Le 1er janvier 2021, les Britanniques sont officiellement sortis de l’Union européenne, après près de cinquante ans passés en son sein. Séisme politique, économique… ce divorce a largement été commenté et décrypté. Mais il existe un domaine majeur qui a souffert de cette désunion sans pour autant faire la Une de l’actualité : le système universitaire et les diplômes des formations européennes qui, jusque-là reconnus de part et d’autre de la Manche, ne bénéficient désormais plus d’équivalences automatiques.
Victimes collatérales du Brexit, des milliers d’étudiants de l’Union européenne venus étudier au Royaume-Uni se sont ainsi retrouvés sans possibilité de revenir exercer leur métier et faire valoir leurs compétences dans leur pays d’origine. C’est notamment le cas de trois Français, étudiants en médecine à Londres. Lisa, 25 ans, et Axel et Audrey, 24 ans, se trouvent dans une impasse. Lisa et Axel, en cinquième année, et Audrey, actuellement en quatrième année, ne peuvent plus s’inscrire aux ECNi* et revenir faire leur internat en France.
Blocage
"Quand il y a eu le vote en 2020, on était déjà en études de médecine. A cette époque, on ne savait pas ce qu’il adviendrait du système médical. Pendant longtemps, quand on parlait du Brexit, on pensait qu’il n’y aurait pas d’accord, un 'no deal'", se souvient Lisa. La France, de crainte de ne pas être préparée à cette hypothèse, rédige à la hâte un document la même année, stipulant que malgré cette situation, elle continuerait à reconnaître tous les diplômes à long terme. “Mais finalement, il y a eu un accord. Or, quand il a été question du milieu universitaire, le Royaume-Uni a brusquement décidé qu’il ne voulait plus continuer à valider une équivalence médicale avec l’Union européenne”, poursuit-elle. Lisa explique cela par le fait que le pays accueille des médecins étrangers en nombre. “Ils voulaient que tous les non-Anglais soient mis au même niveau et aient à passer les mêmes équivalences pour venir sur leur sol”, précise l’étudiante.
Devant la décision prise par les autorités anglaises, l’Union européenne décide, elle aussi, de stopper l’équivalence automatique existante. “Elle a toutefois indiqué que les pays avaient le droit de reconnaître les diplômes à titre individuel. Ce n’est plus un problème européen mais celui de chaque nation”, complète Axel. “Le truc, c’est que le Royaume-Uni ne sait pas que beaucoup de pays européens acceptent à peine des étrangers, alors que pour eux, c’est normal. Ça crée donc un blocage”, regrette Lisa.
Très concrètement, même s’ils valident leur externat en Angleterre, ce dernier ne sera pas reconnu en France et ne leur permettra pas de s’inscrire aux ECNi. Projet qu’ils nourrissaient depuis le début de leurs études. “Ce qui me révolte, c’est que c’est un changement fait après qu’on s’est lancés en médecine. Quand on a commencé en 2018, les équivalences étaient encore possibles. Donc, quand le Brexit est passé, on pensait vraiment que ceux qui étaient avancés dans le cursus médical pourraient au moins bénéficier de l’équivalence. Mais non. On réalise qu’on a été abandonnés sans rien et que nous n’avons aucun moyen de contacter les décisionnaires, de faire entendre notre voix et de participer à un débat qui, pourtant, nous concerne”, déplore Axel.
“C’est super frustrant de nous dire qu’on prépare des diplômes qui étaient très bien reconnus il y a un an et qui, d’un coup, ne valent plus rien, renchérit Audrey. Ces diplômes ont été élaborés avec l’Union européenne, il y avait une vraie injonction de proposer des formations sensiblement identiques pour qu’il y ait une équivalence. Et maintenant, on a un curriculum basé sur l’UE, sans possibilité de le transformer derrière.”
