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"Ça fait déjà deux ans que je suis dans le tunnel" : rencontre avec le médecin chef des JO

À 66 ans, le Dr Philippe Le Van s'apprête à vivre ses neuvièmes olympiades. Le praticien, qui a soigné pendant près de 40 ans des sportifs de haut niveau, a été nommé médecin chef des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Depuis deux ans, il est sur le pont pour que cet événement, auquel participent plus de 10 000 athlètes du monde entier, se déroule sans encombre sur le plan médical et sanitaire. Nous l'avons rencontré quelques jours avant la cérémonie d'ouverture. Entre excitation et montée de stress. 

25/07/2024 Par Louise Claereboudt
Portrait Jeux olympiques
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Place du Front populaire, à Saint-Denis (93). À deux semaines de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, l'atmosphère est encore plutôt calme au Pulse, le siège du comité d'organisation (Cojo). Devant le bâtiment, qui trône en lieu et place d'un ancien entrepôt démoli en 2018, un barnum est en train d'être monté. Quelques policiers font le pied de grue à l'intérieur du bâtiment, juste après le portique de sécurité. Dans deux jours, vendredi 12 juillet, le quartier général sera complètement bouclé. Mesures de sécurité obligent. À l'accueil, des membres de délégations étrangères attendent, passeports et autres documents officiels en main, de récupérer leurs badges, censés leur donner accès aux sites de compétition et d'hébergement.

On vient à notre rencontre pour nous mener au Dr Philippe Le Van, le chief medical officer de Paris 2024, avec qui nous avons rendez-vous. Nous traversons le hall du Pulse, sorte de gigantesque vaisseau fait de bois et de verre. Il est quasiment vide. La lumière qui jaillit de toute part donne une impression de sérénité vertigineuse. Le calme avant la tempête. Après avoir emprunté l'un des nombreux ascenseurs et traversé des couloirs immaculés, nous arrivons au but. Le Dr Le Van nous accueille avec une poignée de main franche et amicale dans une salle de réunion flambant neuve. Il dégage un calme déconcertant lorsque l'on sait les responsabilités qui lui incombent. En 2022, il a été recruté en tant que médecin chef des JOP. Depuis ce temps et jusqu'à aujourd'hui, il s'est affairé pour préparer au mieux la France à accueillir les Jeux. 

"Je vis Jeux, je mange Jeux, je dors Jeux"

"Cela fait déjà deux ans que je suis dans le tunnel, et il y avait des gens avant moi qui travaillaient déjà sur les Jeux, explique le médecin du sport de 66 ans, avec humilité. Là on est une équipe, c'est important de le dire, je ne suis que la personne que l'on voit." Si durant toute sa carrière, on est plutôt venu le chercher, cette fois-ci, c'est lui qui a postulé. "J'aurais pu finir ma carrière tranquillement comme médecin de l'équipe de France olympique – et à Paris ce n'était pas si mal !, sourrit-il. Mais être médecin chef, c'était un beau challenge." Pour se consacrer à sa mission, le Dr Le Van a arrêté ses vacations à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), où il exerce depuis la fin de ses études. "Après les Jeux, je reprendrai avec plaisir si je le peux", prévoit déjà le praticien. Et de lancer en riant : "Je ne me sens pas encore totalement inerte intellectuellement." 

"Des mois que l'on répète"

Comme médecin chef des JO, sa première mission a été d'organiser légalement les Jeux. Cela signifie, par exemple, permettre aux médecins des équipes étrangères de pouvoir exercer le temps de l'événement. "Normalement c'est une procédure assez stricte. Là on les autorise à exercer au sein de leur équipe", explique le Dr Le Van, qui a travaillé main dans la main avec le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) sur ce volet. Il a aussi dû penser de toutes pièces la polyclinique, qui est en service depuis le 18 juillet. Centre de santé multidisciplinaire managé par l'AP-HP et situé en plein cœur du village des athlètes à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), elle peut accueillir jusqu'à 700 patients par jour : participants, membres des délégations, journalistes… "La polyclinique, c'est une obligation du contrat de ville-hôte. Et quelque part pour un pays, c'est toujours une vitrine de son savoir-faire médical." 

