Pour illustrer notre propos, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juin 2022, qui a condamné un médecin anesthésiste à 6 mois de prison avec sursis et 3 ans d’interdiction d’exercer. Que reprochait-on à ce praticien ? D’avoir quitté le bloc opératoire alors que son patient sous anesthésie générale pour une néphrectomie s’est réveillé pendant l’intervention en ressentant l’ensemble des actes opératoires sans pouvoir effectuer le moindre mouvement ! Alerté par une hypertension artérielle et une majoration des saignements, le chirurgien ne pourra que constater l’absence de son confrère anesthésiste, absent du bloc opératoire, introuvable et injoignable ! Fort heureusement, une infirmière anesthésiste a pu être appelée en urgence et a constaté que le débit du gaz anesthésiant était fermé, prenant alors les dispositions nécessaires.
A la suite d’une plainte pénale déposée contre ce médecin anesthésiste, une expertise a pu conclure que le réveil de ce patient était la conséquence d’une faute de ce praticien qui ne pouvait s’absenter du bloc opératoire que de manière très brève, après en avoir avisé les autres soignants, et uniquement lorsque l’anesthésie est stable : des conditions qui n’avaient pas été respectées en l’occurence. L’intéressé a ainsi été poursuivi devant le tribunal correctionnel qui l’a déclaré coupable de blessures involontaires avec incapacité totale de travail n’excédant pas trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou un règlement.
Pour condamner ce praticien, les juges ont tenu à rappeler qu’il incombait à un médecin anesthésiste, sous la responsabilité duquel l’anesthésie est pratiquée, d’assurer, directement ou par la fourniture de directives à ses assistants, un contrôle permanent des données fournies par les instruments afin d’adapter la stratégie anesthésique. Et la Cour de Cassation d’ajouter "qu’en s’absentant de la salle d’opération sans prévenir quiconque, alors qu’il venait de constater une hypotension artérielle l’ayant conduit à décider une suspension momentanée de l’arrivée de gaz anesthésiant qu’il savait entraîner une situation précaire devant faire l’objet d’une vigilance constante, cet anesthésiste a violé de manière délibérée les obligations particulières de prudence et de sécurité qui lui incombaient…".
Rappelons que l’article D.6124-94 du Code de la santé publique impose, pour la réalisation d’une anesthésie, une "surveillance clinique continue" : une obligation qui n’a pas été respectée dans le cas présent, puisque l’anesthésiste s’est absenté sans pouvoir être joint. Si les textes en vigueur imposent bien une surveillance continue, ils n’imposent pas, toutefois, que cette surveillance soit assurée par l’anesthésiste en personne. Cette surveillance peut ainsi être exercée par un IADE, dès lors que l’anesthésiste reste disponible rapidement. Dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, le praticien condamné s’est absenté du bloc opératoire, en pleine intervention, sans prévenir quiconque et sans demander à un confrère ou une infirmière anesthésiste de pouvoir intervenir, si nécessaire, alors qu’il savait que la situation précaire de son patient imposait sa surveillance continue. L’arrêt du débit de gaz anesthésiant rendait nécessaire un suivi constant de ce patient, et, en s’absentant, ce praticien s’est lui-même placé dans une situation qui ne lui permettait pas de le réaliser, tout en sachant que son attitude exposait son patient à un risque d’une particulière gravité que, au regard de sa spécialité, il ne pouvait ignorer.
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