"Tous les jours, on voit l'étendue du désastre" : dans la peau d'un généraliste salarié d'une plateforme de télémédecine

07/06/2023 Par Aveline Marques
Témoignage
Après avoir pris sa retraite en tant que médecin traitant, le Dr Dominique Souvestre, s'est lancé dans une nouvelle activité : la téléconsultation. Depuis deux ans, ce médecin s'épanouit en tant que salarié d'une plateforme de télémédecine. A 71 ans, fort de son expérience des gardes, le généraliste enchaine les soins non programmés, fier de contribuer à "soulager" les cabinets et "désencombrer" les urgences. Face aux critiques, il défend un mode d'exercice de la médecine qui permet de soigner les patients "en temps réel" alors que l'accès aux soins est plus que jamais dégradé.   

 

"J'ai exercé pendant 37 ans en tant que médecin traitant, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Ma carrière a toujours été très axée sur la permanence de soins. Dans les années 80 et 90, je faisais beaucoup de gardes, le week-end, la nuit. Puis de 2007 à 2016, j'ai été coordinateur de la permanence de soins de mon secteur, le sud du 93, où j'organisais les gardes régulées par le 15.  

En 2017, à 65 ans, j'ai liquidé ma retraite. J'ai alors arrêté les gardes, mais j'ai continué à exercer pendant quatre ans au cabinet. Là-dessus, en mars 2020, le Covid est arrivé. L'idée de me lancer dans la téléconsultation (TC) m'est venue à l'occasion d'un coup de fil en visio avec mon petit-fils. Comme beaucoup de médecins à l'époque, j'ai bricolé avec WhatsApp ; j'ai fait beaucoup de téléconsultations pendant la période de confinement avec mes patients. Je me suis rodé à ce moment-là.  

 

"Il y a beaucoup de retraités, comme moi" 

Puis, les patients devenant de plus en plus agressifs et insupportables, j'ai décidé d'arrêter l'exercice au cabinet. Fin mars 2021, j'ai mis la clé sous le paillasson. Mais je ne me voyais pas prendre ma retraite sans conserver une activité médicale. Dès début avril, j'ai commencé chez Medadom, avec qui j'avais eu des contacts quelques mois plus tôt. Ce qui m'a attiré vers cette plateforme plutôt qu'une autre, c'est le système sans rendez-vous. Moi, j'ai toujours travaillé comme ça, sauf la dernière année au cabinet. J'ai toujours considéré que les maladies ne prenaient pas rendez-vous. 

Depuis deux ans, j'exerce 10 heures par semaine chez Medadom, par vacations de deux heures, les lundis, mercredis et vendredis. Chez Medadom, on est 500 médecins et il y a beaucoup de retraités qui, comme moi, exercent 10 heures. Pour moi, c'est le rythme idéal : je peux vivre à côté, je travaille de chez moi, dans une pièce dédiée. Quand on travaille de 10h à midi, à midi c'est fini. On n'est pas obligés de prolonger une heure ou deux comme en cabinet parce que la salle d'attente est pleine… 

 

"40% des recettes" 

La rémunération est aussi idéale de mon point de vue. En tant que salarié, on a une rémunération fixe à laquelle s'ajoute une rémunération variable pour les médecins qui font au moins 4 actes à l'heure en moyenne : on touche alors 40% des recettes. Donc en pratique, on est rémunérés en partie à l'acte ! Globalement, avec ma retraite, je gagne autant que lorsque j'étais installé… sans les soucis d'organisation du cabinet. 

Franchement, je suis emballé par la téléconsultation, je ne vois que des avantages à cet exercice. On est là pour alléger l'activité des cabinets, pour désencombrer les urgences. On collabore avec les pharmacies. C'est très ludique comme activité. Je vois entre six et huit patients par heure, à peu près. Ils défilent, chaque fois avec un problème, comme au cabinet ou en garde. On interroge le patient, on l'examine comme on peut, on prend une décision et on discute. J'ai toujours aimé ce contact avec les patients.  

