Idées suicidaires, humiliation, antidépresseurs : cette enquête montre à quel point les étudiants en médecine vont mal
“La santé mentale des futurs médecins est en danger !”, alertent plusieurs associations représentatives et syndicats d’étudiants en médecine, qui dévoilent, ce mercredi 27 octobre, une grande enquête sur le sujet. Alors que près de 40% des carabins présentent des symptômes de dépression au cours de leurs études, l’Anemf, l’Isnar-IMG et l’Isni ont voulu sonder les futurs médecins sur l’état de leur santé mentale, cherchant à comprendre quels en étaient les facteurs aggravants et quel est l’impact des maltraitances dont ils peuvent être victimes lors des stages. Idées suicidaires, troubles psychopathologiques, sentiment d’humiliation, harcèlement… Le constat est sans appel pour les auteurs de l’enquête. État des lieux.
Dépression, burn out, anxiété, épuisement, stress, violence… Ces mots sont depuis longtemps communément associés aux études de médecine. Malgré bon nombre d’alertes, de rapports, le constat reste le même au fil des ans : la santé mentale des carabins est en danger.
En 2017, quatre organisations représentatives d’étudiants en médecine, l’Anemf*, l’Isnar-IMG*, l’Isni* et l’INSCCA (aujourd’hui Jeunes Médecins, ndlr), ont déployé une vaste enquête afin de dresser un état des lieux précis de l’état de la santé mentale des étudiants d’alors. Sans surprise, le constat était alarmant : 66.2% des jeunes et futurs médecins présentaient des symptômes anxieux, 27.7% présentaient des symptômes dépressifs et 23.7% affirmaient avoir des idées suicidaires. Un constat qui, malgré tout, n’avait donné lieu à aucune réponse de la part des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé, qui ont néanmoins commandé, en 2019, un nouveau rapport sur le même sujet au Dr Donata Marra. Fruit d’une “longue mise en évidence” pour les syndicats, il n’avait pourtant pas fait ciller les ministères, qui s’étaient contentés de promesses d’engagement, sans réels actes. Celles concernant le respect du temps de travail, notamment.
Deux ans plus tard, où en est-on ? La crise sanitaire liée au Covid a permis de mettre en lumière l’engagement et la mobilisation des jeunes et futurs médecins… Mais aussi des tensions sur l’exercice du soin en ville comme à l’hôpital. Beaucoup d’internes ont été réquisitionnés pendant leurs stages, ont enchaîné les gardes et les heures pour prendre en charge le surplus de patients Covid, parfois même au détriment de leur propre formation et de leur santé. Leur situation, déjà précaire, a empiré. Des phénomènes qui ne sont pas sans conséquences pour les carabins.
L’enquête santé mentale relancée
Tous les ans, plus d’une dizaine d’étudiants en troisième cycle de médecine mettent fin à leurs jours. Selon la Fondation Jean Jaurès, un interne à trois fois plus de risques de se suicider qu’un Français du même âge de la population générale. Une étude parue l’an dernier estime, en effet, que le taux de suicide des internes est de 33 pour 100.000. A titre de comparaison, celui de la population générale pour la même tranche d’âge (25-34 ans) était de 10,9 pour 100.000 habitants en 2014. Depuis le début de l’année, quatre décès ont déjà été recensés officiellement. Furieux de l’inaction des instances étatiques, les étudiants en médecine se sont largement mobilisés au cours de ces derniers mois : organisation d’un rassemblement devant le ministère, campagne de sensibilisation massive sur les réseaux sociaux au moyen des #pronosticmentalengagé et #protègetoninterne... Une mobilisation suffisante pour pousser Frédérique Vidal et Olivier Véran à signer, en avril dernier, un grand plan pour prévenir et maîtriser les risques psychosociaux des étudiants en santé.
