Macron convaincant, mais... Trois syndicats de médecins décryptent les mesures du déconfinement

15/04/2020 Par Marion Jort
Syndicalisme
C’est dans une allocution de plus de 27 minutes que le président de la République, Emmanuel Macron, a dessiné les contours du déconfinement, deux mois après l’arrivée de l’épidémie de coronavirus sur notre sol. Confinement prolongé jusqu’au 11 mai, test des personnes symptomatiques, réouverture des écoles et maintien de la fermeture des espaces accueillant le public, le chef de l’Etat a fait son mea-culpa en se montrant toutefois ferme sur les mesures à suivre. Qu’en pensent les représentants de médecins ? Egora a posé la question au Dr Luc Duquesnel (Les Généralistes-CSMF),  au Dr Jean Paul-Hamon (FMF), et au Dr Franck Devulder (Les Spécialistes-CSMF).

 

Egora : Dans son allocution, Emmanuel Macron a reconnu que la France n’était “pas assez préparée” et a admis des “failles” et des “insuffisances” face à une épidémie d’une telle ampleur. Est-ce votre sentiment ? Que vous inspirent ces déclarations ? 

Dr Hamon : J’ai trouvé que son intervention était remarquable. Qu’il commence par critiquer ouvertement son administration qui n’était pas à la hauteur, c’est bien. C’est un mea-culpa. Ensuite, il a fait preuve d’empathie en essayant de n’oublier personne, même s’il n’a pas mentionné les auxiliaires de vie, qui sont allées travailler quasiment sans protection. Il a aussi reconnu que les personnes qui tiennent le pays en état ne sont pas assez payées… Il y a un versant social auquel nous n’étions pas habitués. Il a dit qu’il allait changer, on va faire semblant de le croire. On verra comment cela se passe.  

Dr Duquesnel : A travers ce qu’ont vécu nos confrères des régions Grand Est, d’Ile-de-France et du Nord, nous n’avons cessé de dénoncer le manque de matériel. C’est bien de le dire, mais le problème existe toujours. Dans cette communication présidentielle, il a également été peu question des points majeurs qui nous concernent nous, médecins généralistes, médecins traitants sur le terrain. Il n’a pas non plus été question des Ehpad : il y a, aujourd’hui, des vraies vagues liées à l’absence de préparation.  

Dr Devulder : C’est évident et nous nous en sommes tous émus. L’absence de masque est certainement le point qui a le plus choqué tout le monde. Les professionnels de santé ont été envoyés au front sans équipement, même si personne ne s’attendait à une vague pareille. Les politiques publiques, avant la présidence d’Emmanuel Macron, ont fait disparaître les stocks de masques. Et puis, on a également vu la difficulté d’aller tester, avec des tests PCR, qui étaient pourtant extrêmement nécessaires. Même si aujourd’hui les choses s’aplanissent, il a eu des attitudes étranges : alors que certains patients étaient infectés par le Covid et étaient hospitalisés, certaines cliniques restaient vides… Aujourd’hui, les masques arrivent, les tests également. La pandémie, et la hauteur de la vague, ont été telles qu’il a fallu que chaque acteur du système de santé trouve sa place.  

 

Pour lutter contre la pandémie, le président a annoncé le confinement “le plus strict” qui devra se poursuivre jusqu’au 11 mai, date à partir de laquelle les crèches, écoles, collèges et lycées rouvriront "progressivement" mais pas les lieux rassemblant du public. Cette échéance vous paraît-elle cohérente ? 

Dr Duquesnel : Très clairement, je pense que ce n’est pas à nous de juger. A mes yeux, la problématique n’est pas de savoir si c’est trop tôt mais...

de savoir dans quelles conditions cela va pouvoir se faire.  

 

Dr Devulder : C’est difficile de répondre à cette question. Il y a deux enjeux : à la fois sanitaire et économique. Concernant l’enjeu économique, je laisse le soin aux professionnels de l’analyser. Sur le plan médical, je me réjouis d’avoir entendu, sans dire “enfin”, cette date. Cela correspond à l’appel que nous poussons depuis quelques temps qui consiste à dire “attention, il n’y a pas que le Covid, on peut avoir d’autres pathologies”. Je rappelle qu’il ne faut pas attendre pour se faire soigner. Il y a une deuxième chose : Nous médecins, professionnels de santé, devons-nous mettre au travail pour trouver, avec le Gouvernement et le ministre de la Santé, les bonnes mesures pour aller vers un confinement progressif.  