Chargé d’organiser et de coordonner la médicalisation de tous les sites olympiques et paralympiques (de Villeneuve d'Ascq à Tahiti), le médecin du sport a aussi dû développer un "programme volontaire", le modèle économique des Jeux étant "basé sur le volontariat". Au total, quelque 3000 bénévoles médicaux et paramédicaux (infirmières, médecins, kinés, manipulateurs radios…) se tiennent prêts à intervenir. Il a aussi fallu "armer" (en médicaments, en dispositifs médicaux, en équipements de pointe…) tous les postes médicaux, et trouver des hôpitaux référents : Bichat pour les athlètes et les délégations, l'Hôpital européen Georges-Pompidou pour la famille olympique et paralympique* et Avicenne pour les médias.

"Il y aura à gérer toutes ces populations", souligne Philippe Le Van. "À partir du moment où quelqu'un entre dans une zone Paris 2024, il est sous notre responsabilité", ajoute le médecin, qui a établi des plans de prise en charge pour chacun de ces publics. "Cela fait des mois que l'on répète, on a fait plein de simulations – comment réagir en cas de maladie, de blessure grave, en l'absence de secouristes, en cas de grève des transports… Là on voit arriver les journalistes, les sportifs, ça se concrétise ! On va voir si nos crash-tests sont dimensionnés", lâche-t-il avec une "forme d'excitation". Reste qu'il existe une part d'inattendu, mais "c'est ce qui fait le sel du métier", philosophe le chief medical officer. "Si tout était réglé d'avance…" Pendant les Jeux, son rôle sera d'aller là où il y a des couacs, "pour mettre un peu d'huile dans les rouages". "Je vis Jeux, je mange Jeux, je dors Jeux." 

"Vraie révolution"

Si la tâche peut paraître titanesque, le Dr Le Van peut compter sur son expérience. Les Jeux de Paris seront d'ailleurs ses neuvièmes olympiades estivales. Depuis Barcelone, en 1992, le médecin du sport a participé à tous les Jeux d'été, et depuis Vancouver, en 2010, à tous les Jeux d'hiver. S'il faisait d'abord partie des staffs médicaux, il a ensuite pris du galon. À partir de 2010, il a rejoint le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en tant que directeur de la commission médicale dédiée au haut niveau. Un poste à responsabilités qui consistait déjà à organiser médicalement les JO, mais à l'échelle de la délégation seulement.

Être désormais hôte des Jeux, "c'est une vision complètement différente", reconnaît le médecin. "Mais le fait d'avoir été 'client' permet de savoir ce qu'attendent les gens, ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas. Parfois des pays ont mis beaucoup de moyens dans quelque chose qui a finalement très peu servi", ajoute celui qui a vu une réelle évolution dans la médicalisation des Jeux. "Ce qui a beaucoup changé, c'est la technologie et l'imagerie. Par exemple à partir de Pékin (2008), on a eu des IRM dans la polyclinique ce qui n'était pas le cas avant. Maintenant c'est un standard." À Paris, le progrès sera dans le champ de la santé mentale, promet le médecin en chef, qui a élaboré tout un programme de prévention. Le CIO a aussi accordé des accréditations supplémentaires pour mettre à disposition des personnes dédiées au sein des délégations. "C'est une excellente chose ! Michaël Phelps ou encore Simone Biles ont montré qu'on pouvait avoir été médaillé et avoir des problèmes de santé mentale." 

Les Jeux de Paris 2024 seront aussi les premiers Jeux paritaires de l'histoire, avec autant d'athlètes hommes que femmes. De ce fait, une consultation de gynécologie sera ouverte tous les jours, des préservatifs féminins seront aussi distribués, et les athlètes pourront se faire dépister à la polyclinique dans le cadre de la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) grâce à des Trod, tient à mettre en avant le Dr Le Van. "C'est un changement de paradigme. Depuis les affaires #MeToo, il y a une vraie révolution. C'est pour cela que j'ai formé une collègue et pas un collègue pour me remplacer au comité olympique, parce que je pense que la vision est différente, la façon d'aborder les choses aussi. Il y aura moins de plaisanteries sexistes. C'est un sujet qui me touche." 

