Un an après l’instauration du couvre-feu à Wuhan, quelle est la situation sanitaire dans la capitale du Hubei ? La ville s’est-elle débarrassée du Sars-CoV-2 ? Lorsque j’ai lancé l’alerte aux Français fin mars 2020, quand ça commençait à flamber en Italie puis en France, nous en Chine on avait fait, entre guillemets, le tour du problème, c’est-à-dire du virus qui était apparu dans la ville de Wuhan. Comme toute épidémie répond à des lois statistiques totalement froides, après trois mois de lutte à Wuhan, on a tiré les conclusions. Les Chinois avaient appliqué un plan de bataille pour, non pas freiner, mais bien maîtriser l’épidémie de façon à pouvoir reprendre une vie économique le plus rapidement possible. Mais aussi pour limiter le phénomène dans le temps afin de réduire au maximum le choc sanitaire et les conséquences en termes de décès et de morbidité. Ce plan de bataille commence à la mi-février [le confinement à Wuhan est décrété le 23 janvier 2020, mais les autorités durcissent ce confinement le 17 février. Les sorties sont alors interdites, NDLR]. Là on met en place un confinement strict, on arrête tout à Wuhan et dans le Hubei, c’est-à-dire pour 60 millions de personnes. C’était un signal extrêmement fort, ça n’avait jamais été fait dans l’histoire de l’humanité. Les Chinois ont adhéré à cela. En même temps que l’arrêt du brassage de la population, le plan de bataille appliqué était de sortir les cas positifs et les cas contacts et de soigner les 15% de formes sévères.
Depuis le 8 avril, qui est la date du déconfinement de Wuhan, dernière ville du Hubei à avoir été déconfinée, l’épidémie a été maîtrisée et arrêtée. Dans les établissements de santé, la situation est-elle revenue à la normale à ce moment-là ? A partir d’avril, tous les hôpitaux qui avaient été mobilisés pour la lutte contre le coronavirus ont été désinfectés et ont repris une activité médicale normale. Ça a été le cas dans mon établissement, et j’ai repris mon activité habituelle de chef de clinique.
Ce qui a changé, c’est que la population des expatriés a quand même diminué avec cette catastrophe. C’est une ville extrêmement dynamique qui va rebondir, mais ça va prendre du temps, d’autant plus qu’on n’est pas encore sortis de la pandémie. Il y a toujours bien sûr des cliniques de la fièvre en Chine, notamment à Wuhan, où les personnes fébriles vont encore suivre un protocole particulier. Comment a été vécu le déconfinement dans le berceau de l’épidémie ? La peur d’une résurgence est-elle toujours présente ? Le 9 avril 2020, les Chinois ne sont pas dans la rue à crier victoire. Ils ont eu tellement peur qu’il a fallu que les autorités fassent un testing de masse dans les deux dernières semaines du mois de mai (11 millions de personnes testées, soit la population à Wuhan) pour montrer qu’il n’y avait plus de virus, puisqu’ils n’ont détectés que 600 cas environ -essentiellement des asymptomatiques-, c’est-à-dire qu’on était largement en dessous du seuil épidémique. Depuis, la vie est tout à fait normale à Wuhan, dans le Hubei et en Chine : on travaille normalement, on se déplace, on va au cinéma, dans les restaurants... Bien sûr, il y a des hauts et des bas car la Chine demeure très concentrée pour éviter que le virus ne revienne depuis l'extérieur. C’est là qu’interviennent tous ces outils : l’intelligence artificielle et le testing de masse, avec également le maintien des mesures de distanciation sociale. Même si ce n’est plus obligatoire de porter le masque en Chine, les Chinois, et notamment les Wuhanais, continuent à le faire parce qu’ils ont eu très peur. Quand on a, comme ces derniers temps, des nouveaux cas qui apparaissent, on sent que tous ces moyens se renforcent. Le niveau de tension fluctue. Comment les autorités ont-elles stoppé la pandémie à leurs portes ? Ayant maîtrisé le phénomène sur leur territoire national, les Chinois devaient arrêter l’éventuelle arrivée du virus depuis l’extérieur, puisqu’entre-temps on était dans un contexte de pandémie. Depuis lors, il n’y a eu que des cas arrêtés à la frontière soumis à des procédures de quarantaine. Quand je suis revenu en Chine au mois d'août après un séjour estival en France, j’ai passé deux semaines de quarantaine dans la ville d'arrêt. Aujourd'hui le processus est renforcé puisque les personnes doivent respecter trois semaines de quarantaine et, pour ceux qui habitent à Wuhan, deux semaines de quarantaine supplémentaires à domicile. Début janvier, les autorités chinoises ont toutefois enregistré une augmentation du nombre de nouveaux cas de coronavirus, bien que nettement inférieur à ceux que peuvent connaître d’autres pays européens. Le variant anglais a par ailleurs été détecté aux abords de Pékin, entraînant le reconfinement immédiat de dizaines de milliers de personnes... Depuis presque dix mois, les nouveaux cas de coronavirus n’étaient que des cas venant de l’étranger. Les choses se sont un peu accélérées depuis quelques semaines puisqu’il y a eu un cluster près de Pékin. On l’a attribué a priori à une infection de surface sur des produits surgelés. Les experts ont réalisé le tracking et isolé 75 personnes. Ensuite, il y a eu deux foyers dans les régions au nord de la Chine, environ 600 personnes positives. Des cas vraisemblablement imputés à des déchets sur une ligne aérienne entre la Russie et le nord de la Chine, qui ont contaminé des personnes. On est actuellement dans une période extrêmement sensible avec l'hiver et le Nouvel an chinois, plus grande migration de l’humanité de l’année, qui étaient les conditions de démarrage de l’épidémie il y a un an. Les autorités chinoises sont extrêmement vigilantes au fait que l’épidémie ne reparte pas. Il y a une volonté d’avoir un Nouvel an chinois particulièrement calme et les gens resteront chez eux.
