Saint Louis, Robespierre, Cro-Magnon… Ce que nous apprend l'autopsie des patients célèbres de l'Histoire 

14/07/2023 Par Aveline Marques
Histoire
De retour avec un nouvel ouvrage médico-historique (Autopsie des cœurs célèbres, Ed. Tallandier), le Dr Philippe Charlier a livré les résultats de quelques-uns de ses travaux au congrès Urgences 2023, qui s'est déroulé du 7 au 9 juin dernier à Paris. L'occasion pour ce médecin légiste, archéologue et anthropologue, d'expliquer sa démarche scientifique, souvent controversée. 
 

"Je suis un peu comme vous… mais si j'étais mauvais. C'est-à-dire que moi, tous mes patients sont morts", lance le Dr Philippe Charlier à ses confrères urgentistes. Le célèbre médecin légiste et archéologue (entre autres), directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie biologie (Laab) de l'université de Versailles-Saint-Quentin et du département de la recherche et de l'enseignement du Musée du quai Branly, à Paris, était invité à donner une conférence exceptionnelle, le 7 juin dernier, au Congrès Urgences 2023. Le "médecin des morts" y a livré le résultat de quelques-unes de ses autopsies réalisées ces dernières années sur des figures de l'Histoire comme Marie-Madeleine, l'homme de Cro-Magnon, le roi Henri IV ou encore Flaubert. Tour d'horizon des cas les plus emblématiques. 

 

La "très mauvaise journée" de Lucy 

Les restes fossilisés de l'australopithèque Lucy, "notre ancêtre à tous", ont été découverts en 1974 à Hadar, en Ethiopie, sur les bords de la rivière Awash. Ces ossements vieux de plus de trois millions d'années étaient "éparpillés façon puzzle sur 150 à 180 mètres" dans une couche stratigraphique d'environ 40 cm de hauteur, rappelle Philippe Charlier. Ils présentent des fractures spiroïdes au niveau des deux humérus, des deux ulnas, du fémur gauche et du tibia droit, attribuées par un rhumatologue américain à une chute. Hypothèse avancée par ce dernier : "La pauvre Lucy s'était cassée la gueule d'un arbre, où elle s'était réfugiée pour passer la nuit à l'abri des fauves", rapporte Philippe Charlier.   

Moulage du squelette de Lucy - Australopithecus afarensis © Musée national d'histoire naturelle  - Agnès Iatzoura

Avec le paléontologue Yves Coppens, le légiste entreprend un "réexamen un peu plus traumatique, un peu moins exubérant" du squelette. Les deux spécialistes relèvent alors sur le bassin "des traces des crocs" ressemblant à celles observées par "nos collègues d'Australie ou qui travaillent dans le bayou en Louisiane ou en Floride" : des morsures de crocodile. "C'était vraiment des lésions traumatiques peri-mortem et pas des traces d'insertion musculaire", développe-t-il. Ils mesurent l'espacement entre deux traces de crocs et trouvent une correspondance avec des ossements de crocodile retrouvés dans la même couche stratigraphique. "Il est vraisemblable que la pauvre Lucy ait été croquée - goûtée au moins - par un crocodile." À ce stade, l'hypothèse de la chute mortelle reste valable.  

En s'intéressant à la technique de chasse des crocodiles, les chercheurs notent que ces animaux mordent aux fesses et au ventre, "des zones meubles". "Le crocodile attrape sa proie et la plonge sous le niveau de l'eau ; il va imprimer un mouvement de torsion à la victime pour fracturer ses os longs, lui faire perdre de l'air et finir par la noyer. Ça peut expliquer ces fractures que l'on observe au niveau des os longs", expose Philippe Charlier. "Alors, on ne dit pas que Lucy n'est pas tombée d'un arbre… on dit qu'elle a très probablement passé une très mauvaise journée. Elle est peut-être tombée d'un arbre, ensuite elle s'est fait peut-être manger en partie par un crocodile, puis à la fin elle a été éparpillée par une coulée de boue qui a d'ailleurs tué également d'autres animaux. Et c'est comme ça qu'elle s'est retrouvée protégée jusqu'à nous pour que l'on puisse l'examiner quelques millions d'années plus tard." 

 

Peste, scorbut, parasite… L'énigme de la mort de Saint Louis 

"Nous avons tous appris dans nos livres d'histoire que Saint Louis était mort de la peste". Faux, s'est attaché à démontrer Philippe Charlier. Couronné en 1226, Louis IX entreprend en 1270 une deuxième croisade (la huitième) pour convertir le sultan de Tunis au christianisme. Mais le roi de France, "mal préparé", manque d'eau et de nourriture. Après un approvisionnement sans doute trop tardif auprès de son frère Charles d'Anjou, roi de Sicile, le roi installe son camp près de Carthage. La "pestilence" (au sens d'une maladie qui se diffuse) ravageant déjà son armée l'emporte une semaine plus tard, le 25 août 1270.