"J'étais le roi de Barcelone"

Si le Dr Le Van fait aujourd'hui figure de référence dans son domaine, "ça n'était pourtant pas un rêve de gosse", confie-t-il, en tournant son stylo Bic entre ses doigts. Enfant, il grandit en banlieue parisienne dans une famille de "matheux" : son père, Vietnamien naturalisé Français, avait fait l'école des Ponts et Chaussées; son frère, dans l'informatique, a été "le premier à câbler l'école centrale, le plus grand réseau d'Europe câblé de l'époque". "Moi je ne pouvais pas et je n'avais pas envie de faire de maths, car je n'étais pas bon, ni de grande école. Je n'avais pas non plus la bosse du commerce." Il prend alors le chemin de la faculté de médecine. Dès les premières semaines, c'est la révélation. "J'ai eu la chance de tomber sur le métier que j'aurais adoré faire", dit-il, les yeux brillants. "Et j'ai trouvé que le train des études allait assez vite."

Quand il apprend que la médecine du sport est une discipline à part entière, c'est pour lui "une évidence". Rugby, ski, tennis, badminton, judo, course à pied… Depuis son plus jeune âge, il est féru de sports en tous genres. "J'étais un enfant un peu hyperactif, j'avais besoin de bouger. J'étais tout le temps avec des copains à faire un foot ou un basket", se rappelle-t-il, un brin nostalgique. Il passe un certificat d'études spécialisées (CES) en médecine et biologie du sport en 1984. Dans ce cadre, il rencontre des personnes qui travaillent à l'Insep. C'est comme ça qu'il entre, dès ses études, dans ce temple où se côtoient les champions tricolores. "On m'a proposé de faire une vacation par semaine le soir. Puis d'une vacation, on est passés à plusieurs." Une fois sa thèse passée, en 1985, on lui offre un mi-temps, puis un temps plein. 

Ce poste lui permet de faire son service militaire au bataillon de Joinville (94). "C'était génial ! Je n'ai jamais fait autant de sport de toute ma vie, on avait que ça à faire en dehors des consultations." Là-bas, on lui propose de partir avec l'équipe de France d'haltérophilie, alors "pas très populaire", à La Réunion. "J'ai dit : 'La Réunion ça me va ! Je m'accommoderai de l'haltérophilie'", plaisante le médecin. "Finalement, l'équipe m'a adopté et quand je suis sorti de l'armée, on m'a proposé d'être le médecin de l'équipe de France." Il y restera fidèle dix années, en parallèle desquelles il continue de faire des consultations à l'Insep. C'est grâce à cette équipe que le jeune médecin vit ses premiers JO d'été à Barcelone. Son plus beau souvenir, sans doute, parmi tant d'autres. C'était il y a un peu plus de 30 ans. "C'était magique, c'était magique Barcelone !", répète le Dr Le Van, des étoiles dans les yeux. 

"J'avais fait pas mal de compétitions avant – les championnats d'Europe, les championnats du monde… – mais c'était entre 7 et 10 jours. Là vous restez quasiment un mois sur place !", poursuit-il. "Je n'étais pas logé au village olympique, mais dans un hôtel, et j'avais un vélo pour me déplacer. Je partais très tôt le matin, il n'y avait encore personne, j'étais le roi de Barcelone… Je rentrais très tard le soir, pour les Espagnols c'était le début de soirée, les ramblas étaient plein de monde, ça chantait au resto, c'était incroyable !" Durant ce mois hors du temps, il suit l'équipe d'haltérophilie mais pas seulement… Les petites équipes n'ayant souvent pas de staff médical – c'est toujours le cas aujourd'hui, il voit passer de nombreux autres athlètes ; l'équipe de badminton, par exemple, dont c'était la première apparition aux JO. "A la fin, j'étais tellement fatigué que j'ai dormi dans la cuisine d'un appartement par terre, à côté d'un frigo. Ça m'évitait de faire les aller-retours…" 

"Les athlètes doivent être des patients lambdas"

