A seulement 38 ans, Abdelaali El Badaoui, fils d’immigrés marocains et infirmier libéral, a fondé il y a deux ans “Banlieues Santé”, une association qui reconnecte les habitants des quartiers ruraux et défavorisés au système de soins. Distribution de masques, organisation de rendez-vous médicaux, traduction des messages de santé publique… L’organisation a pris un tournant sans précédent lors de l’épidémie de Covid-19, qui a sans conteste éloigné encore plus les patients précaires des cabinets et hôpitaux. Rencontre avec son infatigable fondateur, dont les projets d’internationalisation laissent imaginer un monde meilleur. C’est un sombre accident domestique qui a donné à Abdelaali El Badaoui “l’envie de se rendre utile à la société”. Alors qu’il n’a que 6 ans, le petit garçon est brûlé à près de 70% de la surface de son corps après qu’une bouilloire lui est tombée dessus dans la salle de bain familiale, évitant “par chance” son visage et ses mains. Il passe alors des semaines à l’hôpital. “Ça a forgé mon caractère, confie l’homme, aujourd’hui âgé de 38 ans. Le système de santé m’a beaucoup apporté, m’a soigné en chambre stérile.” Mais surtout, il est confronté, dès lors, aux inégalités sociales. Ses parents d’origine marocaine, illettrés et analphabètes, ont du mal à comprendre ce qui arrive à leur petit garçon. Ce dernier fait alors l'interprète entre le discours des médecins et ses proches. Des années plus tard, le jeune homme, qui a grandi dans un quartier populaire de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne) après avoir quitté son Nord natal avec ses six frères et sœurs, devient ASH, avec cette envie folle d’aider. Là, il côtoie le manque d’information des patients, constate les inégalités sociales grandissantes… Et décide de mener ses premières actions. “J’allais chercher les professionnels de santé dans les hôpitaux pour leur demander s’ils pouvaient donner de leur temps, bénévolement, pour faire de la prévention dans les quartiers populaires, raconte-t-il. Ça a bien marché. Surtout, ça nous a permis de créer une espèce de communauté.” En parallèle, il excelle en athlétisme et poursuit une carrière de sportif de haut niveau en équipe de France. Il aidera également son père, arrivé en France dans les années 60 pour travailler dans les mines du Nord et exposé à l’amiante et à la silice, à faire reconnaître sa maladie comme “maladie professionnelle” lorsque ce dernier tombe malade.
En 2007, Abdelaali El Badaoui, qui n’a ni le bac ni d’autre diplôme, a la possibilité d’entrer en école d’infirmier grâce à une validation d'acquis. Il en ressort trois ans plus tard diplômé… et encore plus convaincu du rôle qu’il a à jouer. “J’ai vu des patients qui revenaient sans cesse pour des soins”, raconte celui qui a enchaîné les services (réa, cardio, psychiatrie, pédiatrie,...) pour “mieux comprendre ce qu’il se passait”. Il ouvre en 2012 son cabinet à Melun. Aux domiciles des patients des quartiers populaires, il fait face à leur “détresse”. “Socialement, ce sont des populations qui vont très mal. La santé arrive en dernier recours. Ces publics vont d’abord se loger, se nourrir et s’habiller avant de prendre soin d’eux. Ils vont s’éloigner du parcours de soin parce que les rendez-vous sont trop longs, parce qu’il y a, parfois, des dépassements d’honoraires, etc.” “Les lieux bannis” “Ce millefeuille d’inégalités sociales ne permet pas à ces publics-là, aujourd’hui, de s’intégrer dans un parcours de santé”, assure celui qui se décrit comme un “entrepreneur d’intérêt général, d’utilité publique ou d’innovation sociale”. En 2018, il décide donc de créer “Banlieues santé” avec deux-trois collaborateurs. Deux ans plus tard, ce sont 5.000 bénévoles, dont une grande majorité de...