Peut-on parler d’une reprise épidémique ? Lorsque vous avez 600 cas sur 1,5 milliard d'habitants, comment voulez-vous parler d’épidémie ? On est largement en dessous du seuil épidémique. Il faut que les Français et les Occidentaux comprennent qu’il n’y a jamais eu de première vague en dehors du Hubei en Chine. Grâce à la maîtrise de l’épidémie dans cette province de plus de 60 millions de personnes, ils ont empêché l’épidémie d’aller dans le reste de la Chine. Quand on entend dans les médias français qu'on attend la deuxième vague à Pékin, c’est une erreur, une méconnaissance de ce qu’il s’est passé ici. Les Chinois ont réussi à protéger la Chine continentale, mais pas le reste du monde. Il y a un sentiment de fierté d’avoir maîtrisé l’épidémie, et puis de nationalisme. La Chine est triste de voir ce qui se passe dans le reste du monde, mais la Chine travaille. Elle sera d’ailleurs le seul pays qui aura de la croissance cette année, avec Taïwan. L’Occident a vu en l’arrivée des vaccins, un espoir de sortir de cette pandémie. En France cependant, la campagne de vaccination en France a été, dès le départ, sous le feu des critiques du fait de son lent démarrage puis des retards de livraison de doses. Quelle est la stratégie vaccinale en Chine ? Le vaccin a été mis au point très tôt en Chine. Dès le mois de juillet, un médecin militaire s’est injecté un premier essai de vaccin. Aujourd’hui, cinq vaccins ont une autorisation de mise sur le marché. Ce sont majoritairement des virus inactivés qui sont utilisés, c’est-à-dire la technique de la vaccination contre la grippe. Les Chinois ont lancé en juillet dernier une “vaccination d’urgence” pour un million de personnes, qui concernait les professions prioritaires (les soignants, les diplomates, les hommes d’affaires amenés à voyager à l’étranger). Actuellement, d’après les chiffres que j’ai lus, 11 millions de personnes seraient vaccinées en Chine. Ce n’est rien du tout par rapport à 1,5 milliard d’habitants. Je m’interroge, à titre personnel, sur le fait que la Chine n’entreprend pas une vaccination de masse d’urgence par rapport au reste du monde, qui a engagé une course contre la montre. Ayant un processus performant de traçage, de testing et d’identification des foyers, les Chinois peuvent se permettre de prendre leur temps pour vacciner les personnes et d'avoir une phase 3 qui se prolonge un peu plus que dans le reste du monde, ce qui est normal parce qu’il faut une phase 3 la plus longue possible pour détecter les effets secondaires à long terme. Selon vous, quelles ont été les erreurs commises par les pays occidentaux, qui subissent aujourd’hui des vagues successives ? L’Occident n’a pas pris conscience de la gravité de la situation et de la nécessité de maîtriser de façon presque brutale et urgente le phénomène au printemps dernier. À partir de là, ce que l’Occident a choisi de faire, c’est de freiner, parce qu’il voyait des chocs sanitaires arriver (c’est-à-dire le moment où les capacités des services de réanimation sont dépassées, où vous êtes obligé de faire des choix dans vos soins, quelque chose d’inacceptable dans un pays développé). En choisissant de freiner l’épidémie, l’Occident, contrairement à la Chine, a choisi de la laisser se prolonger et de voir la survenue de variants et, ainsi, de s’exposer à une situation qu’on subit et qu’on ne peut anticiper. Le choix de l’Occident a aussi été de faire des confinements. C’est un sacrifice énorme que les Wuhanais ont décidé de faire aussi parce qu’ils étaient au bord du gouffre. Mais ce confinement ne suffit pas à lui seul. Il faut l’associer à une politique de déconfinement, un processus extrêmement long et qui demande des moyens, comme l’intelligence artificielle, le testing, les moyens de protection et les diverses mesures de précaution. En Occident, on a pratiqué des confinements, qui ont demandé des efforts extraordinaires pour les populations, mais on n’a pas sécurisé les déconfinements, ce qui fait qu’on a eu une résurgence. Le virus était toujours là. Il fallait observer l’expérience d’un pays surpeuplé, la Chine. Les Chinois ont sorti le virus du réservoir humain.