Quand il quitte l'équipe d'haltérophilie, c'est pour suivre celle de natation artistique en 2000. Là encore, il restera à ses côtés durant environ 10 ans. "Je dis toujours que c'est facile d'entrer dans une équipe mais difficile d'y rester longtemps, parce qu'il y a une usure, il faut se renouveler, arriver à créer un climat de confiance. Dix ans, cela veut dire que vous êtes au moins sur trois générations de sportifs, explique-t-il en ajustant ses lunettes noires fines. Je trouve ça stimulant car ça oblige à proposer des choses nouvelles en fonction de l'évolution du sport et de la médecine." La médecine du sport, le Dr Le Van la voit comme "une médecine du temps" : "Il y a toujours une échéance, une compétition, donc c'est un compromis entre santé, efficacité, mais aussi éthique", décrit celui qui se défend d'intervenir sur la performance d'un athlète. Ça, c'est le domaine du coach, qui doit rester distinct. D'ailleurs les coachs sont interdits dans les cabinets. "Le médical, c'est l'endroit où les athlètes viennent pour être tranquilles."

"Ce qui est sympa c'est lorsque vous devenez le médecin de famille des athlètes. C'est vraiment une preuve de confiance quand ils vous amènent leurs enfants."

Bien que pouvant être de grands champions, les sportifs doivent être considérés "comme des patients lambdas", insiste le médecin. "On ne peut pas être fan d'une personne et être son médecin." Pour lui, "ce n'est pas difficile dans la mesure où quand vous vous les voyez, ils sont normaux. Ils patientent comme tout le monde. Leur privilège est qu'on va les voir dans l'heure où ils ont demandé un rendez-vous." Reste que lorsque des décisions importantes sont à prendre, elles le sont de manière collégiale, car "cela peut avoir une conséquence à la fois sur le physique et sur la vie professionnelle". "Certains athlètes, je les ai vus grandir", s'émeut le praticien, empathique. "Ce qui est sympa c'est lorsque vous devenez le médecin de famille des athlètes. C'est vraiment une preuve de confiance quand ils vous amènent leurs enfants."

Dans l'intimité de son cabinet, à l'Insep ou lors des Jeux, le praticien en a entendu des anecdotes, en a reçu des confidences, à l'instar de ses confrères. "On a l'impression un peu d'être des happy few [des privilégiés, NDLR]. Les athlètes nous racontent leur course, leur combat. Des choses qu'ils ne diront jamais aux journalistes, sans vouloir être désagréable, se gausse-t-il. Ils se confient sûrement plus à nous qu'à leur coach sur certains problèmes." Il garde à l'esprit le souvenir d'un moment partagé avec une sportive de haut niveau pressentie pour avoir une médaille aux Jeux mais qui a échoué : "Elle est venue à 3h du matin me voir. J'étais de garde. Elle avait envie de discuter, elle n'arrivait pas à dormir. On a parlé jusqu'au petit matin", livre le médecin, encore "touché". Ce sont aussi parfois des moments de communion, entre soignants et sportifs. "Quand un Français passe à l'écran en général tout s'arrête et on regarde, on applaudit, on crie."

Des moments comme ceux-là, Philippe Le Van espère en vivre tout l'été à domicile. C'est pour cela qu'il vibre, même si une pointe de stress se fait ressentir à l'approche du coup d'envoi officiel, ce vendredi soir. "On connaît la France, on sait qu'on aime bien s'autoflageller, alors on s'y prépare comme on peut. Mais je pense que l'expérience jouera", relativise le médecin en chef des JO, en éternel optimiste. Ce dernier a "dit au revoir" à sa femme, ses enfants et petits-enfants début juillet à l'occasion d'un dernier weekend en famille. "Ils ont compris que cet été, il ne fallait pas compter sur moi", sourit ce passionné, qui va loger au village olympique. Le 8 septembre, tout sera terminé. "Forcément après ça, on va tous ralentir", lâche le médecin. L'occasion peut-être de se rendre dans son Vietnam d'origine qu'il n'a encore jamais eu l'occasion de visiter. "Pourtant j'ai beaucoup voyagé dans ma vie…" 

 

 

*qui comprend le CIO, l'IPC, les fédérations, les 40 000 volontaires mobilisés, sans oublier les spectateurs, attendus par millions. 

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