La moitié de nos actes sont réalisés sur les télécabines installées dans les officines. Bon, le stéthoscope connecté, soyons honnête, parfois, ça ne donne pas grand-chose. En revanche, l'otoscope est plus performant qu'au cabinet. Il m'arrive d'envoyer les patients dans les cabines à proximité pour pouvoir examiner leur oreille. L'examen clinique, c'est bien, mais ça ne me manque pas. J'ai donné pendant toute ma carrière ! Evidemment, il m'est arrivé de dire à un patient que ce n'était pas possible de traiter son problème à distance. Je serais un mauvais médecin si je vous disais le contraire… 

 

Des indications "parfaites" et des motifs "impossibles" 

En fait, il y a des motifs parfaits pour la téléconsultation. Puis des motifs imparfaits, mais pour lesquels en ce moment, c'est mieux que rien. Et des motifs impossibles. 

Dans la dernière catégorie, je range...

les certificats de sport par exemple. Quand on voit ce motif, on annule, tout simplement. Il y a des anecdotes amusantes… Un jour, j'ai eu à l'écran un monsieur seul dans sa voiture : il me présente les trois carnets de santé de ses enfants et me dit qu'il lui faut un certificat de sport pour chacun d'entre eux… Pour les patients, c'est vraiment une formalité !  

Le gros problème, c'est le ventre, la douleur abdominale. Quand c'est une gastro-entérite évidente, on traite. Mais au moindre doute, quand il y a juste une douleur et des vomissements par exemple, on assure la téléconsultation, on discute, on interroge les patients mais très vite on leur dit qu'on ne peut les rassurer en téléconsultation, alors on leur fait un courrier pour les urgences ou pour un médecin, s'ils en trouvent un.  

Autre exemple, les morsures et griffures de chiens ou de chats. On en a beaucoup discuté entre nous car c'est à très haut risque médico-légal. On a décidé que dès qu'on était confrontés à ce motif, on renvoyait vers les urgences, de préférence les urgences mains. 

Evidemment, il y a plein de situations où l'on considère qu'on ne peut pas aller plus loin en TC… Si on s'en aperçoit très vite, on annule car on y a passé très peu de temps. Mais si on a développé le sujet, on facture car on a travaillé dessus, qu'on a rédigé un courrier, etc. 

Il y a aussi le problème des douleurs thoraciques. En principe, les patients devraient savoir qu'en cas de douleur thoracique il faut appeler le 15. Mais en pratique, ce n'est pas toujours le cas… On se retrouve donc face à des patients avec des douleurs thoraciques suspectes ; dans ces cas-là, on appelle le 15 nous-mêmes, comme je le faisais avant en libéral. C'est pour moi un argument majeur en faveur de la téléconsultation : on soigne les gens en temps réel ! Ils ont un symptôme, ils nous appellent. Alors qu'aujourd'hui, les patients ne peuvent plus consulter au cabinet avant plusieurs jours…  

 

"Tous les jours on voit des patients qui n'ont plus de médecin traitant" 

Pour beaucoup de confrères, les déserts médicaux restent abstraits. Pour nous, c'est concret. Tous les jours, on voit des patients qui n'ont plus de médecin traitant… Le médecin a pris sa retraite, il est malade, il n'est pas disponible avant trois semaines… On voit souvent aussi des gens qui viennent de déménager dans une autre région et qui, en pratique, ont très peu de chances de retrouver un médecin. On voit tous les jours l'étendue du désastre. La téléconsultation, c'est vraiment un très bon observatoire. Jamais je n'aurais imaginé ça, moi qui, à mes débuts en 1984, voyais 3 patients par jour et enchainait les gardes pour survivre… 

Cette activité chez Medadom, je la compare à toutes les gardes que j'ai faites dans le passé. C'est du soin non programmé, il n'y a pas de suivi. 

