Arbitrage, intensité des matchs, violence : le "rugby safe", un espoir pour la santé des joueurs ?

09/09/2023 Par Dominique Deveaux
Des affrontements puissants, violents, des sportifs tragiquement blessés au cours de matchs officiels… jusqu’à la fin des années 1990, le rugby a traversé des “années noires”. Si aujourd’hui la priorité est à la protection des joueurs, les soignants doivent composer avec des impacts sur le terrain toujours plus importants. A l’occasion de la Coupe du monde qui se déroule en France jusqu’au 28 octobre, zoom sur la pratique du “rugby safe”, de plus en plus privilégiée pour limiter le jeu dangereux. 

  Jean-Pierre Rives, coiffé de son éternelle crinière blonde, capitaine de l’équipe de France, hier. Antoine Dupont, aujourd’hui. Deux champions hors normes. Deux images qui, mises côte à côté, racontent à elles seules toute l’histoire de l’évolution du rugby d’un siècle à l’autre ! Le premier, surnommé "casque d’or", mesure 1,80 m et pèse 85 kg. Le second, mesure 1,74 m pour 85 kg. Son surnom : "le ministre de l’Intérieur". Deux combattants, deux héros de la nation. Et pourtant, de l’un à l’autre, les masses musculaires semblent démultipliées. Il suffit d’observer les mensurations, les diamètres des cous ou des cuisses, la morphologie des muscles des bras et des pectoraux des deux stars pour mesurer l’ampleur des transformations. Jusqu’au maillot bleu porté toujours avec le même amour. Celui d’aujourd’hui, signé le Coq Sportif, vient littéralement modeler toutes les parcelles du corps des athlètes offrant "une armure". Car, désormais, tout, absolument tout, est imaginé et conçu pour qu’un rugbyman puisse aller chercher le dixième de seconde supplémentaire qui lui permettra de se glisser dans le moindre interstice, d’échapper à la moindre prise d’un adversaire aussi redoutable soit-il. Un seul objectif : aller de l’avant, plus vite, plus fort, et engagé toujours plus d’impact.

  Les années noires du rugby français   "Sport de voyous pratiqué par des gentlemen", selon la célèbre expression reprise dans le film Invictus, le rugby a longtemps été synonyme "d’attroupements et de bagarres générales sur le terrain". "Les années noires dans l’Ovalie, oui, nous les avons connues", reconnaît volontiers Jacques Laurans, aujourd’hui président de la Fondation Ferrasse, champion de France junior en 1958, ex-secrétaire général de Fédération française de rugby (FFR), ex-président du Comité des 6 nations, co-organisateur des coupes du monde de rugby en 2003 et 2007. "Dans les années 80-90, nous comptions en moyenne jusqu’à 9 ou 10 grands blessés, chaque année, en France, lors des compétitions officielles." Des grands blessés. L’expression résonne comme si l’on évoquait la Grande guerre. "Je parle des joueurs qui ont été touchés à la moëlle épinière lors d’un accident de jeu et qui se sont retrouvés paralysés et ont perdu l’usage de leur membre !" L’accent du sud-ouest du président ajoute à la dramaturgie des scènes décrites. La Fondation Ferrasse a été créée en 1990 par son ami, Albert Ferrasse, alors président de la FFR. "N’ayant pas d’enfant, ce colosse au grand cœur considérait les grands blessés comme ses propres enfants", raconte Jacques Laurans. Dès qu’il le pouvait, Albert leur rendait visite à la Tour de Gassies, à Bordeaux (seul centre de la région ayant une unité spécialisée dans la prise en charge des patients blessés médullaires, quelle que soit l'étiologie de leur lésion, ndlr). Pour prendre soin et accompagner ceux qu’il appelait "ses enfants du rugby", il crée alors la Fondation Ferrasse, fonds de solidarité affilié à la FFR, dont le comité exécutif, renouvelé tous les 4 ans, comprend deux médecins du sport.   Johannesburg, 1995 : Max Brito, l’électrochoc ? Nous sommes en pleine coupe du monde, en Afrique du Sud. L’incroyable et généreuse équipe de la Côte d'Ivoire affronte le Tonga. Pour sa 3ème sélection sous le maillot orange et vert, après une relance, Max Brito (ex-ailier de Biscarosse, décédé cette année, ndlr) reste bloqué sous un amas de joueurs : un "ruck" dont il ne se relèvera pas. Les 4ème et 5ème vertèbres cervicales ont été déplacées : évacué sur civière, devant toutes les télévisions du monde, le joueur se réveille tétraplégique. Dans la mémoire de Jacques Laurans, ce moment reste gravé à jamais, comme un mauvais souvenir inaliénable...

