Covid-19 : "Pour les enfants en situation de handicap, il va y avoir de la casse"

08/04/2020 Par Laure Martin
Santé publique
Les personnes en situation de handicap sont-elles les grandes oubliées de la gestion de la crise sanitaire actuelle ? Si Sophie Cluzel, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, affirmait le contraire lors d’une conférence de presse samedi 4 avril, sur le terrain, les témoignages sont sans appel.  

« D’après ce que je vis sur le terrain, je considère qu’il y a une réelle mise en danger de la vie d’autrui », soutient Olivia*, assistante sociale dans un institut médico-éducatif (IME) de 94 enfants et dans un établissement et service d’aide par le travail (Esat) au sein d’une structure associative nationale. « Il va y avoir de la casse », insiste-t-elle, souhaitant dénoncer un drame sanitaire, qui semble se dérouler dans une relative indifférence… En amont du confinement, aucun matériel (masques, gel ou gants) n’a été livré aux structures de l’association pour protéger à la fois le personnel médico-social et les enfants accompagnés. « Nous ne sommes pas protégés, le Gouvernement ne nous a pas doté d’un quelconque équipement, affirme Olivia. Aujourd’hui, de nombreux professionnels sont malades, donc en arrêt. Et nous faisons face à un manque de personnels pour prendre en charge les personnes en situation de handicap résidant dans des foyers. » Seule solution : réquisitionner des personnels médico-sociaux pour intervenir en urgence, « ce qui paraît normal car la continuité des soins doit être assurée… En revanche, nous ne sommes pas formés à la prise en charge médicale », rappelle-t-elle. Lors d’une conférence de presse le 4 avril dernier, Olivier Véran, ministre de la Santé, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, ont annoncé un renforcement des mesures de prévention au sein des établissements accompagnant des personnes en situation de handicap. Qu’en est-il de sa mise en œuvre sur le terrain ?

  Une mise en danger des enfants Outre la protection matérielle, le retour au domicile des enfants en situation de handicap n’a pas été pensé ni anticipé, estiment les associations de terrain. « Lorsque le confinement a été annoncé, nous n’avons pas eu d’autres choix que de rapatrier à leur domicile tous les enfants pris en charge au sein de l’IME, fait savoir Olivia. Certains enfants de l’institut...

bénéficient d’une action éducative en milieu ouvert (AEMO), c'est-à-dire d’une mesure de protection judiciaire vis-à-vis de leur famille qui peut être maltraitante à leur égard. Mais en raison du confinement, nous avons été obligés de les renvoyer chez eux. » Une situation pourtant démentie par Sophie Cluzel qui a affirmé, lors de la conférence du 4 avril, que « seuls les enfants ayant bénéficié d’une mesure d’assistance éducative sont retournés chez eux, les autres enfants demeurant à l’IME ». « Selon moi, il y a un amalgame entre les enfants bénéficiant de mesures de placement judiciaire en maison d’enfants à caractère social (MECS), qui demeurent dans leur structure, et ceux bénéficiant d’une AEMO, qui ont bien été renvoyés chez eux tout comme les enfants scolarisés en milieu ordinaire », soutient Olivia, qui nous fait également part de ses craintes pour les enfants atteints de troubles du spectre autistique : « Ces derniers requièrent une prise en charge pointue. Or il n’y a plus du tout de soin extérieur avec les kinésithérapeutes, les orthophonistes ou encore les psychomotriciens. Nous allons les retrouver régressés. Et c’est sans compter sur les parents qui arrêtent de les médiquer car ils craignent qu’ils soient contaminés par le Covid-19 et que leur traitement génère des effets secondaires. »

  Des visites à domicile Car en plus des situations de violence auxquels ces enfants peuvent être confrontés, l’assistante sociale craint la décompensation des enfants. Pour pallier au mieux toutes ces situations, « nous organisons des visites à domicile, pour les cas urgents, souligne Olivia. Par exemple, une maman d’un enfant atteint d’autisme ne répond plus au téléphone depuis deux jours. Nous réfléchissons collectivement à comment agir, d’autant plus que les services de protection de l’enfance n’interviennent plus également, car ils sont, pour beaucoup, en télétravail. » Les travailleurs sociaux ont aussi recours à la téléconsultation, une solution somme toute limitée pour le type de prise en charge que requièrent les enfants. Pour l’heure, Olivier Véran et Sophie Cluzel ont annoncé le renforcement de la continuité de l’accompagnement médico-social pendant toute la durée de l’épidémie, et la nécessité d’apporter la plus grande vigilance à l’identification des besoins de répit des aidants exposés à un risque d’épuisement physique et psychique, ainsi qu’aux besoins de soutien des personnes isolées. Le président de la République a annoncé...

pour sa part, un allégement des mesures de confinement pour les personnes atteintes de trouble du spectre autistique. « C’est un geste intelligent, mais il y a déjà des dégâts, regrette Olivia. Et pour le moment, nous nous sentons abandonnés. »   Une situation à anticiper Pour l’assistante sociale, il aurait fallu anticiper. « Lorsque le premières annonces ont été faites, le virus circulait déjà sur le territoire, et pourtant, nous n’avons eu qu’une journée pour nous organiser face au confinement », regrette-t-elle. Or, faire appliquer les gestes barrières à des enfants atteints de trouble du spectre autistique ou de trisomie s’avère très difficile. « Nous avons des méthodes ‘Facile à lire et à comprendre’ (FALC) que nous avons réalisées dans l’urgence, mais nous avons pu les mettre en œuvre trop tard pour être pleinement efficaces », explique Olivia.

Il aurait aussi fallu, estime-t-elle, anticiper les situations à risque de maltraitance avec la mise en place, par exemple, d’un numéro unique dédié au confinement avec des travailleurs sociaux qui se relaient pour répondre aux parents des enfants habituellement en IME. « Pour le moment, nous assurons cette mission, mais comment accompagner à distance une maman qui dit à son enfant qu’elle va se jeter par la fenêtre car elle est à bout, s’alarme-t-elle. Nous sommes en première ligne alors que nous ne sommes pas la protection de l’enfance. » « L’après-crise nous terrorise également. Nous allons avoir un retard colossal dans le traitement des dossiers vis-à-vis des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), l’orientation des jeunes de l’IME dans le parcours adultes. Et nous avons vraiment peur de l’état dans lequel nous allons retrouver les enfants ainsi que leur famille », craint Olivia.   *Le prénom a été modifié

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