Dans la petite commune de Valençay, dans l’Indre, Sylvaine Le Liboux, 57 ans, gère seule les permanences Covid dans la salle des fêtes, prêtée par la municipalité. Dès le confinement instauré par le Gouvernement, cette médecin généraliste n’avait en effet pas vu d’autres solutions que de créer cette structure dédiée pour éviter que des malades chroniques et des personnes potentiellement infectées par le virus ne se croisent dans l’unique salle d’attente de son cabinet. Comme bon nombre de ses confrères qui ont également ouvert des structures similaires, la praticienne, également présidente de la CPTS du Boischaut Nord, se rend ainsi chaque après-midi, du lundi au vendredi, dans la salle des fêtes pour examiner des patients suspects. Toutefois, l’Indre étant encore relativement épargné par l’épidémie de coronavirus, Sylvaine Le Liboux ne voit passer dans son cabinet de fortune que zéro à cinq patients par jour. Trop peu pour que cette activité nouvelle soit “rentable”.
Pour ces actes, réalisés avec des précautions extrêmes, la généraliste n’a jusqu’ici pas été rémunérée. Cette dernière n’a pas souhaité que les malades paient à l’acte pour éviter de manipuler les cartes de paiement et cartes vitales afin de limiter le risque de contagion. Surtout, la praticienne estime que ce mode de rémunération n’est pas adapté à ses nouvelles conditions d’exercice. “Je ne peux pas rester 5 heures dans un endroit, faire trois consultations, pour moi ce n’est pas rentable. Par ailleurs, on voit très peu de personnes en présentiel, mais ça demande beaucoup d’organisation. On répond au téléphone toute la journée pour réguler les appels. Je trouve que ça vaut plus”, confie-t-elle. “Six masques FFP2 depuis le 15 mars” Le Dr Le Liboux, également secrétaire générale des Généralistes-CSMF, s’est donc rapproché de l’Agence régionale de santé du Centre-Val de Loire pour demander l’application d’un forfait prévu par l’arrêté du 28 mars. Sans succès...
Celui-ci permet l'indemnisation forfaitaire horaire brute des médecins réquisitionnés “en dehors de leur lieu habituel d’exercice” : 75 euros entre 8 heures et 20 heures, 112,50 euros entre 20 heures et 23 heures et de 6 heures à 8 heures, et 150 euros entre 23 heures et 6 heures ainsi que les dimanches et jours fériés pour les médecins libéraux conventionnés ou non et les remplaçants. Contactée par Egora, l’ARS Centre-Val de Loire confirme qu’aucune rémunération via un forfait n’est appliquée. “Les forfaits indemnitaires prévus dans l’arrêté du 28 mars le sont dans le cadre d’une réquisition, ce qui n’a pas été fait dans notre région”, indique l’agence, précisant que les professionnels peuvent être rémunérés à l’acte, “comme lors de leurs consultations en cabinet”.
Une réponse que Sylvaine Le Liboux a du mal à digérer. “Ça me révolte. C’est sûr qu’elle ne nous a rien demandé puisque de toute façon, elle ne nous a pas aidés, s’insurge la généraliste. Nous, ça ne nous pose pas de problème d’être réquisitionnés car de toute façon on est volontaires. Mais l’ARS ne veut pas faire cette démarche-là, alors que dans d’autres régions, elles, l’ont fait. En plus, ce serait la CPAM, qui fait quand même beaucoup d’économies en ce moment car il y a nettement moins d’actes, qui paierait ce forfait.” Masques, indemnisation, organisation des consultations… la généraliste se sent aujourd’hui abandonnée par les autorités. “C’est sûr que l’hôpital avait un rôle très important, mais nous, libéraux, étions en première ligne et, dès le départ, nous n’avons pas été protégés, nous n’avons pas été prioritaires.” “Ce sont les entreprises qui nous ont fourni nos équipements”, raconte-elle. Les sur-blouses qu’elle enfile avant chaque consultation sont en réalité des casaques de vétérinaires, la laiterie “du coin” lui a fourni des charlottes, et une entreprise spécialisée dans l’impression en 3D lui a confectionné des visières. “De l’Etat, je n’ai reçu que six masques FFP2 depuis le 15 mars”, précise Sylvaine Le Liboux qui s’est approvisionnée grâce aux stocks périmés de la mairie datant de H1N1. Trois confrères contaminés Pourtant, les consultations se sont particulièrement “dégradées”, note la généraliste qui s’occupe seule du centre, avec parfois l’aide d’un infirmier, depuis que son confrère a été contaminé puis hospitalisé pour une infection Covid-19. Sur les cinq villages couverts...
par la CPTS, trois des 15 médecins généralistes ont été arrêtés. “C’est quand même lourd moralement, confie le Dr Le Liboux. Mais j’ai l’impression que toute la dimension humaine passe complètement au-dessus de la tête de l’ARS.”Selon elle, une fois la crise passée, il faudra remettre en cause le rôle de ces organismes qui ont remplacé en avril 2010 les anciennes agences régionales de l'hospitalisation (ARH), les directions des affaires sanitaires et sociales (Drass, Ddass) mais aussi certaines caisses d'assurances maladie (Urcam, Cram). “Je trouve que ça fonctionnait mieux à l’époque, indique la praticienne. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a une certaine inertie. L’ARS n’est pas proche de nous, de nos préoccupations et n’a pas compris que nous, professionnels de santé, avions tout ce stress de ne pas savoir et de ne pas être épaulés.”
Sylvaine Le Liboux estime que l’ARS aurait dû faire ce que la coordinatrice de sa CPTS a fait : téléphoner aux entreprises, chercher du matériel, se rendre auprès des médecins. Petite victoire toutefois, les libéraux du département sont parvenus à débloquer récemment des masques FFP2. Ces derniers ont fait don d'une partie de leur dotation pour protéger les personnels Ehpad qui connaissent davantage de cas. “Nous avons dit tout de suite qu’il fallait les donner aux personnels dans les Ehpad, explique le Dr Le Liboux. Mais l’ARS n’avait pas eu l’idée.”
Pour l’heure, bien que l’activité de son cabinet ait baissé de 50% en moyenne, la praticienne n’entend pas fermer son centre Covid qui sera d’autant plus indispensable pendant le déconfinement, période à laquelle, elle l’espère, les malades atteints de pathologies chroniques retrouveront le chemin du cabinet. Le maire de Valençay a, par ailleurs, soutenu l’action menée par la généraliste en adressant une lettre au préfet, mais aussi à l’ARS. “Je ne lâche pas le bout, je pense que j’arriverai à mes fins, persiste la généraliste. Je veux une reconnaissance de ce qu’on a fait au niveau de la santé publique. Il n’y a pas que l’hôpital, les médecins libéraux ont vraiment joué un rôle pendant ce confinement, il faut qu’il soit reconnu.”
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