Le corps du roi, qui a manifesté sa volonté d'être inhumé à l'abbaye de Saint-Denis, subit une tripartition. Il est d'abord bouilli dans le vin et l'eau de vie, procédé visant à détacher les chairs des os. Le cœur et les viscères sont mis de côté : le premier est destiné à être déposé à la Sainte-Chapelle à Paris, les secondes à être conservées à l'abbaye de Monreale, près de Palerme, en Sicile. Les ossements sont ensuite marinés dans des aromates, ce qui confère artificiellement au roi une "odeur de sainteté" qui lui ouvrira les portes du Paradis. Désormais colorés d'une "jolie teinte rouge", ils prennent le chemin de Saint-Denis, retrace Philippe Charlier. Trois décennies plus tard, lorsque Louis IX est canonisé, les ossements, devenus des reliques, sont dispersés. 

Des restes qui 750 ans plus tard sont donc examinés par le légiste. Dans les viscères conservés à la cathédrale de Versailles, qui sentent encore "particulièrement bon", le médecin découvre les restes d'un shistosoma haematobium, parasite responsable de la bilharziose urinaire dont Saint Louis a probablement hérité au cours de la septième..

croisade au Proche-Orient (1248-1254). "Son biographe, Jean de Joinville, dit d'ailleurs que de temps en temps Louis IX pissait rouge et dru, rapporte l'historien. Mais ce n'est pas ça qui l'a tué."  

Ce qui met le légiste sur la piste de la véritable cause du décès du roi, c'est sa mâchoire, conservée dans le trésor de la cathédrale Notre-Dame à Paris. "On voit des lésions inflammatoires au niveau des canines, prémolaires et molaires du côté droit", relève le médecin. "Elles correspondent à quelque chose qui nous est décrit par les contemporains au moment de sa mort : il lui tombait des dents, des morceaux de mâchoire sanguinolents depuis sa bouche. Cela correspond à des signes de scorbut, ainsi que les plaques qui apparaissaient sur sa peau, souligne Philippe Charlier. Avoir des plaies saignantes dans la bouche en 1270, c'est un peu comme si on avait une grosse boite de pétri à l'intérieur de la bouche."

Hypothèse la plus probable : Saint Louis a fait une infection locale, dont la mâchoire garde les traces avec "une atteinte osseuse", "qui a ensuite diffusé à l'intérieur de son tube digestif et a fini par l'emporter". Reste désormais à identifier dans les viscères les agents pathogènes qui ont fauché le roi. 

 

Le vrai visage de Robespierre 

C'est un patient que les médecins d'aujourd'hui n'auraient "vraisemblablement pas pu sauver"… puisqu'il est mort décapité, en 1794. Maximilien de Robespierre, figure de la Révolution et artisan de la Terreur, souffrait peut-être de sarcoïdose, avance Philippe Charlier, qui a travaillé sur les archives de son médecin personnel, Joseph Souberbielle, à défaut d'avoir pu mettre la main sur ses restes. "Soit ils sont noyés dans la masse dans les Catacombes ou ont été jetés dans la Seine, soit ils ont été récupérés sous une fausse identité et sont peut-être dans le cercueil de Louis XVI à la basilique Saint-Denis – c'est Barras qui nous raconte ça", rapporte le médecin.

Fatigue, teint blafard, "yeux injectés de jaune", nodules en partie sanguinolents sur l'arête nasale et la face antérieure des deux jambes, toux sèche, adénopathies diffuses, saignements de nez… sont autant de signes relevés par le médecin de Robespierre qui conduisent Philippe Charlier à "proposer" le diagnostic d'une sarcoïdose diffuse.  

Sur cette base, Philippe Charlier et Philippe Froesh, du Laab, ont travaillé à reconstituer le visage du célèbre révolutionnaire, au moyen d'un scanner surfacique 3D du masque mortuaire conservé au Museum d'histoire naturelle d'Aix-en-Provence (qui serait une copie de celui réalisé par Madame Tussaud). "On s'est rendu compte que dans l'histoire de l'art, on n'a quasiment aucun portrait réel de cet individu", relève Philippe Charlier. Les représentations de Robespierre sont toujours "fantasmées", tantôt "horrifiques" quand elles sont faites par des détracteurs, tantôt "magnifiques" quand elles émanent au contraire de ses partisans. La "vérité", si le masque mortuaire "est bien le sien", prend l'aspect d'un "visage grêlé par la petite vérole" (85 cicatrices du côté gauche, 59 du côté droit).  