Dr Hamon : Il a fixé une date suffisamment lointaine. Là où ça pèche, c’est dans la réouverture des écoles, même progressive. On comprend qu’il doit y avoir la pression du Medef derrière, parce que si on rouvre les crèches et écoles, c’est pour remettre les parents au travail. Or, dans l’état actuel des choses, c’est imprudent. Même si, encore une fois, ce n’est pas une date définitive. Il y a quand même le risque de faire repartir l’épidémie qui n’est pas terminée. Ce n’est pas parce qu’il y a cent personnes de moins en réanimation qu’il faut se dire que tout est terminé. En dehors des écoles, je pense qu’il n’a pas fait d’erreur.  

 

Le chef de l’Etat a toutefois évoqué un prolongement du confinement pour les personnes vulnérables au-delà du 11 mai…  

Dr Duquesnel : Cela doit être la priorité. On sait que la mortalité chez ces patients est plus importante. On doit absolument les protéger. On parle beaucoup de celles qui sont en Ehpad, je pense aussi à toutes celles qui sont à domicile, avec de multiples intervenants : médecins, infirmiers, centres sociaux. Sinon, ces patients à domicile vont se retrouver dans la même situation que les Ehpad.  

Dr Devulder : On sait que les personnes vulnérables, les personnes âgées en particulier, mais aussi les personnes souffrant de pathologies chroniques ou de maladies graves, sont plus à risque. L’objectif, avec les mesures de confinement, c’est de diminuer la vague de l’épidémie et d’éviter que ces personnes ne soient trop atteintes ou qu’elles risquent la réanimation. Préservons donc nos aînés. Même si le président a dit que ces mesures seraient assouplies, en permettant des visites dans des conditions sécurisées. C’est un exercice difficile car il ne faut pas oublier que nous avons une crainte :...

qu’une deuxième vague reprenne, comme c’est le cas en Chine. 

Dr Hamon : Oui, c’est important. On ne va pas revenir sur le passé, mais les Ehpad paient un lourd tribut lié à l’impréparation de la chose. 

 

Emmanuel Macron a également promis un masque pour tous les Français à partir du déconfinement. A l’heure actuelle, des professionnels de santé peinent encore à s’en procurer et le sujet fait débat. Est-ce une bonne décision ? 

Dr Hamon : On ne sait même pas s’il y en aura assez. Ce que je note toutefois, c’est que les Français sont en train de se prendre en main et se fabriquent eux-mêmes leurs masques. Dans la gestion, sur ce point, la faillite de l’administration centrale est épatante. Si les Français ont des masques, et peuvent en porter un au moment du déconfinement, c’est grâce aux régions qui se sont mobilisées, aux initiatives locales et individuelles.  

Dr Duquesnel : Cela fait partie des éléments nécessaires, mais ce n’est certainement pas suffisant. On va aussi voir quelle sera la discipline des Français dans le cadre de ce déconfinement. Comment ils vont se comporter, s’ils vont être conscients du risque. D’autant plus dans les régions qui n’ont pas été très touchées. La partie est loin d’être gagnée. Il faut également faire attention aux vacances : sur la plage, il faudra mettre sa serviette à un mètre les uns des autres.  

Dr Devulder : Oui, c’est essentiel. Evidemment, cela risque de modifier notre vie, mais finalement, on observe déjà ce changement chez les Français. Cependant, il y a encore ces problèmes d’approvisionnement, même si j’ai lu, comme beaucoup, les récentes annonces du ministre de la Santé en la matière. Il y aura un “après” et il faut que les personnes s’occupant des organisations professionnelles se retrouvent autour d’une table pour prévenir la crise suivante, au cas où elle arriverait. Tout est une question de durée.  

En plus des masques, le président a déclaré que toute personne présentant des symptômes du Covid-19 devra être testée. Est-ce suffisant ? 

