Le député Garot repart à l'assaut de la liberté d'installation des médecins : "La régulation est un levier qui n'a jamais été actionné"
Guillaume Garot, député de la Mayenne, travaille actuellement à une deuxième version de sa proposition de loi transpartisane, instaurant, entre autres, la régulation à l'installation des médecins. Il défend pour Egora cette PPL qui devrait être déposée avant l'été.
Vous travaillez sur une proposition de loi, deuxième version de votre texte transpartisan sur la démographie médicale. Que va contenir cette PPL ?
Nous y travaillons pour les semaines qui viennent avec le groupe transpartisan que j'anime à l'Assemblée. Nous avions déposé une première proposition de loi il y a un peu plus d'un an. Nous sommes désormais sur la deuxième version.
En quoi cette nouvelle version sera-t-elle différente ?
Ce qu'il y a de commun, c'est toujours la régulation de l'installation des généralistes et des spécialistes. Cela me semble très important, sur la base de ce qui a d'ailleurs été engagé par l'Assurance maladie avec les dentistes. Il y a une décision conventionnelle qui a été prise pour réguler l'installation des dentistes dans le pays à travers une logique d'autorisation dans les zones "sur-denses". Cela a été validé au terme d'une négociation avec les représentants des syndicats de chirurgiens-dentistes. Nous disons donc qu'il faut faire la même chose avec les médecins, généralistes et spécialistes.
Cette proposition est pour vous immuable…
Oui, parce que cela nous semble être l'un des leviers qui n'a jamais été actionné. Or, pour nous, c'est un des leviers d'efficacité. Cela ne règle pas tout, ça n'est pas l'unique réponse bien sûr, mais pourquoi exclure cette solution pour les médecins alors qu'elle est mise en œuvre pour les autres professions de santé. C'est une question logique, de cohérence.
Quelles seront les autres mesures que va contenir cette proposition de loi ?
Les autres sujets que nous mettrons dans le débat public sont la question de la formation, le nombre de maîtres de stage, la territorialisation de l'offre de formation pour la première année d'études. Nous abordons également la question de la prévention. Qu'est-ce que peut être, en France, une politique de prévention ? Nous aurons une position assez volontariste sur ce sujet. Il y aura aussi un volet sur la financiarisation de l'offre de soins. C'est une logique que nous voyons à l'œuvre aujourd'hui, qui touche les laboratoires ou les pharmacies et qui mérite sans doute des règles pour éviter que cela n'accélère la désertification. Cette logique financière est délétère sur la répartition harmonieuse de nos soins dans le pays. Il faut un encadrement. Enfin, nous aurons un mot sur la télémédecine. Nous avons un peu plus de recul donc nous verrons ce qu'il faut pousser comme logique et ce qu'il faut par ailleurs encadrer ou dissuader si cela n'obéit pas à une mission d'efficacité et de qualité du soin.
Quand cette PPL sera-t-elle déposée ?
Je n'ai pas de date à donner, mais plutôt un horizon. Nous souhaiterions avant l'été. Nous prenons le temps et nous procédons à des auditions.
Combien de propositions de loi avez-vous déjà déposé au sujet de la régulation des médecins à l'installation ?
J'en ai déposé trois avant.
À chaque fois, elles sont retoquées. Ne faudrait-il pas en tirer des leçons ? Pour vous, il s'agit de LA solution…
Je ne dis pas que c'est la solution. Je pense que c'est une solution nécessaire, mais sans doute pas suffisante. Il ne faut pas l'exclure. Je constate qu'année après année, les mentalités évoluent, les consciences avancent. Cette solution est de moins en moins rejetée. Elle est de plus en plus attendue, pas simplement par des députés, mais aussi par de très nombreux élus locaux, par des professionnels de santé sur le terrain qui nous disent qu'ils n'en peuvent plus. Donc il faut qu'on trouve des pistes. Il y a une charge qui est tellement lourde quand vous êtes un médecin et que vous exercez en zone sous-dense. La pression est terrible... Dans ces cas-là, vous attendez que l'on puisse regarder les choses autrement. Les associations d'usagers soutiennent cette régulation de l'installation avec beaucoup de force. On va devoir, face à l'ampleur du problème qui est devant nous, réagir.
Tout ce qui est fait aujourd’hui pour former davantage de médecins ou libérer du temps médical, c'est très bien. Tout cela est évidement utile. Mais je considère que ça n'est pas suffisant, et c'est ce que nous disons avec ce groupe transpartisan. Nous ne sommes pas marqués politiquement. C'est simplement une analyse lucide de la situation et une volonté de trouver de nouvelles perspectives. L'objectif est de rassurer des citoyens qui sont parfois en grande détresse. Quand vous n'avez pas de médecin et que vous prenez de l'âge, vous devez filer aux urgences quand il y a un petit accident de la vie. Dans ce cas-là, tout le monde est perdant. Il faut impérativement trouver des solutions.
Cette liberté d'installation est érigée en totem absolu
Pourquoi, selon vous, toutes vos propositions de loi instaurant la régulation à l'installation n'aboutissent pas ?
Elles n'ont pas encore abouti. Je ne l'explique pas. Il y a, sans doute, de très bons relais à l'Assemblée nationale de ceux qui professent leur refus total de toute régulation. C'est la première chose, et c'est une évidence.
