Installé en 1993 dans la banlieue de Mulhouse, le Dr Eric Faidherbe exerce la médecine générale avec son épouse également généraliste et son fils, remplaçant régulier à temps partiel (son deuxième fils est psychiatre et le petit dernier, entame sa 2ème année de médecin…). C'est donc dans cet univers pétri de médecine que notre homme a entrepris le récit de son quotidien. Dans "Médecin, mon quotidien" Ed. de l'Opportun, il nous livre une série d'une cinquantaine d'histoire courtes, impressionnistes, où les héros sont ses patients. Pas un reportage, mais un véritable travail d'écriture autour de l'émotion, une recherche difficile et obsédante, qui lui a touché l'âme. Nous publierons demain ses bonnes feuilles.
Sur la couverture de présentation de votre livre, vous expliquez au sujet des histoires que nous allons lire : "Toutes sont vraies. Totalement. Toutes sont fausses. Identiquement". Que voulez-vous dire par là ? Dr Eric Faidherbe. Vous mettez le doigt sur le plus gros de mes problèmes. Lorsque j'ai commencé à écrire ces histoires, ma motivation première était de procéder comme en photo journalisme. Une situation est belle, elle me plaît ou m'énerve mais elle me touche et je veux faire la photo. J'ai donc écrit ces histoires comme on prend des clichés, ou comme on croque à gros trait, rapidement. D'où, pour moi, la nécessité de faire court. Et puis ces histoires se sont accumulées et je me suis dit qu'on pourrait peut-être les publier. Et là, je suis tombé sur deux problèmes. Un problème légal d'abord qui est la nécessité du secret. Et deuxièmement, un problème éthique, qui est aussi la nécessité du secret par rapport au patient, qui ouvre sa porte, qui vous laisse voir ou vous confie des choses parce que vous êtes médecin et qu'il sait très bien que vous ne raconterez rien. Mais s'est alors posé un deuxième problème éthique : si je racontais, je violais un secret et si je ne racontais pas, je trahissais une histoire ou une pensée… cette interrogation m'a déprimé et j'ai laissé tomber pendant un certain temps. Mais il y avait des histoires qui me plaisaient tout de même, et que j'avais envie de partager. Alors je me suis interrogé sur ce qui était important pour moi. Eh bien, ce n'est pas tant la véracité du propos que l'émotion que j'ai ressenti dans la situation. Et je me suis demandé si j'étais capable de restituer cette émotion. En conséquence, j'ai pris une histoire, j'ai modifié les personnages : sexe, âge, pathologie, mais je me suis employé à restituer l'émotion totale que j'avais rencontré dans la situation. J'ai donc cassé mon personnage, mais pour le reconstruire j'ai pris d'autres éléments empruntés à d'autres personnages. En conséquence, tous les éléments factuels sont vrais, mais ils n'appartiennent pas à la même histoire. Vous avez agi comme un peintre impressionniste, en fait… Un peu. C'est ce que j'ai voulu faire, des croquis, des touches… des histoires rapides à lires même si elles ne sont pas rapides à faire. Rapides pour conserver l'émotion. A qui sont destinées ces histoires ? A vos confrères, votre famille, vos patients ? Question difficile. Je dirais spontanément : pour rendre hommage à mes patients. Lorsque je me suis installé ici, dans la banlieue de Mulhouse, j'ai eu beaucoup de mal. J'étais dans la théorie de mes études, j'avais vécu la fac et l'hôpital comme un univers merveilleux et de rencontrer de vrais malades, de vrais souffrances, simples intellectuellement, ça m'a déçu. J'ai souffert de cela, c'était tellement différent. Mais progressivement, j'ai perçu que ce qui était important dans ma vie ce n'était pas tellement ce que j'avais appris à la fac qui m'avait exalté initialement, mais c'était la véracité, la vérité du lien avec les gens. Pour résumer, les antalgiques, c'est bien, il y en a de plusieurs niveaux, mais la souffrance humaine, c'est une autre histoire. Ces propos sont une ode à la médecine générale ! Je dis que les patients ont contribué à me construire, c'est clair. Ils m'ont appris beaucoup d'humanité, des choses vraies, la qualité du contact, des choses aussi simples que de garder la main du patient dans la sienne en lui parlant, toucher son épaule lorsqu'on écoute ses poumons… Une forme de simplicité dans le rapport, accepter la souffrance de l'autre et l'autre pour ce qu'il est, et qui n'est pas du tout réductible à un cas clinique. Mais attention, il y a aussi des gens que j'assaisonne dans le bouquin. J'ai eu un procès, je l'ai très mal vécu et je ne me suis pas privé de lâcher ma rage durant six chapitres. C'est le seul élément qui est relié, qui jalonne le livre et qu'il serait préférable de lire dans l'ordre. Donc, je ne suis pas que sympa. Ce livre est un hommage à mes patients, mais il me permet aussi d'évacuer ce procès qui a duré 6 ans et demi de ma vie, m'a beaucoup fait souffrir et s'est terminé par une relaxe. Vous sentez-vous mieux maintenant que vous avez écrit toutes ces histoires ? L'écriture vous a-t-elle fait du bien ? Oui, mais c'est compliqué. Pour passer des croquis initiaux, aux histoires, j'ai dû faire des transpositions et rentrer dans la fiction. Donc, rendre des émotions en ne racontant pas la réalité, mais en la modifiant. C'est la définition de la littérature… Et bien, j'ai adoré faire cela. Et maintenant, j'ai deux bouquins en court, une autobiographie romancée de ma vie et de mon passé de patient : je suis né avec les pieds bots et j'ai été opéré, plâtré enfant, ce qui peut expliquer ma vocation de médecin. Ce bouquin s'est interrompu le 3 septembre, à la mort d'un formidable ami anglais qui a mené une vie marginale entouré de copains bizarroïdes. Il m'a plongé dans l'univers de "Rue de la sardine", un bouquin de Steinbeck et j'ai décidé de lui rendre hommage, à lui et à ses potes. Oui, j'ai un plaisir énorme à écrire.
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