"Vu la crise, ça me paraissait évident que je vienne", confie François, étudiant en 5e année de médecine à Lille. À 24 ans, le jeune homme se rend plusieurs fois par semaine, après les cours ou pendant ses journées de révision, au Samu de la plus grande ville du Nord pour "filer un coup de main" aux équipes. Comme lui, plus de 150 jeunes viennent, pour certains quotidiennement, prêter main-forte aux régulateurs. Tous issus de 3e, 4e ou 5e année de médecine. "On a reçu un énorme soutien de la corporation des étudiants et du doyen de la faculté de médecine de Lille", se réjouit le Dr Patrick Goldstein, chef du service des urgences du CHU de Lille et chef du Samu. Infirmières, secrétaires médicales et autres professionnels de santé ont également proposé leur aide. Une nouvelle salle dédiée à la régulation sera même ouverte pour le week-end dans une école d'infirmière car "les personnes n'ont même plus de postes pour s'asseoir", rapporte le praticien.
Cacophonie ambiante Depuis le début de l'épidémie de coronavirus en France, le Samu 59 s'est, en effet, retrouvé inondé par les appels de personnes inquiètes pour leur santé ou contaminées. L'avalanche de cas dans l'Oise, l'un des principaux foyers en France, n'a pas arrangé la situation puisque de nombreux appels ont été transférés au siège de Lille. "On reçoit au moins 4.000 appels par jour, ce qui représente une hausse de 200%", précise le Dr Patrick Goldstein. Dans cette cacophonie ambiante, l'important reste de séparer "ce qui est de l'ordre du flux du 15 habituel" de ce qui relève de l'alerte coronavirus. Ensuite, "dans l'alerte coronavirus, il faut d'emblée discriminer ce qui est une urgence médicale de ce qui n'est pas grave", explique le praticien.
Depuis ce matin 8h00 Activation Salle Régulation SAMU supplémentaire dédiée #coronavirus avec des personnels volontaires : secrétaires, infirmiers, ARM, étudiants médecine,.... @SamuNord @chu_lille @medecine_Ulille @ARS_HDF pic.twitter.com/mQCxPiXXoO
— SAMU du Nord (@SamuNord) February 27, 2020
C'est à ce moment-là, après ce premier tri, que les étudiants, rémunérés à hauteur du Smic, interviennent. "Ils vont soit orienter les appels vers un médecin régulateur si nécessaire, soit, s'il s'agit d'une demande de renseignement ou d'une inquiétude, basculer les appels vers les plateformes d'Etat, avec le 0800 130 000, ou sur celle mise en place par la préfecture", explique Patrick Goldstein. Aucune décision médicale n'est toutefois exprimée par ces futurs médecins, qui se limitent aux conseils médicaux et d'hygiène. "Ils vont aussi ouvrir des dossiers, ce qui va permettre de libérer les assistants en régulation médicale pour d'autres urgences", assure le chef du Samu.
Débordés Avant de se "jeter dans le grand bain" et de prendre en charge les appels lui-même, François a bien sûr suivi une courte formation théorique de 4 heures auprès d'un régulateur. Puis il a été accompagné par un professionnel pendant une autre demi-journée. "Finalement, les régulateurs étaient tellement débordés qu'ils ont fini par déléguer les formations à d'autres étudiants déjà là depuis plus longtemps", raconte le jeune homme qui avait déjà fait un stage aux urgences. À l'origine de cette mobilisation estudiantine, il y a notamment Armand, actuellement en 5e année de médecine et élu étudiant. Ancien président de l'Association corporative des étudiants en médecine de Lille (ACEML), il a été contacté avec d'autres membres pour "rechercher des volontaires" par le biais du bouche-à-oreille et des réseaux sociaux. "Avec un autre camarade, Antoine Bidault, on récupère les disponibilités des étudiants et on propose des plannings à la cadre du Samu. Le but est de ne pas provoquer de surcharge au service. On s'adapte à n'importe quelle demande", explique le jeune homme. Psychose Dès le 27 février, Armand était l'un des premiers sur le pied de guerre, prêt à répondre aux appels. Depuis, il passe chaque jour entre 2h et 6h au Samu. "Mardi, rien que pour la cellule coronavirus, on a reçu plus de 900 appels, sans compter ceux destinés au 15", témoigne-t-il. Après un stage au centre antipoison, l'étudiant n'a eu aucun problème à prendre en charge la réponse téléphonique.
Fière de ses étudiants et de leur engagement au côté du centre de régulation @SamuNord #COVID-19, la Faculté de Médecine s’honore de leur mobilisation @PatrickGoldste4 @CHU_Lille @ACEMLille @univ_lille @ARS_HDF https://t.co/ZCYekpt45o
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"Ils ne prennent certainement pas [l'exercice] comme un jeu. Ils ont déjà très jeunes un sens de la valeur médicale donc ils prennent ce rôle comme un engagement et comme une expérience professionnelle importante pour eux", constate le chef du Samu. Dans les appels reçus par les étudiants, 90% concernent de la "réassurance", des inquiétudes ou des cas qui peuvent être traités par des médecins généralistes. François a, par exemple, rassuré une femme qui craignait de pouvoir être contaminée par son chat. Armand, lui, a recueilli les inquiétudes d'un homme travaillant dans un quartier chinois. "Je préfère que quelqu'un m'appelle avec des propos saugrenus qu'il aille aux urgences. C'est une perte de temps pour le personnel hospitalier", estime François. Un avis partagé par son camarade pour qui il est nécessaire de "faire de la pédagogie sans jugement". Pour Armand, cette surcharge au sein du Samu s'explique par la "psychose ambiante" : "Beaucoup de gens s'inquiètent à tort ou à raison. Ce qui fait qu'on a une sur-déclaration de n'importe quel état grippal." De son côté, François observe un important renforcement médiatique : "Quelques minutes après le JT de 13h ou de 20h, on a une augmentation des appels, des anxiétés." Virage ambulatoire "C'est en train de nous pénaliser, déplore le Dr Goldstein. Des gens ont simplement un rhume, appellent leur médecin traitant qui leur dit d'appeler le 15, et le 15 leur dit d'appeler leur médecin traitant. C'est le diable qui se mord la queue."
"Je comprends les inquiétudes et les difficultés des médecins généralistes, mais il est urgent que chacun prenne sa part de responsabilité", alerte le chef du Samu de Lille qui juge nécessaire d'engager un "virage ambulatoire". Selon lui, il serait par exemple possible d'ouvrir les maisons médicales de garde en journée pour que "des généralistes et des infirmières, dans de bonnes conditions, puissent assurer ce qui ne relève pas de la prise en charge hospitalière". En visite au Samu de l'hôpital Necker mercredi 11 mars, le président de la République a, lui aussi, renvoyé les patients aux symptômes légers vers les généralistes. Un discours qui a provoqué la colère de nombre d'entre eux, jugeant inadmissible d'être envoyés en première ligne sans équipement. Retrouvez notre direct sur l'épidémie de coronavirus ici.
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