Il y aussi cette liberté d'installation qui est érigée en totem absolu sans aménagement possible qui est un élément de blocage. Il faudra évoluer et avancer tous ensemble. C'est impératif.
Chaque année, un nombre très important de médecins diplômés disparaissent des radars et ne s'inscrivent pas au tableau de l'Ordre. Le corps médical craint qu'une contrainte à l'installation n'amplifie ce phénomène et que les médecins ne s'installent pas. Comment répondre à ce principal argument contre la coercition ?
Ce qui est sûr, c'est que les formes d'exercice ont changé. Des jeunes veulent s'engager dans le salariat. Le rapport au travail a changé. Il faut accompagner tout cela. Ca n'est pas parce qu'on accompagne sur une nouvelle forme d'exercice qu'on dissuade d'exercer une forme plus classique comme l'exercice libéral. C'est le système français. Il faut agir sur l'ensemble des touches.
La vocation pour être médecin existe. Elle n'a pas disparu. Il y a toujours autant de jeunes qui se présentent, malgré les difficultés et la rudesse des études de médecine.
D'après vous il n'y aura donc pas cette répercussion de la baisse d'installation des médecins. Cela relève du mythe ?
Je ne dis pas que c'est un mythe mais je dis que ça n'est pas au nom de ça qu'il ne faut rien faire. Il y a une réalité aujourd'hui qu'il faut affronter. La réalité c'est la désertification médicale et les patients sans médecins. Qu'est ce qu'on dit à ces personnes qui sont en détresse ? "Non on ne peut pas parce que certain ne veulent rien changer". Ça n'est pas entendable.
Vous constatez qu'il y a plus de médecins sur les zones côtières ou ensoleillées. Les médecins ont-ils, selon vous, une part de responsabilité dans la désertification médicale ?
Oui, effectivement et ça n'est pas moi qui le dis, mais l'Atlas de la démographie médicale de l'Ordre. Selon les règles actuelles, les médecins peuvent s'installer là où ils le souhaitent, ce qu'ils font et c'est normal.
Mais les chiffres de la profession elle-même nous disent que depuis 10 ans, les écarts et les inégalités se sont aggravés entre les territoires. Il y a plus d'installations dans les territoires qui étaient déjà les mieux dotés et il y en a moins dans ceux qui étaient déjà les plus mal lotis. Il suffit de regarder la différence entre les Hautes-Alpes et la Creuse.
Vous aviez également déposé des amendements à la PPL Valletoux. Vous proposiez notamment de rétablir l'obligation de garde alors que 95% du territoire est déjà couvert sur la base du volontariat. Les médecins ont le sentiment que vous vous acharnez…
Ah non, au contraire. Absolument pas. Mais les médecins qui assurent la permanence des soins nous demandent aujourd'hui que les choses puissent être faites par tous. Le territoire est couvert, mais certain disent : "C'est toujours les mêmes qui s'y collent".
Tous les médecins n'ont pas les mêmes conditions de vie. Et la problématique est là même également pour l'installation. La longueur des études médicale fait que les médecins qui s'installent viennent de fonder une famille, ont souvent des jeunes enfants. On ne se s'installe pas dans la Creuse si simplement. Je suis absolument d'accord, mais on pourrait dire cela de n'importe quelle profession. On pourrait dire cela des enseignants, des gendarmes, des magistrats… Et heureusement qu'on a ces professionnels partout en France.
Notre santé dépend de plus en plus de notre code postal
Les médecins, eux, sont protégés par leur corporatisme ?
Ce qui me guide, c'est l'intérêt général, et que l'on puisse garantir l'accès aux soins à chaque Français. Je remarque aujourd'hui que la République a failli de ce point de vue-là. Malheureusement, notre santé dépend de plus en plus de notre code postal. C'est un grave problème parce que cela nourrit un sentiment d'abandon avec des conséquences politiques.
Vous dites que ce n'est pas forcément une bonne idée que les solutions à la crise de la démographie médicale viennent des territoires. Pourquoi ?
La petite musique qui consiste à dire que les solutions viendront des territoires peut avoir des conséquences délétères parce que cela aiguise la concurrence voire la surenchère entre les territoires. Cela leur fait porter la responsabilité de l'existence ou non d'une offre de soins suffisante. S'il n'y a pas de médecin, c'est de la faute du président de la communauté de communes qui n'aurait pas fait ce qu'il fallait. Comme si le territoire avait toutes les cartes en main... C'est faux.
C'est le contrat entre la Nation et ses médecins qu'il nous faut refonder
Si vous deviez en quelques mots convaincre pour que votre PPL soit votée, que diriez-vous ?
Le pays a besoin que l'on trouve des solutions. Nous avons un intérêt partagé à le faire. C'est le contrat entre la Nation et ses médecins qu'il nous faut refonder. Que dire également des internes qui tiennent à bout de bras notre hôpital et qui sont payés fort modestement. Cela fait aussi partie du contrat à revoir. Est-ce que l'on peut presser le citron et les épuiser comme ça ? Ils ont une charge mentale lourde. Est-ce qu'on peut leur demander autant ? Inversement, est-ce que l'on ne peut pas regarder comment mieux répartir nos forces médicales à l'échelle du territoire ?
Et si vous deviez vous adressez aux médecins eux-mêmes, que diriez-vous ?
Travaillons ensemble. Dialoguons. Trouvons des solutions ensemble. Mais n'en refusons aucune.
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