L’Anemf, l’Isnar-IMG et l’Isni ont également décidé de relancer l’enquête santé mentale** afin de réactualiser les données obtenues en 2017, mais aussi de rechercher d’éventuels...
facteurs aggravants, mesurer l’impact du temps de travail réellement effectué en stage, et enfin, estimer la prévalence des maltraitances (violences sexistes et sexuelles) chez les carabins. Il ressort d’abord des résultats, qui paraissent ce mercredi 27 octobre, une aggravation de la prévalence des symptômes anxieux : 75% des interrogés ont ainsi montré, cette année, des symptômes d’anxiété pathologique (+9% par rapport à 2017) et 39% des symptômes de dépression sur les sept derniers jours précédant leur réponse au questionnaire (+12%). Selon les organisations représentatives, plusieurs facteurs expliquent les épisodes dépressifs caractérisés, à commencer par le temps de travail hebdomadaire, mais aussi le harcèlement, les agressions sexuelles ou les difficultés financières.
Pour la première fois, les externes et les internes ont également été interrogés sur le syndrome d’épuisement professionnel, ou burn out. Et là aussi, le phénomène est massif : 67% des carabins ont estimé en souffrir. Les étudiants de premier cycle, eux, sont 39%.
“Le constat est sans appel : la santé mentale des étudiants en médecine s’est dégradée. La crise sanitaire ne saurait être la seule explication à une telle dégradation”, jugent les syndicats et associations représentatives en conclusion de leur enquête. Car au-delà des chiffres, ce qui se dégage de cette étude, c’est la relation très forte entre la santé psychologique des étudiants en médecine et internes avec leur études et conditions de travail. Pour aller plus loin dans l’état des lieux, une analyse lexicométrique a été réalisée à partir d’une question d’expression libre présente à la fin du questionnaire. Trois grandes catégories de réponses ont immédiatement émergé : les conditions d’études (64,2% des commentaires) à partir de mots clés tels que “étude”, “travail”, “temps”, “métier”, “système”, “devenir”. “Je suis venue pour apprendre à soigner et parfois j’ai la sensation d’avoir appris autant à encaisser la douleur des remarques et des échecs qu’à soigner mes patients”, témoigne par exemple une étudiante de deuxième cycle. Un constat partagé par un interne ayant, lui aussi, participé à l’enquête : “les gardes de 24 heures voire plus sont épuisantes et nuisent clairement et objectivement à notre santé psychique mais aussi physique d’autant que les moyens techniques donnés pour assurer notre travail sont vraiment indignes”, écrit-il.
Un mal-être multi-factoriel
La deuxième catégorie (26% des commentaires) cible les troubles psychopathologiques conséquents, en mettant en exergue des mots comme “consulter”, “burn out”, “antidépresseur”, “anxieux”, “consommation”, “suicidaire”, “psychiatre”. Sous couvert d’anonymat, un interne a, par exemple, avoué être tombé dans l’alcool et souffrir d’idées suicidaires : "dépression relativement sévère en début de deuxième cycle à cause d’un stage inadapté pour l’accueil d’étudiant débutant. Charge de travail extrême avec pression des examens, consommation alcoolique quasi quotidienne pendant plusieurs semaines, idées suicidaires, mise sous antidépresseurs jusqu’à la fin du deuxième cycle, prise de 10kg au cours de cette période, dépression et anxiété majeure au début de l’internat [...]”. “J’ai dû consulter ma médecin généraliste plus d’une dizaine de fois après un mois d’idées noires et de pleurs constants toute la journée, et l’impossibilité de réviser. J’ai été mise sous antidépresseurs Venlafaxine pour une durée minimum de 6 mois jusqu’au concours”, confie aussi une externe. La troisième et dernière catégorie concerne les violences sexistes et sexuelles subies et représente 8% des réponses.
