Protection du secret médical : les modalités d’accès au DMP sont-elles conformes à la Constitution ?
Par un arrêt du 10 juin 2024 (n° 490409), le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par l'Ordre des médecins, portant sur les modalités selon lesquelles un professionnel participant à la prise en charge d’un patient peut accéder à son dossier médical partagé (DMP).
La conciliation entre la numérisation accrue des données de santé et la protection du secret médical soulève de nombreuses questions juridiques. La présente affaire en est la parfaite illustration.
En vertu de la loi du 26 janvier 2016, le DMP, sorte de carnet de santé numérique, compile de nombreuses données relatives à la santé de l'assuré.
Depuis la loi du 7 décembre 2020, l’accès au DMP n’est plus uniquement réservé aux professionnels de santé, il est également ouvert "à tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne". Selon l’article L. 1111-17 du code de la santé publique (CSP), ce professionnel peut accéder "sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l’alimenter".
Or, cet accès aux professionnels participant à la prise en charge d’un patient pouvait poser une difficulté juridique dans la mesure où ils ne sont notamment pas soumis à des obligations déontologiques strictes en matière de secret médical, que les données concernées sont particulièrement sensibles et qu’il n’existe aucun encadrement dans le temps de cet accès.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins a donc soulevé une QPC dans laquelle il prétend que l’article L. 1111-7 du CSP porte une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée dès lors qu’il autorise, sans prévoir de garantie spécifique, des professionnels qui ne sont pas des professionnels de santé à accéder aux données contenues dans le DMP.
Il faut en effet rappeler que le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence particulièrement protectrice des données à caractère personnelle de nature médicale. S’il n’est pas exclu que des personnes n’appartenant pas à la catégorie des professionnels de santé puissent prendre connaissance de données de santé, il faut néanmoins que cet accès soit rigoureusement encadré et qu’il soit protégé par des garanties suffisantes.
Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat a ainsi estimé que la question soulevée par l'Ordre des médecins présentait bien un caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel. Il a en effet considéré que l’article L. 1111-7 du CSP est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée dès lors qu’il n’assortit pas ce droit d’accès de "garanties suffisantes".
Il reviendra donc au juge constitutionnel de trancher la question de savoir si les dispositions législatives en cause sont conformes à la Constitution. Sa décision sera rendue le 12 septembre prochain.
Par Anthony Bron
Avocat à la Cour – Barreau de Paris
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