Clone digital, robots et IA : reportage au cœur de la chirurgie du futur [PHOTOS]
"Un jour, en 1991, j’ai eu la chance de ma vie." Dans le nouvel amphithéâtre flambant neuf de l’Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif, dans l’enceinte des hôpitaux de Strasbourg, le Pr Jacques Marescaux, costume ajusté à la perfection, se souvient de ce moment où lui est venue l’idée de sortir de terre l’un des plus influents centres de recherche en chirurgie mini-invasive et chirurgie augmentée du monde. Alors "simple chirurgien universitaire", chef du service de chirurgie digestive et endocrinienne des hôpitaux universitaires de la capitale alsacienne, Jacques Marescaux assiste à une conférence à Cologne donnée par un chirurgien de l’armée américaine, le Dr Rick Satava. "C’est la conférence choc." S’il ne comprend que "20%" de ce que le Dr Satava raconte – cela dépassait "les notions chirurgicales classiques" – , le professeur prend toute la mesure des grandes mutations chirurgicales qui se profilent. Surtout, il découvre avec la plus grande curiosité "la puissance d’Internet", alors que la technologie en est tout juste à ses balbutiements en Europe. Mais aussi la puissance de la robotique. Est évoquée au cours de cette conférence l’intérêt du développement d’un clone digital du malade grâce à l’intelligence artificielle. La conférence terminée, le Pr Marescaux s’empresse de faire part de ce qu’il a entendu à ses "collaborateurs". Ensemble, ces chirurgiens alsaciens ont alors l’idée de créer une unité Inserm dans le CHU dans le domaine de l’informatique et de la chirurgie. Mais l’enthousiasme qui les habitait ne prend pas auprès des décideurs. "La computer science, tellement puissante en Asie, n’était pas considérée comme une science en France, raconte le Pr Marescaux. En France, la recherche, c’était de la biologie moléculaire. Le reste n’était que gadget." Loin de se laisser abattre, Jacques Marescaux et ses confrères décident de monter leur propre institut. L’Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif naîtra en 1994, grâce à l’appui financier de Leon Hirsch, le fondateur d’une importante société américaine de production d’instruments chirurgicaux.
Grand chirurgien, petite incision Dès sa création, l’Ircad affiche sa volonté d’être à l’avant-garde de la chirurgie augmentée. "Une stratégie qui n’a pas changé" vingt-sept ans après son inauguration, assure le Pr Marescaux. Porté par les convictions solides de son directeur, l’Ircad adopte alors complètement ce que les Américains appelleront "la deuxième...
Révolution française" : la technique de la chirurgie mini-invasive. Alors que le dicton "grand chirurgien, grande incision" est encore d’actualité dans les années 90, l’Ircad suit les traces du Dr Philippe Mouret, inventeur de la cœlioscopie en 1987. La règle est dorénavant la suivante : privilégier les petites incisions, de quelques millimètres. Les objectifs de l’Institut sont clairs et répondent aux rêves de tout chirurgien de l’époque : permettre à ces professionnels de voir en transparence – à travers l’opacité de l’organe (grâce au clone digital du patient fabriqué à partir d’images médicales), augmenter le pouvoir de leurs mains (via les robots), améliorer leurs stratégies afin de garantir les meilleures chances pour les patients qui doivent être opérés (grâce à la simulation d’une opération). "Grâce au clone digital on peut détecter les artères qui vont nourrir une tumeur", explique le chirurgien. Pour maîtriser la technologie de A à Z, l’Ircad a mis sur pied sa propre start-up, Visible Patient, de reconstruction en 3 dimensions. A partir d’une image médicale (scanner ou IRM), Visible Patient est capable de développer le clone d’un organe : une aide précieuse pour le chirurgien lors de l’opération qui peut ainsi superposer cette image à ce qu’il voit. "Avant, on mettait 4 à 5 heures pour reconstruire une image en semi-automatique par l’ordinateur, et contrôlée par un cerveau humain. Depuis la première vague du Covid, on est passé à 9 minutes en automatique. La machine a appris. Dans quelques années, ça va pouvoir être fait en temps réel", se réjouit le Pr Marescaux. L’opération Lindbergh, entre deux continents C’est notamment grâce aux travaux sur la robotique que l’Ircad montrait aux yeux du monde entier l’excellence française il y a 20 ans : le 7 septembre 2001, le Pr Marescaux et son équipe réalisent une prouesse médicale et technologique avec la première intervention de télé-chirurgie à 7 000 kilomètres de distance. C’est l’opération Lindbergh – en référence à l’aviateur qui avait réalisé la première traversée transatlantique. Depuis la filiale de France Télécom à New York, Jacques Marescaux réalise une cholécystectomie sur une patiente hospitalisée à Strasbourg grâce au robot Zeus. "Une prouesse de technique de communication, avec 80 ingénieurs sur le pont", se souvient-il, précisant que l’opération – menée avec succès en 45 minutes - a pu voir...
le jour grâce à deux ingénieurs de France Télécom qui sont parvenus à réduire le temps de latence – trop élevé avec un satellite, à moins de 200 milli-secondes en utilisant une liaison ATM spéciale par fibre optique.
Vingt ans après, la fierté se lit toujours sur le visage du Pr Jacques Marescaux, dont l’intérêt pour la modernisation des pratiques chirurgicales n’a pas faibli. "Je suis persuadé que dans les 10-15 ans qui viennent, toutes les opérations seront robotisées", estime-t-il, avec un seul objectif en tête : répondre à ce défi de taille. Des milliers de chirurgiens et internes formés Aujourd’hui, l’Ircad possède pour "45 millions d’euros de robots". Des machines que les hôpitaux et universités ne peuvent s’offrir. Constituant ainsi un centre de ressource inégalable, l’Ircad Strasbourg, qui propose des formations pour les professionnels, attire chaque année plus de 6.000 médecins et étudiants – sauf lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19. Il s’agit du "plus gros centre de formation qui existe" actuellement, vante le Pr Marescaux, selon qui "il ne peut pas y avoir de diffusion d’une technique développée dans la recherche s’il n’y a pas de centre de formation".
