santé
Le nombre de cas de Covid recensés risque de diminuer fortement dans les prochains jours… Face au "coup de rabot" du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, qui leur impose 1 milliard d'euros d'économies sous forme de baisses de tarifs d'ici à 2026, les biologistes médicaux ont annoncé leur intention de ne plus transmettre les résultats des tests sur la plateforme Sidep, à compter d'aujourd'hui et "jusqu'à nouvel ordre". Alertant sur les "risques majeurs" de cette régulation autoritaire des dépenses de biologie, ils menacent d'une grève dure si le Gouvernement ne les entend pas.

  "On est les bons élèves du Covid, on est les bons élèves de la maitrise des dépenses, on est les bons élèves du dialogue… et là on est cloués au pilori", lâche Alain Le Meur, porte-parole de l'Alliance pour la biologie médicale (ABM), qui réunit les quatre syndicats de biologistes* et les réseaux de laboratoires**. Depuis la présentation du PLFSS 2023, le 26 septembre, le secteur est en "état de choc" : le Gouvernement veut imposer à la biologie des économies à hauteur de 250 millions d'euros par an jusqu'en 2026. Un "coup de rabot", sous forme de baisses de tarifs sur les actes courants, justifié par les bénéfices générés par le dépistage du Covid depuis 2020. Le chiffre d'affaires du secteur a en effet presque doublé ces deux dernières années, passant de 5.4 milliards d'euros en 2019 à 9.41 milliards en 2021. Sa rentabilité, déjà élevée avant la crise sanitaire (entre 17 et 19%), a atteint 23% en 2020, souligne par ailleurs l'exécutif.   "On nous a demandé de faire de la PCR pour tout le monde, gratuitement..." Si l'article du PLFSS prévoit que cette baisse de tarifs soit décrétée par arrêté "faute d'accord" avec la Cnam signé avant le 1er février 2023, les biologistes ne se font guère d'illusion sur l'issue de ces négociations. "On sait très bien qu'à partir du 1er février, ce n'est plus un dialogue. Il y a les armes sur la table", commente Alain Le Meur. Une procédure qui n'est pas sans rappeler la baisse tarifaire imposée aux radiologues en 2018, via le PLFSS 2017. Depuis neuf ans, pourtant, les biologistes ont joué le jeu de la maitrise des dépenses de santé, signant trois protocoles triennaux sur la période 2014-2022 avec l'Assurance maladie. Résultats : les dépenses consacrées à la profession n’ont augmenté que de 3 %, quand l’Ondam global a progressé de 27,9 % et l'inflation de 12% sur la même période. Les baisses de tarifs ont permis d'absorber la hausse des volumes, expliquent les biologistes. "Nous avons fait économiser à la Cnam 5.2 milliards d'euros en 9 ans", calcule l'ABM. Dans son rapport Charges et produits 2022, la Cnam concède quant à elle une économie de 650 millions d'euros grâce aux baisses de tarifs et à la maitrise médicalisée des dépenses. Elle demande un effort de 180 millions d'euros pour l'année 2023, hors actes Covid. Sans commune mesure donc, avec le coup de rabot réclamé par le Gouvernement, qui atteint le milliard d'euros d'ici à 2026. "Il y a un gros sentiment d'injustice", évoque Alain Le Meur. "On représente 1.8% du total des dépenses, et nous demande plus de 20% du total des économies", pointe le biologiste, qui exerce au sein du groupe Biogroup. Surtout, insiste-t-il, les biologistes n'ont fait que suivre la politique sanitaire du Gouvernement face au Covid. "On a travaillé 24h/24, on a investi, on a pris des risques en achetant des machines et des réactifs à la Chine sans savoir si l'épidémie allait durer 3 mois, 6 mois ou un an ; on a fait les tests dans les écoles, sous les barnums -et sans avoir de masques au début." Aujourd'hui, les biologistes se sentent "sacrifiés sur l'autel du quoi qu'il en coûte". Après avoir (trop?) largement financé le dépistage du Covid, l'Etat leur demande désormais de payer en partie la facture. "Tout a été imposé par l'Etat, nous on a suivi, souligne le biologiste. Il n'y avait pas d'ordonnances, c'était remboursé à 100%, même aux étrangers. Il n'y avait pas de priorisation, alors qu'on l'a demandée très tôt pour les personnes fragiles, pour les personnes symptomatiques." "On est indignés par la politique du Gouvernement, qui n'assume absolument pas ses choix", renchérit le Dr Michel Pax, président du réseau Les biologistes indépendants, qui fait front commun avec l'ABM. "On nous a demandé de faire de la PCR pour tout le monde, gratuitement. Les PCR de confort, pour aller au cinéma, au théâtre, en voyage… tout ça, ça a été payé par les impôts des Français. On a alerté le Gouvernement sur le coût de cette politique. De même, on nous a demandé de cribler toutes les PCR positives alors qu'aucun pays dans le monde ne le faisait", pointe le médecin, à la tête du groupe OuiLab, qui regroupe des sites implantés dans l'Est de la France. Anticipant le retour de bâton, les biologistes ont accepté de bonne grâce les baisses de tarifs successives des PCR, réclamant même une 4e baisse dès l'été 2021. Elle n'interviendra qu'en février 2022. De 54 euros au début de la crise, le tarif du PCR est ainsi descendu à 26 euros. Prêts à "prendre leurs responsabilités" dans la maitrise des dépenses du Covid, les biologistes se disent aujourd'hui ouverts à une "contribution exceptionnelle", à hauteur de 250 millions euros… mais sur 2023 uniquement. Et pas question de "sabrer dans notre enveloppe de routine au motif de notre activité Covid, qui est exceptionnelle par nature", lance l'ABM.   "Double peine" pour les indépendants Car cette cure d'austérité générale et durable mènerait "à une dégradation des prises en charge, de nos investissements dans l’innovation, à des suppressions d’emplois et au délitement du maillage territorial qui garantit un accès aux soins à tous", préviennent les biologistes. Maillage que le secteur a réussi à maintenir, et même à étoffer, malgré la réforme de 2010 qui a instauré une accréditation et permis le regroupement des labos, conduisant à un fort mouvement de concentration du secteur - les six plus grands groupes détiennent 62% des 4160 sites. "Là, clairement, on ne va pas on ne va pas survivre à un coup de rabot aussi fort et aussi long", alerte Alain Le Meur. Les sites dont l'activité est la plus faible, moins rentables donc, sont particulièrement menacés, confirme Michel Pax. "C'est la double peine pour les indépendants, souligne-t-il. On a fait moins de résultats Covid car on est implantés dans des territoires plus ruraux, où la population a fait moins de PCR de confort pour des sorties culturelles ou autres, et nous sommes des structures plus petites avec moins de moyens." Petits ou gros, les labos subissent déjà de plein fouet l'inflation : "Le plastique a augmenté de 10%, les réactifs de 8-10%, la ouate de 30% et on est confrontés aux demandes d'augmentation de salaires des personnels", relève Michel Pax. Redoutant les conséquences délétères de ces baisses de tarifs sur le maillage territorial, les députés de la commission des Affaires sociales pensent avoir trouvé la parade Ils ont adopté un amendement stipulant que le futur accord conventionnel doit comporter "un engagement des directeurs de laboratoires privés d’analyse médicale à maintenir leurs différents sites sur le territoire de façon à garantir un bon niveau d’accessibilité aux examens de biologie médicale pour tous". "C'est clairement anti-constitutionnel, c'est une entrave à la liberté d'installation et à la libre concurrence", commente Alain Le Meur. Autres conséquences des baisses tarifaires : "On ne pourra plus assurer une permanence des soins 24h/24 comme on le fait sur certains sites et on ne pourra plus investir", pointe le biologiste, citant le développement des analyses nécessaires aux thérapies ciblées contre le cancer, le dépistage des IST, du cancer du col de l'utérus… "On ne pourra pas assurer des missions supplémentaires de prévention si nos crédits diminuent", lance Michel Pax. Et de déplorer : "On demande à la médecine de ville de désengorger l'hôpital mais sans lui donner les moyens".   Vers une fermeture des sites le 7 novembre? Unis comme jamais, les biologistes ont fait "la tournée des cabinets ministériels" ces dernières semaines, sans parvenir à infléchir la politique du Gouvernement. Tout en plaidant leur cause auprès de divers parlementaires afin qu'ils déposent des amendements au PLFSS, ils se sont donc accordés sur une politique de ripostes graduées : le 20 octobre, ils ont suspendu leur participation au Ségur du numérique – une action loin d'être anodine puisque les actes de biologie représentent 40 à 50% des données versées aux dossiers médicaux. A compter de ce jeudi 27 octobre et "jusqu'à nouvel ordre", ils vont interrompre l'alimentation de la plateforme Sidep, entravant le suivi épidémiologique du Covid. La mesure n'aura aucune conséquence pour les patients puisque les tests PCR seront toujours réalisés et les résultats rendus à ces derniers, rassure l'ABM. En revanche, elle aura un coût financier certain pour les labos, car la transmission Sidep conditionne le remboursement de l'acte par l'Assurance maladie. Sur une semaine, l'ABM estime le manque à gagner à 14 millions d'euros. "On le prend sur nous, pour dénoncer l'hypocrisie de cette mesure", lance Alain Le Meur. Et si malgré tout, le "coup de rabot" venait à être confirmé, les biologistes se préparent à la grève, avec une fermeture pure et simple des sites de prélèvements aux alentours du 7 novembre. *Biomed, SDB, SLBC, SNMB **Biogroup, Cerba Healthcare, Eurofins, Inovie, LBI, Synlab, Unilabs.  

L'incertitude du 49.3
L'examen de la partie dépenses du PLFSS a repris mardi 25 octobre au soir et s'est poursuivi tard dans la soirée mercredi 26 octobre, jusqu'à ce que la Première ministre déclenche à nouveau la procédure du 49.3. Ce jeudi matin, la version "modifiée" du texte sur laquelle le Gouvernement engage sa responsabilité n'a pas encore été diffusée. A suivre sur Egora.

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