Vers un accord à 1,6 milliard ? "Les médecins ont tellement enduré, que je ne sais pas si ça suffira"
Après un premier accord avorté au printemps 2023, un règlement arbitral et six mois de négociations tumultueuses, les syndicats de médecins libéraux et la Cnam ont enfin abouti à un projet de convention pour la période 2024-2028. S'ils saluent les "efforts" consentis dans la dernière ligne droite par la caisse, notamment sur le calendrier d'application du G à 30 euros, les syndicats restent sur leur faim. Signeront? Signeront pas? Ils ont jusqu'au 27 mai pour se prononcer.
"C'est la fin du feuilleton", lâche, libéré, le Dr Richard Talbot, à la sortie de la cinquième et dernière séance de négociations conventionnelles plénières entre la Cnam et les syndicats de médecins libéraux. Après six mois de discussions "intenses" et parfois tendues, qui ont trouvé leur apothéose dans une séance marathon de 48 heures, le soulagement semble partagé par l'ensemble des partenaires sociaux. La Cnam a fait "de gros efforts", salue le représentant de la FMF, qui évoque "95%" des demandes des syndicats prises en compte dans la dernière ligne droite. La principale étant d'avancer au maximum, à décembre 2024 ("vraisemblablement dans les 15 derniers jours", précise Thomas Fatôme), en tenant compte de la clause des 6 mois, l'entrée en application de la hausse du G à 30 euros et de l'APC à 60 euros. "C'est une négociation réussie, je pense que chacun est allé au bout de ce qu'il pouvait", salue Patricia Lefébure, la présidente du syndicat. "Nous, on ne signera sans doute pas, déclare le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML, mais oui ils ont fait des avancées, on peut pas dire le contraire."
Pour le directeur de la Cnam, cet aboutissement des négociations après un premier échec l'an dernier et une suspension de plusieurs semaines en avril, met "en valeur la capacité du dialogue social à trouver des équilibres". Le patron de l'Assurance maladie se réjouit par ailleurs que le projet d'accord qui se dessine soit "conforme au mandat", qui reposait sur quatre axes (attractivité de l'exercice libéral, accès aux soins, qualité et pertinence et refonte des modes de rémunération).
De son côté, le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, a salué un projet d'accord "qui propose un juste équilibre entre revalorisation de la médecine de ville, qualité et pertinence des pratiques et réponses aux besoins des Français en matière de santé". "Cet investissement financier très important de l'Assurance maladie traduit l'engagement du Gouvernement pour l'avenir de la médecine libérale."
Pas de choc d'attractivité
Le texte, qui sera transmis aux syndicats lundi 20 mai, représente pour l'Assurance maladie un investissement de 1,6 milliard d'euros sur l'ensemble de la période 2024-2028, a-t-il souligné. 1,9 milliard d'euros si l'on prend en compte la part prise en charge par les organismes complémentaires. La "ventilation" précise (notamment la masse représentée par les rémunérations forfaitaires) n'est pas encore fixée, car des "ajustements à la marge" doivent encore être opérés. S'agissant du G, Thomas Fatôme met en avant une revalorisation importante et "rapide" de 3,5 euros.
Mais tout en se réjouissant d'avoir obtenu que son entrée en vigueur soit avancée à décembre prochain – "2024 était symbolique", commente le Dr Jérôme Marty - les syndicats restent sur leur faim et déplorent de ne pas avoir obtenu le "choc d'attractivité" attendu. "Les 30 euros, aujourd'hui, ça rattrape l'inflation. Mais en décembre, déjà, je ne sais pas. Et là c'est pour cinq ans…", nuance la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. "Ça va améliorer la pratique médicale pendant un an ou deux mais pas cinq ans, considère Patricia Lefébure. Les médecins ont tellement enduré, il y a tellement longtemps qu'il n'y a pas eu de revalorisation que je ne sais pas si ça leur suffira… Mais l'Assurance maladie ne pouvait pas donner plus, c'est pour ça qu'on avait proposé un espace tarifaire à honoraires différenciés."
Au-delà du calendrier, les syndicats ont obtenu que soit intégrée une clause de sauvegarde portant sur les rémunérations forfaitaires : leur masse ne pourra être inférieure à ce qu'elle représente actuellement. Un autre point de friction portait sur les engagements "collectifs" en faveur de l'amélioration de l'accès aux soins. Il sera bien mentionné dans l'accord que les dix objectifs fixés (raccourcir le délai moyen d'accès aux spécialistes, réduire au maximum la part de patients en ALD sans médecin traitant, augmenter le nombre de contrats d'assistants médicaux …) ne seront pas "opposables". "On ne pourra pas nous réduire la rémunération", souligne Agnès Giannotti. "Ça n'est pas une logique d'obligation individuelle mais de mobilisation collective que nous allons suivre avec la mise en place d'un observatoire de l'accès aux soins", a insisté Thomas Fatôme.
Les syndicats ont également obtenu que le forfait patient médecin traitant pour les patients de moins de 80 ans en ALD soit porté à 55 euros (contre 53 euros dans le projet transmis initialement). L'enveloppe provisionnée pour la refonte de la CCAM a été réhaussée à 220 millions (+10%).
Une dernière "ligne rouge"
Sur la cotation de la consultation longue du généraliste pour les patients en ALD de plus de 80 euros (60 euros), reportée à 2026, ils n'ont en revanche pas réussi à faire bouger la caisse. "Il y a eu un gros clash sur la consultation de déprescription", l'une des trois situations pour lesquelles cette cotation peut s'appliquer annuellement, révèle le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes CSMF. "On doit prescrire un bilan de médication au pharmacien, qui nous renverra le patient et ensuite on pourra faire la déprescription, c'est un non sens, ça veut dire qu'il n'y en aura pas et qu'on économise", conclut-il.
Surtout, il reste "une ligne rouge" pour MG France : le texte actuel prévoit la possibilité pour un spécialiste de coter l'APC sur adressage d'un autre spécialiste. "Là, il n'y a plus plus de médecin traitant, il n'y a plus de parcours", regrette la Dre Agnès Giannotti. La présence, ou non, de cette mesure dans le texte final qui sera envoyé lundi, sera "déterminante" pour le vote du comité directeur du syndicat, prédit-elle. Ce vendredi, le sujet n'a pas été "abordé", la Cnam souhaitant visiblement éviter un clash entre MG France et AvenirSpé, les deux syndicats poids lourds de chaque collège. "C'est un sujet majeur qui peut faire péter la convention", relève Luc Duquesnel. La caisse se donne encore quelques heures pour trouver un point d'accord entre les deux blocs.
Pour être adopté, le texte conventionnel doit être signé par un ou plusieurs syndicats représentant au moins de 30% des votes dans le collège des généralistes et dans le collège des spécialistes. Les syndicats doivent se positionner la semaine prochaine, en vue d'une signature dans la semaine du 27 mai. "La balle est dans leur camp", conclut Thomas Fatôme.
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