Pour cela, l’Institut dispose d’un bloc opératoire dernier cri disposant d’une vingtaine de tables. Un matériel "phénoménal", souligne le président. Chaque table d’opération dispose d’une infirmière de bloc et de deux chirurgiens. Un chirurgien "confirmé", expert dans ces technologies, circule entre trois tables. Et trois techniciens sont également présents pour expliquer aux "élèves" comment fonctionne le matériel : les entraînements portent sur des techniques de chirurgie laparoscopique, endoscopique, chirurgie percutanée. Enfin, les chirurgiens-élèves peuvent manipuler les robots dans des salles d’entraînement à l’allure futuriste.
Tous les robots dont dispose l’Ircad ont pour ambition de supprimer les tremblements des chirurgiens, faciliter les déplacements (à l’aide de bras robotisés), permettre une meilleure vision, avec, entre autres, des lunettes 3D qui permettent au chirurgien d’avoir une vue d’ensemble, de voir des organes dans leur globalité, etc. Des formations sont également proposées en ligne, via un site dédié "Websurg" sur lequel les chirurgiens peuvent télécharger et visionner des vidéos d’opérations, disponibles en plusieurs langues, mais aussi poster des contributions, s’ils disposent du matériel adéquat. Des live sont également organisés. Ces derniers ont été inévitablement boostés par l’épidémie de Covid-19. 63 live ont déjà été proposés en 2021. A ce jour, le site de formation regroupe plus de 420.000 membres. Rayonnement à travers le monde Si "l’aventure" Ircad a commencé il y a près de 30 ans en France, elle se poursuit aujourd’hui aux quatre coins de la planète, même si, assure le Pr Marescaux, cela n’avait pas été envisagé comme cela au départ : la notoriété de l’Ircad a commencé à attirer les scientifiques et professionnels de santé du monde entier. C’est ainsi qu’en 2008 a été inauguré le premier institut jumeau à Taïwan, sur la volonté de directeurs d’hôpitaux taïwanais. Deux Ircad ont ensuite vu le jour au Brésil, à Barretos et à Rio de Janeiro, puis au Liban, en 2019. D’autres projets sont en cours...
pour créer des instituts jumeaux en Chine, en Inde, et aux Etats-Unis. Un premier centre sur le continent africain verra le jour dans quelques mois au Rwanda, sur la volonté de son président, Paul Kagamé, séduit par le concept et les recherches de l’équipe du Pr Marescaux. "Nous avons le contrôle scientifique complet" sur ces instituts, précise le fondateur de l’Ircad Strasbourg. "L’objectif est de garder le même niveau que ce qui a fait la renommée de l’Ircad." Pour cela, le fondateur s’entoure des meilleurs data scientist, développeurs, chirurgiens et techniciens. "Démocratiser l’usage de l’échographie" A Kigali, où l’équipe est déjà en place dans l’attente de pouvoir intégrer le centre qui s’apprête à ouvrir, les chercheurs travaillent sur un tout nouveau projet – le projet Disrumpere – avec leurs homologues français dont l’objectif est de démocratiser le diagnostic automatique et l’usage de l’échographie grâce à l’intelligence artificielle En effet, déplore le Pr Marescaux, "5 milliards de personnes dans le monde n'ont pas accès à une image médicale". Un problème qui concerne particulièrement le Rwanda où il y a seulement "7 radiologues pour 12 millions d’habitants". L’équipe de 25 ingénieurs et 15 cliniciens met donc au point un appareil d’échographie, plus facilement transportable et moins coûteux (aux alentours de 500 euros) que les scanners. L’outil est pensé pour avoir de nombreuses applications : poser un diagnostic, détecter de très petites tumeurs, ou encore suivre l’évolution d’une lésion hépatique par exemple. L’autre objectif est de démocratiser la chirurgie percutanée augmentée. Pour cela, l’IA analyse une centaine d’images obtenues lors de l’échographie afin de faire une modélisation 3D, explique Alexandre Hostettler, data scientist, directeur du développement et de la recherche à l'Ircad. Si elle détecte une tumeur, la machine calculera ensuite sa position exacte, ainsi que la trajectoire la plus efficace pour faire passer une aiguille à l’aide d’un bras robotisé. Un avantage considérable pour le chirurgien qui n’aura plus qu’à se laisser guider.
"C’est l’outil rêvé, l’œil qui prolonge la main. On peut l’emmener directement auprès du malade. Cela peut servir en Afrique, notamment pour faire baisser la mortalité materno-fœtale, mais aussi en France dans les déserts médicaux, pour les personnes âgées en maison de retraite", soutient Benoît Sauer, radiologue qui fait partie de l’équipe qui travaille sur le projet.
Si ces technologies restent aujourd’hui dans les murs de l’Institut, son président en est convaincu : l’intelligence artificielle et la robotique passeront la porte des cabinets médicaux dans les prochaines années. La sonde échographique low-cost est "le stéthoscope du XXIème siècle", assure en effet le Pr Jacques Marescaux. Au lieu de palper son patient, le médecin généraliste pourra "passer un coup de sonde" et poser le diagnostic. Dans les déserts médicaux, qui ne cessent de s’accroître, ces outils permettront de favoriser "le télédiagnostic". Crédit de la photo de Une : Ircad
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