Dr Hamon : C’est ce qu’a fait la Corée. D’ici 15 jours, les biologistes qui font des tests PCR disent qu’ils seront en capacité de faire 100.000 tests par jour, contre 30.000 aujourd’hui. Et il y aurait 900 laboratoires capables de le faire. Donc, à partir du déconfinement, on devrait être en capacité de tester beaucoup de monde. Les personnes symptomatiques, c’est un minimum. Il faudrait aussi tester...

toutes les personnes qui pensent avoir contracté le virus et qui n’ont pas été dépistées. Finalement, testons le plus de personnes possibles pour pouvoir faire des statistiques valables.  

Dr Duquesnel : Je pense que les professionnels de santé doivent être testés régulièrement, même s’ils sont asymptomatiques. On ne peut pas se permettre de voir des patients et de risquer de les contaminer. L’enjeu, aujourd’hui, c’est de pouvoir tester les professionnels de santé qui interviennent auprès des personnes âgées. Malheureusement, on ne pourra pas tester tout le monde, cela a été dit par le ministre de la Santé. Nous allons donc penser et imaginer, en tant que professionnels de santé, ce déconfinement. Il va falloir qu’on réfléchisse aux organisations professionnelles à mettre en place pour protéger nos salariés. 

Dr Devulder : Je ne peux pas me mettre dans la peau d’un infectiologue ou d’un épidémiologiste. Les chiffres annoncés chaque soir par le Pr Salomon montrent qu’il y a moins de 60% de la population contaminée. Donc, le risque est important de se retrouver en contact avec le virus. Il est d’autant plus important quand on est professionnel de santé, de par notre profession. J’imagine donc mal comment ne pas tester, de manière automatique, ces professionnels.  

 

Malgré tout, le risque de contamination par les personnes asymptomatiques existe… 

Dr Devulder : La vraie difficulté, c’est de savoir si nous sommes en mesure, aujourd’hui, de tester 100% de la population. Les pouvoirs publics disent que, malgré le nombre de tests qui augmente, on ne pourra pas le faire. Idéalement, tant qu’on n’a pas atteint un pourcentage de personnes infectées qui dépasse les 60%, l’infection virale risque de continuer à progresser. Du moins avant l’apparition d’un vaccin. En attendant, il faut également réfléchir sur les mesures barrières. L’idée d’une application qui permet de savoir si on est entré en contact avec une personne infectée n’est pas une mauvaise chose. Mais cela est plus indispensable encore pour les professionnels de santé, qui touchent, côtoient ces patients.  

Dr Hamon : Si le tracking se met en place, ce serait effectivement bien de pouvoir repérer et tester l’entourage. Mais à condition que Apple et Google ne récupèrent pas toutes les données de cette application. Il faut être très strict, que ce soit une mesure temporaire.  

Dr Duquesnel : Ce n’est pas une de nos attentes, car il faudrait le faire tous les jours. En revanche, on sait que ça va être une demande des patients, de savoir s’ils sont positifs ou pas. Je ne suis même pas sûr qu’on ait assez de tests. La priorité devra être donnée aux...

patients symptomatiques, l’économie aura repris : ils vont aller travailler et ne devront pas contaminer d’autres collègues. Il faudra pouvoir les mettre en quarantaine, pour ne pas contaminer leur famille… malgré tout, l’école aura repris. Ce déconfinement ne va pas être simple.  

 

A la fin de son allocution, le président a déclaré : “Sachons nous réinventer, moi le premier”. Que faudrait-il réinventer en premier, selon vous ?  

Dr Duquesnel : Je crois qu’au niveau du premier recours, on n'a pas attendu son discours : on s’est déjà réinventés. On voit l’organisation mise en place, par exemple, dans les centres Covid, où on travaille dans les tenues de blocs avec des surblouses, où on abandonne les tenues civiles, on prend des douches après les gardes. Ce sont des choses que je n’ai jamais pratiqué après 30 ans d’exercice ! On a déjà inventé de nouveaux modes d’exercice pour prendre en charge les patients, ne pas les abandonner et puis pour protéger le reste de la population et soi-même. Tant qu’il n’y a pas de vaccin, on va être amenés à travailler autrement. Et se poser les bonnes questions : Est-ce que le fait d’avoir mis en place des centres Covid a permis d’éviter de contaminer, est-ce qu’on a moins de professionnels contaminés, moins de patients contaminés ? Il faudra analyser la situation dans chaque département.  