Pourquoi, selon vous, la stratégie française de contact-tracing a fait défaut par rapport à la Chine ? Là on en revient au pragmatisme asiatique. Si vous voulez aller faire vos courses, aller au restaurant, vous amuser, vivre normalement, il faut utiliser l’intelligence artificielle pour vous protéger et protéger les autres. C’est pragmatique. En France, on est confronté à un débat sur la liberté, et ce débat va nous amener à ne pas utiliser cette intelligence artificielle, alors qu’on a des informaticiens géniaux. En utilisant l’IA, on limite dans le temps les périodes de restriction de liberté. A Wuhan, on a bloqué totalement les habitants 52 jours, mais depuis, ils vivent normalement. Chez nous, les choses traînent dans le temps et la liberté de chacun est contrainte. Concernant le testing, là aussi c’est une question de pragmatisme. Si vous utilisez un testing qui coûte cher à la nation, il faut qu’il y ait derrière un moyen de contrôler que les personnes positives soient confinées, ne seront pas un danger pour le reste de la population. Si vous avez un testing gratuit, que les gens peuvent faire à volonté, comme ça leur chante, et que derrière, même positifs, ils vont continuer à se promener, ça n’a aucune efficacité. Il faut un contrôle.
Par exemple, pour le Nouvel an, je me suis rendu avec ma femme et mon fils dans une région chinoise où il y a eu quelques cas découverts récemment. Et bien, nous avons été tracés, et nous avons dû faire une semaine d’auto-confinement à la maison. Nous avons simplement dû remplir un document dans lequel on certifiait que l’on restait chez nous. Cela implique notre responsabilité. Bien sûr qu’une fois que vous êtes enfermé dans un hôtel, vous vivez des expériences incroyables de privation de liberté, mais vous savez aussi que c’est pour pouvoir retourner dans une sorte de bulle sanitaire où vous êtes en sécurité, donc vous adhérez. Comment peut-on aujourd’hui endiguer l’épidémie ? Lors de la première vague, les Français ont fait des efforts inouïs. Je pense que c’est à ce moment-là qu’il fallait associer tous les moyens pour empêcher les résurgences. Aujourd'hui, j’ai peur que ce soit un peu tard. Mais si l’on devait faire quelque chose d’efficace, je pense qu’il faudrait une privation courte pour retrouver une vie normale rapidement, sinon on risque d’avoir une démobilisation de la population. Je pense qu’il faut bloquer le pays pendant trois semaines et identifier les positifs et les contacts, les isoler dans des hôtels par exemple, soigner ceux que l’on doit soigner, et remettre dans le milieu professionnel et privé les personnes qui ne posent plus potentiellement de danger aux autres. Tout ceci doit être associé à un contrôle aux frontières. Ensuite, je conseille une vaccination de masse. Il faut vacciner nuit et jour sans s’arrêter de façon à limiter au maximum la réplication virale dans les organismes des êtres vivants et la survenue de variants. Sinon, on ne s’en sortira pas. Surtout si on obtient des variants qui deviennent résistants aux vaccins. La Chine est l’usine du monde, elle a la capacité de fabriquer des vaccins pour une grande partie de la Terre. Elle le fera pour les pays avec lesquels elle est associée, et également avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Mais il demeure une lutte politique au niveau de l’origine des vaccins. L’Occident se tournera a priori vers des vaccins occidentaux. Au printemps dernier, vous avez alerté le président Macron et lui avez proposé une procédure d’urgence. Etes-vous toujours en contact avec lui ? Non. L’année dernière, j’ai réussi à pouvoir discuter avec lui car je voulais lui faire part de ce que j’avais vécu ici. Je savais ce qui allait arriver en Occident. C’était de mon devoir d’expliquer ce qui s’était passé et de dire que, en dessous des mesures prises à Wuhan, on n’arriverait pas à maîtriser le phénomène.
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