professionnels de santé (pharmaciens, médecins, kinés, aides-soignantes, infirmières, etc.), qui permettent à l’association de toucher de plus en plus de monde sur l’ensemble du territoire national. Avec toujours le même objectif : “faire en sorte que les plus fragiles ou les plus éloignés du droit commun ou du parcours de santé soient reconnectés au droit commun et à la santé”. Et Abdelaali El Badaoui voit les choses dans leur dimension holistique. “La santé n’est pas uniquement l’absence de maladie ou de symptômes, c’est aussi un état de bien-être, mental, social et physique. Or, aujourd’hui, on n’intègre pas les déterminants de santé : le logement, le bien-manger, la culture, le sport, l’éducation, etc.. A Banlieues santé, on considère qu’il faut passer par ces biais pour amener les publics à la santé.” C’est donc tout naturellement que Banlieues santé s’est transformée en quelques mois “en banque alimentaire” lors de l’épidémie de Covid-19, distribuant plus de 500.000 repas depuis le premier confinement. Un moyen d’entrer en contact avec les populations des “lieux bannis” (banlieues en verlan) et leur faire passer des messages de santé publique. L’association, qui veut devenir un “hub de l’inclusion et de l’innovation sociale et médicale”, a également formé plus de 200 médiateurs santé - qui sont des habitants de ces quartiers, avec l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), pour transmettre aux patients précaires, des informations capitales sur le virus. Outre la distribution de kits d’hygiène (masques, gel hydroalcoolique, nettoyants ménagers, gel douche…) et l’explication des gestes barrières, l’association a aussi développé une application traduisant les messages de prévention* en plusieurs langues (Peulh, Soninké, Kabyle…), alors que l’on en dénombre “près de 140 en Seine-Saint-Denis”, indique son fondateur. Un outil indispensable pour ceux que la barrière linguistique a éloigné depuis des années des cabinets médicaux.
Le confinement n’est possible que si les + fragiles sont autonomes & disposent des denrées de première nécessité
— Abdelaali EL BADAOUI (@abdelaaliELBADA) April 9, 2020
Le lien social doit également être maintenu et grâce à votre aide, les 100 premiers paniers ont pu être livrés
La cagnotte est toujourshttps://t.co/kxNIkLq1mG pic.twitter.com/IBbXZa9Gaq
“Réduire l’écart d’espérance de vie” Réanimateur, le Dr Idriss Razach Abdallah, 42 ans, a participé à la mise en place de protocoles d’isolement et de distribution des colis-repas et des kits d’hygiène pendant l’épidémie. Mais face à l’afflux de malades du Covid, le praticien, qui collabore avec Abdelaali El Badaoui depuis le début, n'a pu se rendre autant disponible qu’avant. Il l’assure toutefois : “l’épidémie a révélé tous les problèmes que l’on pressentait.” “Les gens ne connaissent pas leurs problèmes de santé. Vous avez un patient qui est diabétique depuis 10 ans. Il est traité et très content de son médecin traitant, mais il ne sait pas ce qu’est le diabète.” “Or on sait tous, en tant que médecins...
que la clef de l’observance thérapeutique et de la réussite de la prise d’un diabète, c’est l’éducation thérapeutique. Un patient qui connaît sa maladie se soignera mieux”, ajoute le médecin qui a grandi porte de Clignancourt dans un “milieu modeste”. En cela, Abdelaali El Badaoui s’est aperçu que l’épidémie a permis, grâce au terrain, “d’identifier les publics les plus fragiles” mais aussi de créer des réponses d'urgence à leur apporter. Reste à les rendre pérennes pour améliorer durablement leur quotidien et réduire enfin l’écart d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur, qui s’établit à près de dix ans. Jamais à court d’idées, le jeune homme, à l’allure et au langage de startuppeur, a pour cela mis en place d’autres actions, dont certaines ont d’ores et déjà aidé les patients précaires, comme l’opération “Vue et corrigée”, qui a permis à plus de 400 personnes d’obtenir un examen de vue par un ophtalmologiste et des lunettes sans reste à charge. Des discussions avec les Etats-Unis “Il y a encore beaucoup de populations qui n’utilisent pas assez bien leurs droits”, déplore-t-il, qui ajoute d’emblée que “ce n’est pas parce qu’on va mieux utiliser les droits sociaux, qu’on va creuser le trou de la Sécurité sociale”. “C’est justement en accompagnant en amont les patients, en les dépistant, qu’on va faire des économies de santé”, estime l’infirmier libéral qui, de par son engagement au sein de son association, exerce de moins en moins. Pour ce dernier néanmoins, “la réponse doit aussi venir de celles et ceux qui vivent aujourd’hui les inégalités sociales”. Si au cours de cette année, près de 100.000 personnes ont bénéficié de l’aide de l’asso, Abdelaali El Badaoui voit plus grand avec de nouveaux projets en tête et une implantation dans d’autres métropoles françaises. Surtout, il entend bien s’internationaliser. Des discussions avec les Etats-Unis, le Maroc et l’Afrique, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et même, le Brésil, sont en cours pour que les compétences développées par l’association puissent être appliquées dans ces pays car “les inégalités touchent l’ensemble du monde”, déplore le trentenaire. Et ce n’est pas la pandémie de Covid-19 qui le contredira...
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