L’insuffisance cardiaque (IC) touche 1,5 million de Français, et est à l’origine de 165 000 hospitalisations par an, et de 70 000 décès, soit un mort toutes les 7 minutes. "C’est un problème de société majeur, déplore le Pr Thibaud Damy (Hôpital Henri Mondor, Créteil, 94), et président du Groupe insuffisance cardiaque et cardiomyopathies (Gicc) de la Société française de cardiologie (SFC). Et on n’en parle pas assez." L’évolution épidémiologique de l’IC est pourtant inquiétante, avec une incidence estimée à 120 000 nouveaux cas par an, mais qui est probablement sous estimée (car basée sur la simple déclaration d’ALD, alors que l’IC accompagne de nombreuses pathologies), et qui est augmentation constante. Ainsi, entre 2011 et 2015 on a constaté une augmentation de 25% des cas, liée au vieillissement de la population, et à l’amélioration des traitements cardiaques qui fait qu’on meurt moins de ces pathologies. Non reconnaissance des troubles Cela fait plusieurs années maintenant que le Gicc essaie d’attirer l’attention sur cette pathologie en tentant de sensibiliser au dépistage précoce des symptômes, qu’elle a regroupés sous l’acronyme Epof pour : essoufflement, prise de poids, œdème et fatigue. Mais leur non spécificité fait qu’ils restent encore pour le moment peu associés aux maladies cardiaques. Pire encore, trop de médecins tardent aussi à faire le diagnostic. C’est ce que confirment deux études réalisées par le Gicc et dont les résultats ont été dévoilés par le Dr Florence Beauvais (Hôpital Lariboisière, Paris). La première, "Alerte cœur", a concerné les connaissances du grand public. Elle a porté sur 5 000 Français, qui ont été interrogés sur leur perception de l’insuffisance cardiaque et sur les symptômes Epof. La deuxième étude, "Premiers Symptômes - Parcours de Soins (IC-PS2)", a été réalisée au printemps 2018 et a porté sur près de 1 000 patients hospitalisés dans 400 centres pour décompensation cardiaque (60% d’hommes ; âges moyens 71 ans chez les hommes et 75 ans chez les femmes ; 45% de patients coronariens). IC-PS2 avait pour objectif d'identifier la date d’apparition des premiers symptômes et de décrire le parcours de soins, en ville comme à l’hôpital, de patients.
Il apparaît ainsi au travers de la première étude que les Français ne font pas le lien entre les œdèmes, l’essoufflement et l’insuffisance cardiaque. Ainsi, si le terme d’insuffisance cardiaque est plus familier du grand public (7 Français sur 10 affirment le connaître), ils sont beaucoup moins à en identifier les signes d’alerte. En effet, seule la douleur thoracique est reconnue majoritairement comme une alerte pour une maladie cardiovasculaire (par 72 % des patients et 80% des 55 ans et plus). Les autres symptômes ne seraient reliés à une maladie cardiovasculaire que par une minorité de Français, comme l’essoufflement à 44 %, mais surtout les œdèmes et la prise de poids à 6 %, alors qu’il s’agit de signes majeurs de l’insuffisance cardiaque. Plus inquiétant, ce manque d’information sur la maladie est retrouvé même chez les patients qui en souffrent, et qui pourtant en négligent les symptômes. Ainsi, dans l’étude IC-PS2, plus de 80 % des patients ont reconnu après leur hospitalisation avoir eu les signes Epof plusieurs jours avant leur hospitalisation, voire au moins 2 mois (pour 31 %). Seuls 18% des patients hospitalisés avaient des symptômes depuis moins de 48 heures. Et 37 % d’entre eux ont consulté leur médecin généraliste le mois précédent l'hospitalisation. Pourtant, les signes d’alerte sont largement présents. Dans IC-PS2, l’essoufflement est le premier symptôme présent chez les patients (64 % des répondeurs), suivis par les œdèmes (26%). Les autres symptômes, la prise de poids et la fatigue, sont cités respectivement par 10,5 % et 13 % des répondeurs. Pour le Dr Beauvais, "il est urgent de mieux informer le grand public sur les symptômes de l’insuffisance cardiaque afin de favoriser le diagnostic et une prise en charge rapide par des traitements, dont l'efficacité est démontrée. De nombreuses vies seraient ainsi sauvées, et des coûts importants liés à des hospitalisations inutiles pourraient être évités".
