Déconventionné, ce généraliste facture sa consultation au temps passé : "Je ne gagne pas mieux ma vie qu'avant"
Depuis le 1er janvier, plusieurs affiches dans la salle d'attente informent les patients des nouveaux tarifs des consultations. "Exaspéré" par les dernières négociations conventionnelles, le Dr Christophe Juniot a décidé de claquer la porte de la Sécu et de se déconventionner à compter du 1er janvier 2024. "Il y a un an je n'y pensais pas du tout, j'ai été poussé par les négos. Les consultations sont de plus en plus longues et difficiles, les patients de plus en plus âgés avec des pathologies lourdes et on nous demande de travailler plus vite avec moins de moyens", s'insurge le médecin de famille.
Installé à Villebois-Lavalette depuis 26 ans, le médecin "tournait dans sa tête depuis un an" ce projet de déconventionnement. Quelques mois avant de sauter le pas, il a déposé un document de plusieurs pages expliquant son départ de la convention et affichant les nouveaux tarifs. Les patients doivent désormais débourser 37,50 euros pour une consultation de 15 minutes. Les cinq minutes supplémentaires sont facturées 12,50 euros. "Je ne l'applique pas vraiment. Cette formulation était maladroite, mais c'est le tarif horaire", plaide le Dr Juniot.
Sur ses 15 premiers jours d'activité, le médecin de famille a facturé 80% de ses consultations à 37,50 euros. 20% des patients ont quant à eux réglé 50 euros "pour 30 minutes de consultation", précise le praticien, qui voit en moyenne deux malades par heure. "Si un patient arrive avec trois pathologies, je prendrais peut-être 75 euros, mais je fais également des actes gratuits ou des baisses de tarif", explique-t-il.
"Anxiogène"
Lors de la consultation, les patients signent un document avec les tarifs horaires, qu'ils remettent au médecin. Ils savent donc qu'ils ne seront remboursés par l'Assurance maladie qu'à hauteur de 61 centimes d'euros. "Je vis une expérience très anxiogène. La plupart des patients comprennent, d'autres me demandent leur dossier pour aller voir un confrère. En quinze jours, j'ai déjà perdu entre 15 et 20 patients", remarque le praticien.
"A 26,50 euros la consultation, plus en moyenne 4,15 euros de forfait, je touchais 31 euros par acte avant d'être déconventionné. Aujourd'hui je ne gagne pas mieux ma vie qu'avant. Je perds tous les forfaits et la prise en charge des cotisations sociales", souligne le généraliste, qui rappelle que le tarif moyen des médecins déconventionnés est de 50 euros. "Mais je ne regrette pas, je prends le temps, je me sens libre. C'est un échange gagnant / gagnant. Je reprends du plaisir à exercer. En sortant de la convention je préserve ma santé avant même de tenter de préserver mes revenus", confie Christophe Juniot. "Vocation ne veut pas dire sacerdoce", résume-t-il.
"Le système est vicié"
Sur Google, trois avis de patients ont été rédigés depuis son déconventionnement. "Il faut beaucoup de courage pour se déconventionner. On rappelle à toutes fins utiles que le problème vient de l'assureur, donc la CPAM et non du médecin", relève l'un d'eux. "Médecin très compétent, vraiment à l'écoute. A pris le temps de m'examiner comme ça se faisait à l'époque des vrais médecins de famille. Alors oui ce médecin n'est plus conventionné mais cela ne retire en rien de ces compétences ! Combien de fois nous ressortons de chez le médecin avec une sensation de ne pas avoir été écouté et mal conseillé, d'avoir eu une consultation bâclée ! Je remercie le docteur Juniot pour son professionnalisme", encense une autre patiente.
Ces deux patients semblent avoir bien compris les arguments de leur médecin de famille, qui estime que "l'idéal" serait d'indexer le tarif de la consultation "à la durée réelle que consacre le médecin à son patient. En effet, un médecin qui voit un patient toutes les dix minutes tout au long de ses journées de travail gagne deux à trois fois ce que son confrère plus lent (ou plus consciencieux) peut espérer". "Aujourd’hui, le système est vicié", constate Christophe Juniot, qui voit "poindre à l'horizon une financiarisation de la santé, c'est-à-dire un abandon de notre système de soin aux grands groupes financiers (en particulier les fonds de pensions américains, canadiens, anglais et saoudiens), via une tentative de forfaitisation totale de nos revenus".
"Qualité " des consultations
Des explications qui ne font pas mouche pour tout le monde. Sur Google comme au cabinet, tous n'acceptent pas de devoir payer plus sans être remboursés. "On ne peut plus dire que c’est un médecin mais seulement un businessman. Se déconventionner pour gagner plus d’argent sans se soucier que les patients ne soient plus remboursés, facturer les minutes passées au-delà de 15 minutes… Il est urgent de laisser la place à un vrai médecin généraliste avec la vocation d’accompagner les patients tout au long de leur vie", tacle une dernière patiente "Se déconventionner pour moi au 01/01/24 ne me permettra pas de gagner plus mais de préserver la "qualité" et la tranquillité de mes consultations face à la volonté du gouvernement de saboter notre métier", lui rétorque le généraliste sur Internet.
D'autant que pour le Dr Juniot, cette absence de remboursement ne repose sur aucune base légale. "Les patients de médecins déconventionnés ne sont remboursés qu'à hauteur de 61 centimes alors qu'ils cotisent tous de la même manière. A cotisations égales, chaque citoyen devrait être remboursé du même montant, qu'il consulte un médecin conventionné ou non. En Belgique tous les patients sont remboursés alors que 25% des médecins sont déconventionnés", constate le praticien qui admet par ailleurs que si le secteur 2 était ouvert à l'ensemble des généralistes [aujourd'hui seuls ceux ayant effectué un clinicat y sont éligibles, NDLR], il ne se serait "jamais déconventionné".
Faire confiance aux médecins
Christophe Juniot ne ferme d'ailleurs pas totalement la porte à la convention médicale. Il pourrait envisager de se reconventionner, "si plus de confiance était donnée aux médecins, notamment avec moins de contrôles", confie-t-il. "Quand on fait confiance aux médecins, tout se met en place", juge le praticien en citant l'exemple des centres de vaccination pendant la pandémie de Covid.
Car le Dr Juniot reste un médecin généraliste engagé. Maître de stage depuis 8 ans, il compte continuer à former des internes. "Je suis heureux que le département de médecine générale ait continué à me faire confiance. Ils sont au courant de ma décision", se félicite le praticien qui a réussi à convaincre deux internes de s'installer dans son désert médical pour la fin 2024.
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