Formation d’excellence
Si Audrey parle de diplômes “bien reconnus”, c’est parce qu’ils ont tous choisi l’Angleterre non pas par dépit suite à un échec en Paces en France, mais bien pour son système d’excellence. Elle-même a décidé de partir outre-Manche pour étudier la biomédecine puis faire un master en oncologie, avant de faire une passerelle pour intégrer médecine. “Dans mon master, plusieurs étudiants étaient médecins. Ils passaient 25% de leur temps à faire de la recherche et le reste, ils travaillaient à l’hôpital. Cet équilibre me plaisait”, assure l’étudiante. Axel, lui, a choisi à l’origine de partir étudier la biochimie. “Les universités sont meilleures, classées mondialement”, explique-t-il. “Je me suis rendu compte sur le tard que les laboratoires n’étaient pas mon plaisir. Donc j’ai aussi choisi de prendre la passerelle et d'intégrer l'Imperial College de Londres en médecine." Lisa, enfin, a obtenu une licence de neurosciences à King's College avant de poursuivre via la passerelle elle aussi.
Ils ont pour point commun d’être bilingues franco-anglais. Avec la double nationalité franco-américaine, Lisa a suivi ses parents qui déménageaient de la banlieue parisienne à Londres lors de son post-bac, après avoir effectué son lycée dans un établissement international. Axel a aussi eu la chance d’étudier dans un lycée “tourné vers l’international”. Audrey est née à Paris mais en tant que fille d’expatriés, elle a beaucoup voyagé et étudié en anglais. C’est donc tout naturellement qu’elle a voulu partir sur un système anglophone pour ses études supérieures.
La première année de médecine anglaise est tout aussi sélective que l’ancienne Paces française, supprimée depuis 2020 par la réforme du premier cycle des études de médecine. “Le pourcentage de...
sélection est de 10%”, rapporte Lisa. Pour intégrer la formation, les candidats doivent passer des épreuves écrites - essentiellement de sciences appliquées et de mises en situation -, rédiger une lettre de motivation et avoir une expérience en médecine, grâce à des stages à l’hôpital ou du bénévolat dans le médico-social. La suite du cursus est tout autant exigeante : au lieu d’un gros examen classant comme les ECNi, les carabins britanniques doivent passer plusieurs concours leur attribuant des notes tout au long de leur externat. Après six ans d’études, leur internat débute : il se déroule en trois temps. La première phase socle dure deux ans, période pendant laquelle les futurs médecins sont des docteurs juniors, sans spécialité, et affectés dans une région selon leurs notes obtenues pendant le deuxième cycle. Puis, il leur faut passer un nouveau concours afin de choisir la spécialité. Enfin, il leur est souvent nécessaire de passer un troisième concours pour accéder à une phase de consolidation de leur spécialité.
Mais leurs efforts ne s’arrêtent pas là… “En Angleterre, il y a beaucoup de médecins américains et étrangers qui viennent prendre les gros postes. Les universités sont mondialement reconnues, donc c'est un système extrêmement compétitif. Pour avoir des postes, il faut pouvoir se différencier”, raconte Axel. Alors, les études de médecine ne suffisent pas. “Pour avoir un poste à Londres, il faut par exemple faire un doctorat en recherche en trois ans, sinon c’est presque impossible. Tout ça en plus de l’internat, bien sûr”, ajoute Lisa. “Donc, à partir de l’internat il faut sept, huit ans pour se spécialiser, sans compter un doctorat en trois ans. On termine généralement vers 40-45 ans”, calcule le jeune homme. “Et souvent des gens prennent une année entre les deux premières d'internat pour faire de la recherche ou de l'enseignement et travailler en tant que PH** pour ensuite passer les examens du deuxième cycle d'internat”, complète Audrey. A titre d’exemple, il faut dix ans de médecine minimum et un doctorat pour être généraliste. En Angleterre, il est par ailleurs peu fréquent de s’installer en libéral après la première phase d’internat, le système étant très concurrentiel.
