Faillite

"Les cabines étaient une vraie réponse aux déserts médicaux" : la faillite du pionnier de la télémédecine ébranle le secteur

Du jour au lendemain, fin septembre, les 150 cabines de téléconsultation installées en France par H4D ont cessé de fonctionner, laissant les patients et élus locaux sans solution. La société, pionnière du secteur, a été placée en liquidation judiciaire. Une faillite emblématique des difficultés d'un secteur qui peine encore à rentabiliser ses investissements. 

09/10/2024 Par Aveline Marques
Télémédecine
Faillite

"C'était une décision dure, je pense la plus difficile à prendre. Tous les salariés étaient très engagés sur ce projet, parce que c'est un projet de santé, qui nous touche", confie à Egora Valérie Cossutta, présidente de H4D. Il y a deux semaines, le tribunal de commerce de Paris prononçait la liquidation de cette société, "pionnière" de la télémédecine, qui employait 57 personnes, dont des médecins. Une décision qui a entrainé l'arrêt immédiat des quelques 150 cabines de téléconsultation installées "un peu partout en France", dont elle assurait le fonctionnement pour le compte d'"entreprises du CAC 40" en médecine du travail et de collectivités territoriales en soins primaires. 

L'entreprise, fondée en 2008 par un médecin, le Dr Franck Baudino*, avait été la première en Europe à commercialiser une cabine de télémédecine en 2014. Grâce à des outils connectés, sa "Consult Station" permettait de prendre les constantes du patient et de réaliser des examens (tels qu'un ECG) à distance pour "objectiver le diagnostic", dans le respect du "colloque singulier", explique Valérie Cossutta. De l'autre côté de l'écran, des médecins salariés de centre de santé avec qui H4D "contractualisait".

Une start up sous perfusion

"On a eu beaucoup de mal à se développer, on a commencé par les entreprises parce qu'à l'époque, la téléconsultation n'était pas remboursée", retrace l'entrepreneuse. La petite société, qui a vu depuis arriver les concurrents Medadom, Tessan ou encore Loxamed, "fonctionnait encore en mode start-up" même si elle avait tenté dernièrement de "s'industrialiser".  "On n'était pas encore aux bénéfices, on avait besoin de fonds régulièrement" pour couvrir "des frais d'investissement techniques de plus en plus techniques", reconnaît Valérie Cossutta. H4D avait récemment lancé un outil qui permettait de diagnostiquer des mélanomes, grâce à l'IA. "Le défi des sociétés de télémédecine aujourd'hui, c'est de réussir à trouver le bon business modèle, et à s'inscrire dans le parcours de soins", pointe la présidente, qui évoque également le coût de la certification des sociétés de télémédecine récemment mise en place.

"Peu de sociétés du secteur de la télésanté sont à l'équilibre financier, confirme Jean-Pascal Piermé, président de l'association Les Entreprises de télésanté (LET). Elles dépendent des investisseurs qui parient sur le fait qu'elles seront un jour rentables." Ce sont de grosses "levées de fonds", précise-t-il, "des millions voire des dizaines de millions d'euros". Or, ces derniers temps, "le marché des capitaux s'est resserré", souligne le président du LET.

Malgré l'explosion de la télémédecine avec le Covid, les investisseurs qui avaient maintenu à flot H4D pendant 15 ans n'ont pas suivi : la dernière tentative de levée de fonds, en 2023, a "avorté", plongeant l'entreprise dans une situation "extrêmement fragile", confie Valérie Cossutta. 

Placée en redressement judiciaire, H4D n'a pas trouvé de repreneur. "On est tous vraiment déçus, frustrés de pas avoir réussi à aller de l'avant", confie Valérie Cossutta. L'entrepreneuse se dit toutefois "soulagée" de voir que ses salariés, dont les profils "médicaux ou tech" sont très recherchés, "sont très sollicités"… "y compris par nos concurrents", sourit-elle. Elle continue d'espérer une "renaissance", avec une reprise des actifs de la société. "D'autres entreprises pourraient mettre leur logiciel sur nos cabines", confirme-t-elle.

Des "coquilles vides" d'une valeur de 100 000 euros

En attendant la décision du liquidateur désigné par le tribunal, les cabines qui étaient exploitées par H4D ne sont plus que des "coquilles vides", déplore Martine Tabouret, 1ère vice-présidente du conseil départemental de l'Ain, en charge de la santé. Du jour au lendemain, "la prise de rendez-vous a été bloquée et les rendez-vous qui avaient été pris ont été annulés". 