Le manque d’information apparaît patent. Ainsi, dans IC-PS2, seuls 43% des patients hospitalisés avaient été informés par l'équipe médicale qui les prenait en charge à l’hôpital d’être atteints d’insuffisance cardiaque. Près d’un sur quatre pensait être "insuffisant respiratoire". C’est généralement le terme d’ "œdème pulmonaire" qui est retenu. Au final, près d’un malade sur deux déclarait que le diagnostic de l’insuffisance cardiaque lui a été finalement donné par une autre personne que l'équipe soignante. Un parcours de soins non structuré De plus, la prise en charge d’une décompensation d’insuffisance cardiaque est majoritairement réalisée dans l’urgence A 43%, les patients hospitalisés passent par les urgences, déjà surchargées, et à 22 % par des unités spécialisées en soins intensifs de cardiologie ou de réanimation. Ils sont envoyés par leur médecin généraliste (20 %), leur cardiologue (18%), et par le Samu ou les pompiers (36 %). Et environ 8 % des patients arrivent directement par eux-mêmes ou poussés par un proche. Cette prise en charge tardive et dans l’urgence peut participer au taux important de mortalité intrahospitalière observé, qui s’élève à 8%. En outre, 40% des patients insuffisants cardiaques décéderaient 2 ans après leur hospitalisation. Le Pr Damy et le Gicc appellent "à la mobilisation nationale des acteurs impliqués dans le diagnostic et le traitement des patients insuffisants cardiaques […]. Une optimisation de leur prise en charge permettrait d’éviter un nombre important de décès". Autre problème, la démographie médicale et le manque de cardiologues, qui participe probablement à la sous information des patients. Transfert de compétences Face à ces nouvelles données mettant en lumière une situation inquiétante, le Gicc et la SFC se mobilisent pour toucher l’ensemble des acteurs de l’IC : grand public, patients et soignants. Cette année, l’accent est mis sur la formation des soignants. Ainsi, les prochaines Journées françaises de l’IC (JFIC), qui auront lieu à Lille les 20 et 21 septembre avec une ouverture à la francophonie, "seront l’occasion de communiquer sur les résultats de l’étude IC-PS2 et de rappeler l’importance d’expliquer au patient sa pathologie dans un langage commun et clair", détaille le Gicc. Le congrès aura pour thème le transfert de compétences : "savoir-faire, savoir-être et faire savoir", visant à répondre à l’insuffisance d’information des patients, ainsi qu’au manque de spécialistes. Le Gicc souhaite, en particulier, former des infirmières libérales, pour les engager dans l’amélioration de la prise en charge des patients à la sortie d’hospitalisation. Dans ce cadre, 20 vidéos seront réalisées par et pour les paramédicaux pour une information plus complète et adaptée. Ces vidéos seront disponibles sur le nouveau site (giccardio.fr) lancé lors du congrès qui contiendra deux nouveaux espaces : un “espace patient” et un “espace paramédical". Les nouvelles technologies (télémédecine) pourraient aussi participer à l’amélioration des pratiques. Le Pr Thibaud Damy a aussi rappelé le rôle "capital du médecin généraliste". Pour les aider dans le repérage et la prise en charge des patients, le Gicc souhaite améliorer la visibilité de la filière de soin. A cet effet, il recense actuellement les structures participantes à la filière de soins en France, afin de la rendre publique et consultable sur son site web. Et il souhaite mettre en place des recommandations automatiques à la sortie du patient pour aider le médecin traitant à gérer les modifications de traitement. Enfin, pour les patients, une application smartphone "Mon cœur" sera également dévoilée lors du congrès, axée sur l’observance et traitement et l’information sur la maladie.
Le Gicc lance le Consortium Shicc (Solidarité Handicap Insuffisance Cardiaque et Cardiomyopathie), qui fédère les professionnels de santé et les associations de patients pour aider les pouvoir publics mais également trouver des solutions concrètes aux enjeux de santé publique posés par ces pathologies. Le Consortium permet de développer des actions multidisciplinaires et inter-professionnelles créées et supervisées par des champs d’expertises larges incluant les patients et permettant de potentialiser leur efficacité et leur qualité. Les industriels aussi s’engagent dans le consortium pour répondre aux mêmes objectifs mais ne feront pas partis du comité de pilotage. L’objet du consortium est : de faire connaître et d’améliorer la prise en charge de l’insuffisance cardiaque et des cardiomyopathies et des patients afin d’améliorer la survie et la qualité de vie des patients.
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