"C’est la dernière image que l’on veut voir du rugby", martèle-t-il. En 1997, il s’engage dans les comités internationaux. Tournois des 6 nations, World rugby (équivalent de la Fifa dans le monde du foot) : une véritable prise de conscience se fait jour dans le monde de l’Ovalie. "Apparaît alors un double courant : la volonté d’aller vers une professionnalisation du rugby et tendre vers un 'rugby safe' comme disent les anglo-saxons." Des commissions d’arbitres, de techniciens du jeu et médicales, se créent dans chaque pays. "Tout doit être mis en œuvre pour qu’il n’y ait plus jamais d’accidents de cette nature dans un match officiel, encore moins à l’occasion d’une coupe du monde." En juin dernier, la Fondation Ferrasse participait à un colloque avec toutes les fondations dites de "charities" à Twickenham, en Angleterre, pour partager sur les nouvelles pratiques visant à limiter les séquences de jeu dangereux. Objectif : faire pression sur les fédérations nationales et sur la World Rugby.   France 2023, « bunker » et respect total de l’arbitrage !   Résultat ? En complément de toutes les évolutions de jeu que le rugby a pu connaître ces dernières années (voir encadré), le Mondial qui se déroule en France du 8 septembre au 8 octobre, voit pour la première fois de son histoire l'utilisation d’un nouveau dispositif : celui dit du "bunker" ou "Foul Play Review Official". Sur l'ensemble des 48 matches, en opérant depuis le Centre international de diffusion situé à Paris, l’arbitre disposera de 10 minutes pour exclure de manière définitive un joueur pour cause de jeu dangereux. Le principe ? Après un avertissement, l'arbitre passe la main à d'autres juges spécialisés. "Si l'équipe d'arbitrage n'est pas en mesure de déterminer si un incident justifie un carton rouge, mais qu'il remplit au moins le critère du carton jaune, l'arbitre croise les bras, signalant ainsi la nécessité de son évaluation formelle", écrit World Rugby dans un communiqué de presse. Le joueur sanctionné est expulsé pendant 10 minutes (carton jaune). "L'officiel chargé de l’examen du jeu déloyal a alors huit minutes pour analyser l'incident en utilisant toutes les images produites par le diffuseur hôte indépendant et la technologie, y compris la technologie du zoom et de l'écran partagé Hawk-Eye, afin de statuer sur l'issue de l'incident", détaille la fédération internationale. L’objectif est triple : sanctionner le jeu dangereux, décharger les officiels d'une certaine forme de pression dans des moments clés, et conserver la dynamique des matches. Jacques Laurans a été l’un des plus fervents défenseurs de l’arbitrage vidéo, dispositif qu’il a favorisé quand il a organisé le tournoi des 6 nations des – de 20 ans ou pour désigner les stades dotés des meilleures technologies et éligibles pour accueillir la plus prestigieuse des compétitions de l’Ovalie en France. Son espoir tandis qu’on le retrouve dans les tribunes du Stade de France aux côtés des "enfants du rugby français" invités pour l’occasion : "que le rugby reprenne le dessus et nous fasse rêver comme jamais !"   

Les nouvelles règles d’un "rugby safe"
Depuis 1999, les règles du jeu ne cessent d’évoluer pour limiter le jeu dangereux. Avec de nouveaux "protocoles". Dernier en date : un commandement avec une discipline précise pour l’entrée en mêlée : d’abord, les joueurs se lient, puis se baissent et entrent en contact au moment où l’arbitre crie "jeu" ("set", en anglais). De la même façon, les plaquages hauts sont désormais proscrits. Si les plaquages à deux joueurs restent autorisés sous certaines réserves chez les "pro", chez les jeunes et les amateurs s’est formellement interdit. La cuillère, ce geste croche pied qui visait à déstabiliser l’adversaire, est également interdite. Dans les écoles de rugby, on apprend aux jeunes à éviter les gestes dangereux. En cas de violence verbale ou physique envers un arbitre - qui rappelons-le est "intouchable" en Ovalie - un joueur peut se voir radier à vie de la FFR. Pour espérer jouer à nouveau, le "condamné" devra auparavant suivre des cours d’arbitrage, puis arbitrer des compétitions pendant 2 à 3 ans. D’autres sports devraient (de toute urgence) en prendre de la graine !
5 commentaires
25 débatteurs en ligne25 en ligne
Photo de profil de Patrick Tafani
869 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 an
Voilà un très beau sport avec de vraies valeurs. Cammaraderie, respect profond des autres et des arbitres. Mais ce sport est très viril. C'est bien qu'il ait eu une évolution pour améliorer la prot
Photo de profil de Petit Bobo
2,3 k points
Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 1 an
En filigrane, la question que se posent parents et grands parents : faut il faire faire du rugby à des enfants ? Je vous fait part de mon témoignage: Installé dans le sud est, j'ai inscrit mon ainé au
Photo de profil de Stephane Lelong
15 points
Médecine générale
il y a 1 an
Espoir. "Au rugby on se rencontre dans les autres sports on se croise" disait mon médecin qui, entre autres, m'avait aiguillé il y a des lustres vers la Fac de médecine. Il s'y connaissait en valeur
 
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