Afin de faire évoluer l’enquête de 2017, les carabins ont, en effet, dû répondre à de nouvelles questions ciblant différents aspects de la santé mentale, qui n’étaient pas présents dans l’enquête de 2017. Ainsi, 23% des futurs médecins ont estimé avoir souffert à cause d’un épisode d’humiliation la semaine précédant le sondage. Un quart, à cause du harcèlement. Enfin, dans un contexte de libération de la parole sur les violences sexuelles et sexistes dans le milieu médical, 4% des étudiants interrogés ont reconnu avoir souffert à cause d’agressions sexuelles. L’enquête précise d’ailleurs que plus de trois-quarts des violences sexistes et sexuelles surviennent à l’hôpital. 14% se déroulent en soirée étudiante et 7%, à l'université. Leurs auteurs sont en grande majorité (60%) des médecins thésés. 12% des auteurs sont des soignants non-médecins, 13% des internes et 10% des étudiants en médecine. “À deux reprises dans deux stages différents j’ai eu des médecins hommes un peu trop tactiles de type massage sans autorisation, évidement main sur la cuisse et des comportements de type clin d’oeil, regards insistants... Ces comportements m’ont mise mal à l'aise quand je travaillais avec eux”, rapporte une étudiante en deuxième cycle.
Selon l’Anemf, l’Isnar-IMG et l’Isni, les causes de ce mal-être des étudiants en médecine sont multi-factorielles. Outre le manque de respect des droits et conditions de travail des carabins, ils pointent notamment du doigt l’immobilisme des politiques publiques. Malgré la mise en place du Centre national d’appui à la qualité de vie des étudiants en santé (CNA), conformément aux préconisations du rapport Marra, ce dernier n’a pu être financé que fin 2020, soit quelques mois avant la clôture de la lettre de mission qui l'instituait, jusqu’à fin mai 2021... Ce centre s’est ainsi “heurté à un certain nombre d’embûches institutionnelles et de ralentissements”, estiment les organisations représentatives. De plus, le CNA n’a pas été systématiquement associé aux groupes et réunions ministérielles concernant les études de santé en dépit de plusieurs alertes. Si l’engagement récent d’Olivier Véran et Frédérique Vidal sur les risques psychosociaux des études de médecine est un premier pas en la matière, les syndicats déplorent le fait que le temps de travail hebdomadaire de 48 heures par semaine ne soit toujours pas respecté. Tous les ministres de la Santé successifs l’ont pourtant promis… Mais à l’heure actuelle les internes travaillent en moyenne 58,4 heures par semaine.
Des propositions à différentes échelles pour améliorer les choses
Forts de ce constat, l’Anemf, l’Isnar-IMG et l’Isni ont formulé plusieurs propositions à mettre en place à l’échelle nationale, locale et individuelle pour faire bouger les choses. Ils préconisent d'abord de cesser la dichotomie “étudiants fragiles” contre “étudiants forts” ainsi que de déstigmatiser les troubles psychiatriques chez les médecins. Parmi leurs propositions figurent également : la garantie de moyens humains et financiers, la sanction des auteurs de maltraitances ou de violence et la mise en place d’une commission nationale habilitée à résoudre des contextes locaux difficiles pour lesquels l’université, l’ARS ou l’hôpital ne peuvent trancher.
A l’echelle locale, il est nécessaire, selon les organisations représentatives, de renforcer les relais locaux des structures d'accompagnement ou de désigner un référent qualité de vie au sein de la faculté de médecine appartenant au corps des personnels administratifs, et chargé de faire le lien entre l’étudiant et les structures locales.
Enfin, à l’échelle individuelle, les organisations représentatives insistent sur la nécessité d’assurer la confidentialité d’un étudiant qui serait amené à solliciter de l’aide par un dossier médical protégé avec un secret médical renforcé mais aussi sur l’importance de mettre en place un accompagnement personnalisé des stagiaires et la protection des externes ou internes maltraités pendant leurs stages via une suspension de l’agrément, par exemple.
*Anemf : Association nationale des étudiants en médecine de France ; Isnar-IMG : InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale, Isni : InterSyndicale Nationale des Internes.
** Enquête menée via un questionnaire, accessible pendant six semaines entre les mois de mai et de juin. 11 754 réponses ont été analysées.
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