Revenant brièvement sur la controverse suscitée par cette reconstitution, notamment à l'extrême gauche, Philippe Charlier a rejeté tout "délit de sale gueule" ou volonté "de salir l'héritage... de la Révolution française". "On a juste voulu donner un visage le plus objectif possible à un patient de l'histoire. On ne juge pas nos patients sur leur aspect physique", a-t-il assuré. Tout en relevant : "C'est là qu'on se rend compte qu'on ne touche pas impunément à des personnages historiques." 

 

Les 1001 versions de la mort du premier Homme de Cro-Magnon 

"Quand ce crâne a été retrouvé, en Dordogne, dans les années 1860, très vite les paléontologues, mais également les médecins de l'époque -et notamment Paul Broca, neurologue fondateur de la société d'anthropologie de Paris-, ont été assez intrigués par cette lésion circulaire de 4 cm de diamètre, frontale, paramédiane droite", expose Philippe Charlier en abordant le cas de Cro-Magnon 1, vieux de près de 28 000 ans.

Cro Magnon 1 dit le vieillard paleolithique superieur France © MNHN - J.C. Domenech

Un cas emblématique par la multitude des hypothèses proposées au fil des années : phénomène d'érosion provoqué des gouttes d'eau, tuberculose osseuse, syphilis, histiocytose X… "À la grande période de l'émergence du sida, certains y ont même vu un sarcome de kaposi", pointe Philippe Charlier. "Sur les cas historiques, sur les patients du passé, tous les médecins aiment plaquer leur marotte et mettre le diagnostic de leur maladie favorite. Quand vous tapez sur Google 'Jesus cause of death', vous avez 150 différentes causes de décès…" 

"Nous allons voulu faire table rase de cette vision un poil narcissique", explique le légiste. La réalisation d'un micro-CT scanner, qui a donné aux chercheurs l'équivalent d'une coupe histologique, a démontré l'absence de sclérose au contact ou de dépôt de silice. "Ça ne correspond pas à une réaction inflammatoire et on oublie la goutte d'eau tombant du plafond proposé par Paul Broca", résume Philippe Charlier. Le médecin note en revanche une très forte asymétrie de diamètre au niveau des conduits auditifs internes, qui correspond à l'existence "d'un processus expansif au niveau de ces canaux type schwannomes".

Cette lésion ainsi que la présence de "nombreuses autres lésions d'ostéolyse au niveau du maxillaire et des os longs" permettent de "proposer" le diagnostic d'une neurofibromatose de type 1, la maladie de Reckglinghausen. Les chercheurs ont par ailleurs entrepris de comparer le crâne aux collections constituées au 19e siècle et au début du 20è dans les facultés de médecine et des musées d'anthropologie. Des cas pour lesquels un diagnostic clinique réalisé "du vivant" du patient avait été posé, avant que l'autopsie ne vienne établir le "diagnostic de certitude". "On s'est rendu compte que ce crâne correspondait à un crâne conservé à Amiens, présentant une neurofibromatose de type 1." 

 

Louis XIV, son "dernier patient" 

Interrogé sur ses recherches en cours, Philippe Charlier a indiqué qu'il venait de finir de travailler sur les cœurs de Louis XIII et Louis XVI. Embaumés et conservés à l'église Saint-Paul-Saint-Louis, dans le Marais à Paris, les cœurs des deux souverains ont été profanés à la Révolution, puis rachetés par des peintres pour fabriquer du brun de momie (ou mummia). Sur le tableau Vue de Caen, peint par Alexandre Pau de Saint-Martin en 1810, exposé au musée de Pontoise, les chercheurs ont identifié au microscope électronique à balayage des "morceaux de muscle, humains". La protéomique a également permis d'identifier des "éléments bactériens de plusieurs bactéries qui sont présentes en grande quantité chez les patients diabétiques quand ils font un mal perforant plantaire transformé en gangrène. Là, on a lien direct avec le décès de Louis XIV."  

 

"J'ai eu le déclic à Pompéi" 
Questionné sur la naissance de sa vocation, Philippe Charlier a confié qu'il avait entrepris des études de médecine pour "s'intéresser aux patients du passé". "J'ai eu le déclic à Pompéi, quand j'ai vu ces corps complètement recouverts par le plâtre. Il y avait non seulement un squelette à l'intérieur mais en surface, on voyait les vêtements, les traits du visage, les empreintes des mains, la pulpe dentaire… Je me suis dit que ces patients-là, il fallait aussi s'en occuper, les faire parler. Rien de mieux que la médecine légale, l'anthropologie et l'archéologie toutes ensemble pour leur redonner la parole." Le "virus de la médecine" l'a toutefois gagné lorsqu'il étudiait l'anapath à Lille. "Je pense que j'étais le seul anapath à prendre des gardes aux urgences… et j'ai adoré. J'ai rencontré des gens qui m'ont donné le goût de la clinique. Ça reste mon plus beau souvenir lillois. C'était le moment où je me suis senti médecin."  

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