L’insuline, une centenaire toujours d’intérêt

10/11/2021 Par Brigitte Blond
Diabétologie
L’insuline, dont on fête le 100e anniversaire de la découverte cette année, a sauvé de très nombreuses vies. Elle reste incontournable pour les patients diabétiques de type 1 (DT1). Elle peut être nécessaire pour les patients DT2 en association aux antidiabétiques oraux et dans certaines situations : un accident aigu, un épisode infectieux aigu, un diabète gestationnel, etc. À l’occasion de la Journée mondiale du diabète, le 14 novembre, le point sur son utilité actuelle avec le Pr Paul Valensi, chef de l’unité d’endocrinologie-diabétologie-nutrition de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy (93).  

Egora : Quels sont les effets de l’insuline sur le risque cardiovasculaire ?  

Pr Paul Valensi: On connaît bien les effets de l’insuline sur la glycémie, mais aussi, au plan mécanistique, ses effets cardiovasculaires propres : la façon dont elle agit sur le système cardiovasculaire, influe sur le cœur, la pression artérielle, le flux sanguin périphérique, l’endothélium, le système nerveux autonome. Et si les patients insulinotraités font davantage d’insuffisance cardiaque, c’est parce que ce sont ces patients qui ont la maladie cardiovasculaire la plus avancée. L’insuline est donc sûre, et, en un siècle, aucune étude n’est venue démontrer le contraire. 

Se pose aussi la question de la cible glycémique la plus pertinente, en termes d’amélioration du risque cardiovasculiare : est-ce la glycémie à jeun ? la post-prandiale ? Les variations glycémiques de la journée ou le plus faible nombre d’hypoglycémies ? Pour identifier ces cibles, on manque d’études qui les testent spécifiquement en fonction des critères cardiovasculaires.  

Enfin, au-delà de l’insuline, nous disposons de nouvelles familles de médicaments antihyperglycémiants aux bénéfices cardiovasculaires incontestables, et si l’on veut exercer une prévention cardiovasculaire, nous pouvons tabler sur eux et réévaluer la prise en charge des patients DT2. Au stade où l’insuline devient indispensable, elle ne paraît pas altérer les performances des agonistes du GLP-1 ou des inhibiteurs du SGLT2.  

 

Que peut-on attendre en pratique des différentes insulines?  

La durée d’action de l’insuline basale aujourd’hui de référence, la glargine (Lantus), est longue, ce qui permet de ne faire qu’une seule injection par jour. Elle est sûre et ne modifie pas le risque en termes d’événements cardiovasculaires (étude Origin) quand elle est instituée précocement, au stade de DT2 ou de prédiabète, comparativement à l’hygiène de vie associée aux antidiabétiques oraux.  

Des études observationnelles (de registres) montrent par ailleurs que les patients DT2 sous glargine ont un meilleur pronostic cardiovasculaire que les patients DT2 sous NPH.  

L’insuline dégludec, un nouvel analogue de l’insuline de plus longue durée d’action, n’est pas différente de la glargine pour les taux d’événements cardiovasculaire ou l’amélioration de l’hémoglobine glyquée, mais les hypoglycémies sévères sont significativement moins nombreuses grâce à son profil pharmacocinétique plus stable.  

Une relation temporelle a été établie entre les hypoglycémies sévères, la mortalité totale et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque quand les patients, souvent à la fois diabétiques de type 2 et souffrant d’une maladie cardiovasculaire, sont sous insuline, le risque étant plus haut dès les semaines qui suivent l’hypoglycémie. Reste à savoir si ces hypoglycémies sont un marqueur de risque (ces patients sont plus fragiles que les autres) ou si elles ont un effet direct sur la mortalité ?  

Une hypoglycémie sévère expose à...

de multiples changements cardiovasculaires qui accroissent le risque d’une insuffisance cardiaque ou d’une arythmie cardiaque grave. Certains essais, Devote notamment, démontrent l’importance d’éviter toute hypoglycémie sévère aux patients diabétiques vulnérables que l’on met sous insuline. Dans ce contexte, la dégludec, plus stable, aux effets plus favorables sur la variabilité glycémique, peut être préférée puisque plus les variations glycémiques d’un jour à l’autre sont fortes et plus le risque d’hypoglycémies sévères est grand, associé à un surrisque cardiovasculaire.  

En plus des insulines basales (glargine [Lantus], dégludec [Tresiba], ou une glargine dosée à U300 [Toujeo], soit 3 fois plus que Lantus, à plus longue durée d’action et aux effets plus reproductibles que la glargine, dosée à U100) et leurs biosimilaires, on dispose d’insulines prandiales, rapides, à injecter avant les repas, qui limitent les glycémies post-prandiales, et d’insulines ultrarapides. Ces dernières agissent plus rapidement et sur une période plus courte, ce qui peut être utile pour échapper aux hypoglycémies de fin de matinée que connaissent les utilisateurs d’insuline rapide… 

 

Pour quels schémas opter?  

Le schéma « basal-bolus » est le plus approprié, les bolus étant ajoutés quand les repas élèvent fortement la glycémie. Pour simplifier le traitement, chez des patients dont le diabète est stable, la vie régulière (avec des horaires de repas fixes), âgés et éventuellement dotés de facultés cognitives moindres, les insulines mixtes qui associent insuline de durée intermédiaire (protamine-NPH) et insuline rapide dans des proportions 70-30 %, 75-25 % ou 50-50% peuvent être indiquées. Les résultats glycémiques sont assez proches du schéma basal-bolus, et ce en utilisant un même stylo (de la même insuline) 2 ou 3 fois par vingt-quatre heures. 

L’« heure de l’insuline », autrefois inéluctable à un certain moment de l’évolution d’un diabéte de type 2, peut être aujourd’hui repoussée grâce aux nouveaux traitements antihyperglycémiants, analogues du GLP-1 ou inhibiteurs de SGLT2 ou, si l’insuline devient nécessaire, elle l’est à plus petites doses : le profil glycémique est meilleur (Holter glycémique à l’appui), les variations glycémiques moindres et le temps passé dans la cible plus long.  

 

* Le Pr Valensi déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Novo Nordisk, Eli Lilly, Sanofi, Boehringer Ingelheim, AstraZeneca.

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