Dr Hamon : S’il réinventait un système de santé qui marche, ça ne serait pas mal. Avec une médecine de ville qui tient sur ses deux jambes et un hôpital qui travaille dans de bonnes conditions… Si je compare avec l’Allemagne, ils ont moins de lits que nous, mais ils ont cinq fois plus de place en réanimation que nous. Cela veut dire qu’ils s’appuient sur une médecine libérale qui est forte, même s’ils sont, eux aussi, confrontés à un problème de désertification. C’est donc cela qu’il faut réinventer : la médecine libérale doit redevenir attractive et il doit y avoir une vraie collaboration entre la ville et l’hôpital. Cela demande certes un budget, mais comme la planche à sous est ouverte… J’espère qu’il va en tenir compte.  

Dr Devulder : Le médecin que je suis, le syndicaliste que je suis, entend deux choses. D’abord, un “préparons-nous” à la prochaine pandémie. En termes de masques, de protection des personnels, de solutions hydroalcooliques. Et puis d’autre part, je pense que demain ne sera plus pareil. Cette crise Covid, finalement, est un accélérateur de modifications auxquelles nous aspirons. On voit le boom de la téléconsultation, on demande que la téléexpertise prenne son envol. Mettons de la liberté dans...

notre système de soins. Demain sera basé sur l’innovation, nous irons vers plus de qualité, d’expertise, de pertinence. On nous parle de prévention tous les jours : mettons ce sujet sur la table que nous puissions honorer une prévention digne de ce nom, y compris avec des consultations de prévention.  

 

Avez-vous des regrets dans la manière dont le Gouvernement a géré la crise Covid ? 

 Dr Duquesnel : Nous notons la faillite des ARS qui ne se sont préoccupées que des services de réanimation et des services d’urgence où parfois, il n'y a pas eu spécialement d’afflux. Elles ont laissé de côté ce qui était l’organisation du premier recours. On le voit dans des régions comme le Centre-Val-de-Loire, la Nouvelle-Aquitaine, que des généralistes, avec l’appui d’autres professionnels de santé, ont mis en place des centres Covid et les ARS ont refusé de mettre ces professionnels sous le régime de la réquisition alors qu’il y a un arrêté ministériel du 28 mars qui le permet. On regrette le temps de la Direction départementale d’action sanitaires et sociale qui était beaucoup plus proche du terrain face à une crise qui pouvait arriver.  

Dr Devulder : C’est facile de juger les choses a posteriori. Cependant, il a fallu prendre des mesures strictes de confinement pour obliger les gens à rester chez eux. Ces mesures ont permis d'aplatir la courbe de l’épidémie, laissant la possibilité à l’ensemble de la réanimation de faire face. Mais d’un autre côté, on a tellement ancré cela dans l’esprit des personnes, qu’elles ne se font pas soigner.  Notre message aujourd’hui est le suivant : Nous avons un certain nombre d’outils et nous prions les patients malades d’aller consulter leurs professionnels de santé.  

Dr Hamon : Ce confinement est trop strict. Je pense qu’il faut laisser aux gens la possibilité de respirer. On ne peut pas fermer complètement les parcs, les forêts, les plages. Plutôt que d’avoir quelque chose de sévère, on pourrait ouvrir ces espaces pour un nombre de personnes limitées. A commencer par les gens qui sont confinés dans de petits espaces, avec des enfants. A Paris, le jogging est interdit entre 10h et 19, c’est ridicule parce qu’il y a une volée de joggers qui partent tous en même temps. Enfin, si Emmanuel Macron dit qu’il souhaite qu’on redevienne indépendants sur le plan des protections nécessaires à la population et aux soignants, je dis qu’il faut aussi qu’on soit également indépendants sur la fabrication des tests et de certains médicaments.  

 


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François Pl

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