Comme 87% du territoire français, l'Ain, "pris en étau entre Lyon et Genève" et qui souffre d'une fausse image de "département rural", peine à attirer des médecins. "Il y a des zones où 30% de la population n'a pas de médecin traitant", se désole l'élue. Pour combler les vides, le conseil départemental a choisi d'acquérir six cabines auprès de H4D. "On a installé la première en 2020, en plein pendant la période Covid, puis les autres dans les mois qui ont suivi. Quatre sont situées dans des lieux de soins, dont une dans un cabinet médical qui n'a pas trouvé preneur, et deux dans des espaces communaux", détaille l'élue. Coût total pour ce département de 650 000 habitants : 140 000 euros. "Les premières cabines, qui coûtaient 100 000 euros chacune, ont été prises en charge à 80% par l'Etat. La dernière on l'a achetée 40 000 euros sans subvention." Le prix d'un équipement "performant", de fabrication "française", et dont le service rendu est supérieur à "la téléconsultation basique", justifie Martine Tabouret.

9200 consultations en 4 ans

En quatre ans, les cabines ont permis de faire environ 9200 consultations dans l'Ain. "Ce n'est pas beaucoup mais quand même", relève l'élue, qui voit ces cabines comme un outil de plus dans l'arsenal des mesures de lutte contre les déserts médicaux, avec les aides à l'installation et le salariat de médecins.

A l'instar des départements de la Seine-et-Marne, de l'Essonne ou encore des Yvelines, qui ambitionnait de déployer pas moins de 50 cabines H4D sur son territoire dans le cadre d'un plan chiffré à 10 millions d'euros, l'Ain a été pris de court par la liquidation judiciaire de la société. "On a appris très tardivement par le commercial avec qui on était en contact qu'ils étaient en redressement judiciaire. On a su en début de semaine qu'il y avait un jugement le jeudi suivant", regrette Martine Tabouret. 

"Une vraie réponse de qualité aux déserts médicaux"

Les collectivités cherchent désormais une solution pour assurer la continuité des soins et rentabiliser leur investissement, qui ne se limite pas à l'achat des cabines mais comprend également les travaux d'installation, l'accès au réseau internet, la maintenance ou encore l'emploi de personnels pour accompagner les patients, désinfecter la cabine, etc. "On a beaucoup de rencontres avec des partenaires possibles", confirme la vice-présidente du département de l'Ain. Medadom, en particulier, s'est aussitôt positionné pour proposer ses services aux collectivités désœuvrées par la liquidation de son concurrent historique [voir encadré]. 

"Pour nous, l'idée est de voir comment on peut reprendre avec les cabines, qui sont à nous, et pas d'acheter du matériel nouveau, ce serait déraisonnable", écarte Martine Tabouret. Car de nombreuses pharmacies sont désormais équipées pour proposer de la téléconsultation, "ce qui n'était pas le cas en 2020 quand on a mis en place nos cabines". L'élue reste néanmoins convaincue que ces dernières sont encore "pertinentes dans certains sites" où l'offre de soins fait vraiment défaut. "Je pense à un village à côté de chez moi, Saint-Paul-de-Varax, où la pharmacie a fermé, cette cabine est une ressource locale", assure-t-elle. Une conviction partagée avec Valérie Cossutta : "On sait que ça répond à un besoin, c'est une vraie réponse de qualité aux déserts médicaux. On a fait du bon travail, ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est trouver le modèle économique qui permet d'arriver à cet équilibre et de devenir profitable." 

*Il indique à Egora avoir quitté la société il y a plusieurs années. 

 

Medadom, un leader conforté :

Arrivé en 2018 sur le segment des bornes et des cabines de téléconsultation, Medadom en est aujourd'hui le leader, avec 4700 implantations sur le territoire, "majoritairement dans les pharmacies, mais aussi des collectivités, quelques entreprises et associations", présente Nathaniel Bern, co-fondateur et directeur technique. Alors que le pionnier H4D "vendait extrêmement cher des cabines très sophistiquées avec comme cibles des entreprises et des institutionnels sur des procédures assez longues d'appel d'offre", résume Nathaniel Bern, Medadom a déployé la stratégie inverse : "Pour être accessible au plus grand nombre et pour s'implanter dans les pharmacies, on a mis en place des dispositifs beaucoup moins chers" – 200 euros par mois pour une borne, 400 pour une cabine. 

La jeune entreprise a également raflé des appels d'offre, dont celui de l'Union des groupements d'achats publics, "la centrale d'achat de l'Etat", qui était auparavant en contrat avec H4D. "Au-delà de l'aspect technologique", ce qui distingue Medadom c'est "la prise en charge", avance Eli-Dan Mimouni, le PDG. "En complémentarité avec les pharmaciens", Medadom revendique être "le seul et unique offreur de soins en téléconsultation" en capacité de répondre 7 jours/7 à la demande de soins non programmés grâce à son équipe de médecins libéraux et salariés. 

 

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1 commentaire
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Médecine générale
il y a 6 heures
Pendant ce temps les cabines concurrentes ne désemplissent pas. Medadom approche des 5000 et Tessan en a installé 1000. Les offres de ces deux sociétés sont complètes. La présence de médecins derrière...Lire plus
 
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