Transfert de compétence, délégation de tâche, accès direct : quelles différences ?

16/11/2021 Par Aveline Marques
Système de santé
Issu du monde anglo-saxon, le concept du "skill mix" (combinaison de compétences) chez les professionnels de santé fait son chemin en France depuis le début des années 2000 et la publication des rapports Berland plaidant pour une évolution des métiers face à l’augmentation des besoins et à la baisse du nombre de médecins. Depuis, les délégations de tâches, les transferts de compétence, les protocoles de coopération ou encore la pratique avancée se sont développés… parfois dans la confusion. Alors que le Parlement légifère sur la question dans le cadre du budget de la Sécurité sociale 2022, voici un petit glossaire pour mieux s’y retrouver. 

 

Monopole médical 

"Le monopole médical est défini comme une exonération légale au principe de protection de l’intégrité corporelle des personnes, c’est-à-dire que seuls les médecins sont autorisés à porter atteinte à cette intégrité", rappelle la HAS dans une recommandation de 2008 sur les formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé. "Dans le Code de la santé publique, le périmètre d’exercice des autres professions de santé est défini en dérogation à ce monopole." Pour les auxiliaires médicaux, ces dérogations sont autorisées dans le cadre de décrets d’acte. 

Deux rapports d’Yvon Berland, rendus en 2002 et 2003, préconisent de faire évoluer les métiers de santé face à l’augmentation des besoins de la population et la pénurie de temps médical, en développant les "transferts d’actes et de compétences". Dans les années qui ont suivi, le concept a été précisé par la définition de deux termes bien distincts : "délégations de tâches" et "transferts de compétences". 

 

Délégations de tâches 

"La délégation désigne l’action par laquelle le médecin confie à un autre professionnel de santé la réalisation d’un acte de soin ou d’une tâche", précise la HAS dans un rapport d’étape de janvier 2007. "La délégation comprend l'idée de supervision. La responsabilité du délégant (le médecin) reste engagée du fait de la décision de déléguer, la responsabilité du délégué (le professionnel non médical) est engagée dans la réalisation de l’acte."

Transfert de compétences 

Dans ce même rapport, le transfert de compétences est défini par la HAS "comme l’action de déplacer l’acte de soin, d’un corps professionnel à un autre : les activités sont confiées dans leur totalité, y compris en termes de responsabilité, à une autre profession. Les professionnels non médicaux sont donc autonomes dans...

la décision et la réalisation." C’est dans ce transfert de responsabilité que réside la différence fondamentale entre le transfert de compétence et la délégation de tâche.  

La notion de compétence est définie comme "la mise en œuvre d’une combinaison de savoirs (connaissances, savoir-faire, comportement et expérience) en situation". 

Si dans le droit administratif, le transfert d’une compétence engendre une exclusivité, il n’en a jamais été question dans le domaine de la santé. Par exemple, la possibilité pour les infirmières de réaliser la vaccination antigrippale des patients à risque sans prescription, qui relève d’un transfert de compétences (inscrit dans le décret d’actes de la profession), n’a pas impliqué la fin de cette même vaccination par les médecins. 

Au fil des années néanmoins, les termes "délégations de tâches" (voire délégations "d’actes") et "transferts de compétences" ont été employés indistinctement par les professionnels, mais aussi par le ministère et même par le législateur, notamment dans le cadre des protocoles de coopération (voir ci-dessous). 

La HAS avait pourtant relevé dès octobre 2007 dans un autre rapport sur les aspects juridiques des coopérations cette "source de confusion", qui peut mettre en jeu la responsabilité des professionnels, préconisant de ne plus utiliser ces vocables, au profit des "nouveaux modes de coopération". En vain. 

 

Protocole de coopération 

C’est dans le cadre des protocoles de coopération, permis par l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST) de 2009, que se sont organisées les délégations de tâches en France. Ces protocoles sont autorisés par l’ARS, après avis de la HAS, cette dernière pouvant étendre un protocole à tout le territoire national si l’expérimentation locale se révèle concluante. A ce jour (novembre 2021), 40 protocoles nationaux sont autorisés et organisent par exemple la prise en charge par le kiné du traumatisme en torsion de cheville dans le cadre d’une structure d’exercice professionnelle, ou de la photographie des fonds d’œil dans le cadre du dépistage de la rétinopathie par un orthoptiste ou un infirmier. Dans ces deux cas, les paramédicaux inclus dans le protocole réalisent des actes "dérogatoires", confiés par le médecin "délégant" qui doit rester accessible rapidement et dont la responsabilité reste engagée. Si l’on se réfère à la définition originale, il ne s’agit donc pas de transferts de compétence, bien que certains protocoles le mentionnent comme tels... 

 

Accès direct 

Dans le respect du parcours de soin coordonné, mis en place en 2004, un patient ne peut consulter un spécialiste (médecin "correspondant") que s’il est dirigé vers ce dernier par son médecin traitant. A défaut, il s’expose à des majorations financières. Des exceptions sont prévues et permettent au patient de bénéficier de la prise en charge normale de ses dépenses de santé. C’est le cas notamment des...

consultations de spécialistes en "accès direct" : gynécologue, ophtalmologue, psychiatre. 

L’article 41 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022 organise un accès direct vers les professionnels de santé paramédicaux que sont les masseurs-kinésithérapeutes, les orthoptistes et les orthophonistes. "À titre expérimental, dans le cadre des structures d’exercice coordonné […], l’État peut autoriser les masseurskinésithérapeutes à exercer leur art sans prescription médicale pour une durée de trois ans et dans au plus cinq départements d’une même région et dans au moins un département d’outremer", prévoit ainsi l’article 41 quinquies. Un décret pris en Conseil d’Etat doit en préciser les modalités. Les kinés concernés étant habilités à pratiquer des actes sans prescription, ni supervision médicale, cette expérience relève d’un transfert de compétences, dont les contours restent à préciser. 

 

 

Pratique avancée 

Développé dès les années 1950 aux Etats-Unis, l’exercice en pratique avancée a été mis en place en France à la suite de la Touraine de 2016. La définition internationale précise : "une infirmière qui exerce en pratique avancée est une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer." 

Dans la plupart des pays, il existe deux types de pratique avancée : celle de l’infirmière clinicienne, qui développe une expertise spécifique dans le champ des compétences infirmières, et celle de l’infirmière praticienne dont le domaine de compétences est élargi dans le champ du diagnostic, de la prescription et de l’orientation. Rien d’anormal donc à ce que l’article 41 octies du PLFSS 2022 autorise "à titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, par dérogation à l’article L. 43011 du code de la santé publique, les infirmiers en pratique avancée peuvent réaliser, dans trois régions dont au moins une région d’outremer, certaines prescriptions soumises à prescription médicale dont la liste est fixée par décret". 

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