Naturalisation britannique
Quelles options reste-t-il à ces jeunes ? Dans le pire des cas, finaliser leur internat et exercer au Royaume-Uni. “Je me suis fait à cette idée”, confie pour sa part Axel. “Je finirai vers 45 ans, je serai diplômé et en attendant je prendrai le train pour voir ma famille. En espérant un jour pouvoir exercer en France.”
Lisa et Audrey, ont, elles, une autre option : la naturalisation britannique. “Certains pays ont décidé, à titre individuel, de reconnaître le diplôme britannique sans même avoir besoin de réciprocité. C’est le cas de l'Irlande ou l’Espagne, par exemple. La Suisse le permet aussi, mais uniquement pour les ressortissants de leur pays ou ceux britanniques”, explique Audrey. Alors les deux jeunes femmes, accrochées à leur désir de venir exercer en France, se sont lancées dans la procédure de naturalisation. Lisa vient de l’obtenir. “Je vais être considérée comme quelqu’un de l’Union européenne. Même si la Suisse ne fait pas partie de l’UE, ils font quand même partie de l’accord. Après avoir fait mon internat en Suisse, j’aurais la qualification de médecin suisse et je pourrais ensuite déménager en France car j’aurais exercé trois ans, le minimum requis”, précise-t-elle. Entre la France et la Suisse en effet, il existe une sorte de partenariat stipulant qu’après trois ans d’exercice, un médecin helvète peut légitimement exercer sur notre sol, comme n’importe lequel de ses confrères. Tous s’accrochent à leur projet de revenir là où ils ont grandi, peu importent les sacrifices que cela demande. Un choix qu’ils assument, considérant le système médical français comme plus attractif. “Je me projette en habitant en France. C’est un système de médecine qui me plaît plus que la manière dont sont traités les médecins en Angleterre”, appuie Audrey.
Bien sûr, les jeunes étudiants ont remué ciel et terre pour alerter les ministères de tutelle, celui de l’Enseignement supérieur et de la Santé, mais aussi les politiques et le Centre national de gestion (CNG). Si aucun retour ne leur a été fait de la part des instances gouvernementales, le député des Français de l’étranger Alexandre Holroyd s’est saisi du sujet et a alerté Olivier Véran. “On voulait savoir si c’était possible de faire en France ce qui s’est fait chez nos voisins, à savoir repousser cette mesure à 2026 pour qu’elle entre en application pour les étudiants qui ont commencé leurs études ici en connaissance de cause”, détaille Axel. “Mais le ministre a dit au député qu’il voulait une décision au niveau européen et pas national. Il souhaite une harmonisation… Sauf que depuis huit mois, c'est silence radio !”, désespère-t-il. “On a tout fait pour bien travailler, soigner notre cursus, devenir de bons médecins et on a l’impression que notre pays ne reconnaît pas notre valeur”, renchérit Lisa. “J’ai tout fait de bonne foi, j’ai travaillé très dur, j’aime beaucoup ce métier. C’est une claque, ce qu’il nous arrive.”
Sans naturalisation et passage par la Suisse, les seules possibilités des étudiants dans leur situation sont de deux ordres pour exercer sur notre sol : l’internat en médecine à titre étranger (ETR) ou bien devenir FFI, faisant fonction d’interne, et passer par la suite les Épreuves de vérification des connaissances (EVC) destinées aux médecins étrangers. “Mais on sait qu’il y a beaucoup de surexploitation avec les FFI et que la voie est bouchée”, se désole Lisa. Quant à l’ETR, il n’offre que trois à cinq places d’internat par an en moyenne et l'affectation des villes et des spécialités est considérée comme “aléatoire” par les jeunes étudiants, qui ne souhaitent pas laisser leur avenir au hasard.
“On passe quasiment du tout au rien. On pourrait intégrer des universités comme Harvard et Cambridge. Imperial a longtemps été la cinquième meilleure université de médecine au monde. On ne demande qu’à venir exercer en France… Et on nous laisse tomber. Pire : on nous oublie”, conclut Lisa tristement.
*Épreuves classantes nationales informatisées
**Praticien hospitalier
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