“C’est vrai que si on n’avait pas fait médecine, on ne se serait jamais connus”, réalisent ensemble Hélène et Pascal à la lueur de notre entretien, comme s’ils ne s’étaient jamais posé la question. Il faut dire que leur rencontre dans les années 90 a été une évidence, et leur coup de foudre, presque instantané. Après avoir été installée plusieurs années à Plouay, dans le Morbihan, le Dr Hélène Baudry, médecin généraliste, décide de quitter son cabinet en 1996. Elle se rend alors à Damgan, à une heure de voiture. Dans cette petite station balnéaire, elle remplace le Dr Pascal Lamy qu’elle connaissait déjà brièvement, ayant été dans le même secteur de garde quelques années auparavant, en Ille-et-Vilaine. “On est tombés amoureux dès le départ”, se souvient la praticienne. Tous deux parents de deux et trois enfants d’une précédente relation, ils choisissent de s’installer ensemble en 1999 et de ne plus se lâcher. Ils ont alors une petite fille ensemble et se marient au début des années 2000. Passionnés par leur travail, les deux seuls médecins de la station balnéaire s’installent dans le cabinet médical qu’ils ont fait construire au fond de leur jardin. Seul un petit portillon sépare leur lieu de travail de leur maison située en bord de mer, à deux pas des dunes. “Avant c’était pire, il n’y avait qu’une porte qui séparait le cabinet de la maison, on attendait un peu ce qu’il s’y passait”, se rappelle Hélène. Il arrivait même que des internes en médecine viennent manger chez eux. Ils partagent également leurs gardes estivales. “On était de garde deux semaines d’affilée, du lundi matin au samedi soir de la semaine suivante, jour et nuit, raconte Hélène. On prenait nos gardes ensemble. Ça nous soulageait un peu.” Le rythme est infernal. “Le téléphone sonnait en boucle dans la chambre pendant 15 jours”, témoigne Pascal, fils d’agriculteurs qui ne comptait alors pas ses heures. Ce dernier réalisait les visites à domicile, tandis qu’Hélène assurait les consultations dans le cabinet.
“Tout se mélange un peu” Ce quotidien voué à la médecine convient, à ce moment-là, parfaitement aux Bretons, également investis au sein de la Fédération des médecins de France de Bretagne, même s’ils s’accordent à dire qu’exercer avec sa moitié peut parfois devenir envahissant. “Cela prolonge un peu la journée de travail, admet Hélène. On n’a pas été capables de se mettre une règle du genre : une fois qu’on franchit le seuil de la maison, on ne parle plus boulot.” Ce qui pouvait provoquer l’incompréhension de leurs enfants. “Ils nous voyaient plonger dans nos pensées. Parfois, ils nous disaient des trucs absurdes pour nous faire raccrocher.” Cela n’aura pas empêché leurs 6 enfants de choisir à leur tour de s’orienter vers des métiers tout aussi prenants. “Ils tiennent sans doute ça de nous.” Pour les deux généralistes, cette frontière floue entre vie privée et travail est sans aucun doute l’une des raisons pour lesquelles de moins en moins de couples de jeunes médecins décident d’exercer ensemble. “Ils ont peur que tout se mélange, constatent les amoureux, également maîtres de stage. “C’est un peu vrai d’ailleurs, tout se mélange, mais ils ne savent pas que c’est bien aussi”, ajoute Hélène Baudry en riant. “Il y a une meilleure compréhension des horaires de l’autre, argumente par exemple son mari. On le voit avec nos internes dont le conjoint fait un autre métier, ce n’est pas toujours simple. Surtout quand l’un rentre tôt le soir”... “et attend désespérément l’autre”, complète Hélène.
“II n’y en a pas un qui est le subalterne de l’autre” Au bout de 25 ans de travail commun, Hélène et Pascal ont toutefois su trouver tous les deux leurs espaces. “On est indépendants. Il n’y en a pas un qui est le subalterne de l’autre”, affirment-ils à l’unisson. “Ce qui nous sauve de ce qui peut devenir insupportable, c’est que nous ne sommes pas tout le temps ensemble. On est toute la journée dans notre bureau avec nos patients. Autrement, je ne sais pas si on aurait pu”, poursuit la praticienne. “On est vraiment à égalité, on n’a pas à demander à l’autre une validation de ce que l’on fait.” Chacun a son propre rôle, comme sur leur voilier sur lequel ils s’empressent de monter dès qu’ils ont un peu de temps libre. “La voile, c’est un peu une façon de décrocher. Une fois en mer, on est dans un autre monde”, affirme avec enthousiasme Pascal, qui confie que cette passion l’a sauvé du burn-out et lui a évité de “tomber tout entier dans [son] métier”. Naviguer, ce Breton en rêvait déjà tout petit, puis il a transmis le virus de la mer à Hélène. Alors toutes leurs vacances, ils les passent à bord. Direction l’Angleterre, l’Irlande, l’Ecosse. “Il m’a même fait traverser la Manche alors que j’étais enceinte de sept mois et avec 4 enfants à bord”, se remémore Hélène, en éclatant de rire.
A 62 et 64 ans, Hélène et Pascal veulent désormais lever le pied. Depuis quelque temps déjà, ils ont intégré le tour de garde des confrères des alentours pour souffler un peu. “On a fini par obtenir le droit de dormir entre deux journées de travail”, ironise Pascal. Avec le recul, Hélène l’avoue : “si c’était à refaire, j’essaierais de me préserver davantage. Ces gardes qu’on s’est imposés pendant des années, c’était usant” Alors que Pascal est actuellement en arrêt maladie, la praticienne travaille près de 13 heures par jour et sent la fatigue s’imposer. Progressivement, ces amoureux de la nature veulent mettre “cette vie de travail acharnée” derrière eux, pour se consacrer à leurs passions respectives : le chant pour Hélène, l’écouter chanter pour Pascal. Mais aussi, lire et écrire des histoires. Tous deux ont mis leur cabinet à vendre et espèrent trouver rapidement des successeurs. Si Pascal compte arrêter définitivement de travailler, Hélène, qui ne se voit pas “se contenter d’entretenir sa maison”, aimerait reprendre l’hypnothérapie qu’elle a délaissé pendant l’épidémie. Et bien sûr, voguer vers de nouveaux horizons sur leur petit bateau.
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