Ce qui pose problème, ce sont les renouvellements d'ordonnance. Le patient diabétique, ou hypertendu, dont le médecin traitant est indisponible - ou bien qui n'en a plus. On a fixé une règle : on peut renouveler le traitement pour un mois, trois fois de suite maximum pour un même patient. On ne peut pas se permettre de renouveler un traitement plus longtemps, même si certains patients trouvent que c'est facile de passer par nous… 

De même, certaines femmes ne renouvellent leur pilule qu'en TC. Quand on me demande la pilule, je déroule mon interrogatoire : la date du dernier frottis, de la dernière biologie, de la dernière consultation au cabinet, la tension, le tabac, etc. Et vous savez ce que me disent certaines patientes ? Que c'est la première fois qu'on leur pose toutes ces questions! Si la patiente est à jour de son suivi, on peut renouveler pour trois mois. Autrement, il faut cadrer : il m'arrive parfois de faire la morale, voire de refuser quand la patiente abuse de façon évidente…  

Une plateforme de téléconsultation, c'est un observatoire majeur de la santé. Je vois beaucoup d'IST par exemple. C'est commode pour les patients, qui peuvent appeler discrètement. Il y a énormément de demandes… Il n'y en aurait pas autant si les gens se protégeaient, mais c'est ainsi. C'est un motif très fréquent et une bonne indication pour la TC. Tout comme les cystites, la crise de goutte, les petits bobos du quotidien… Le terme ne convient pas à tout le monde, mais c'est vrai qu'on fait beaucoup de bobologie. Ce qui n'empêche pas d'avoir des cas plus pointus, pour lesquels je n'hésite pas à passer plus de temps si nécessaire.  

 

Abus de prescriptions : "en ville, c'est pareil" 

Certains confrères nous reprochent des prescriptions abusives d'antibiotiques. Je me suis toujours battu dans ma carrière pour ne pas donner trop d'antibiotiques, j'étais en-dessous de la moyenne. Et je vais vous dire une chose : c'est beaucoup plus facile de refuser des antibios inutiles aujourd'hui que ça ne l'était au cabinet face à ma patientèle... Même s'il est vrai qu'il y a des situations où l'on se "couvre" parce qu'on a un doute qu'on ne peut pas éliminer avec un examen clinique. Mais globalement, j'estime que j'en donne beaucoup moins. 

Quant aux abus de psychotropes, d'antalgiques de palier 2 ou encore aux compléments alimentaires… on n'hésite pas à dire non ! Evidemment, vous allez toujours trouver des collègues un peu plus souples, qui acceptent plus facilement, mais en ville c'est pareil ! 

Honnêtement, je me serais sans doute senti très incompétent si j'avais fait de la téléconsultation en début de carrière… Mais c'est un vrai plaisir à mon âge, car j'ai toute mon expérience en tête. 

Chez Medadom, il y a beaucoup de médecins retraités qui ne font que ça. Et on a tous reçu une lettre du conseil de l'Ordre au sujet de l'exercice exclusif en télémédecine… Moi j'ai reçu un courrier recommandé en avril 2022. J'ai répondu par une belle lettre racontant ma vie. Ils m'ont demandé de revenir à la limitation de 20%... Mais je fais toujours 100%, puisqu'à côté de mes 10 heures de vacations, je n'ai pas d'autres activités. Par contre, je comprendrais mal qu'un jeune médecin ne fasse que ça. Il semblerait que ce plafond soit prochainement relevé…Et il pourrait y avoir des dérogations pour les retraités, les femmes enceintes et autres situations particulières dans lesquelles on accepterait l'absence de limitation. Nous verrons. 

A côté de ces vacations, j'ai des fonctions bénévoles, axées sur la formation. Tous les 15 jours, je suis chargé d'éditer une newsletter sur un sujet médical. Quand un nouveau médecin arrive, je lui envoie un mail avec toutes les informations pratiques. L'an dernier, on m'a demandé à trois reprises d'animer des formations DPC que Medadom propose en interne. Et enfin, je suis un peu le modérateur du forum interne. Ce qui est bien aussi sur ce forum, c'est qu'on a à la fois des jeunes et des vieux : nous, les vieux, on apporte l'expérience aux plus jeunes et les jeunes nous apportent les connaissances plus récentes qu'on n'a pas forcément apprises. Non vraiment, je ne vois aucun inconvénient à cet exercice." 

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