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Partis étudier la médecine en Roumanie, deux internes racontent leur retour en France : "On ne nous facilite pas la vie"

Chaque année, quelques centaines de jeunes Français s'envolent en Roumanie pour suivre des études de médecine. A l'université de Cluj-Napoca, ils sont entre 120 et 150 par promotion. Deux anciens étudiants, revenus réaliser leur internat en France, racontent à Egora leur retour dans l'Hexagone. S'ils ont été "bien accueillis" dans leurs différents stages, Régis et Louis* pointent certaines difficultés qui n'encouragent pas les apprentis médecins à revenir en France. "On se permet le luxe de perdre des jeunes qui sont motivés et qui l'ont été suffisamment pour s'expatrier."

14/01/2025 Par Chloé Subileau
Externat Internat
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Régis Ojeil avait 19 ans lorsqu'il est parti étudier la médecine en Roumanie. Nous sommes alors en 2013, et le jeune homme vient de rater sa première année de Paces à Strasbourg. "J'ai candidaté [pour partir] entre la fin des examens de deuxième semestre et la publication des résultats", se souvient l'Alsacien, déçu de ses notes de premier semestre. Sur les conseils d'un ami de sa famille, dont les enfants étudiaient déjà en Roumanie, Régis s'intéresse à cette voie parallèle et envoie son dossier dans deux universités roumaines, Iasi et Cluj-Napoca. Il est accepté dans la seconde et l'intègre en septembre. "Je [suis parti] car je voulais être médecin, c'était vraiment ce que j'avais envie de faire", raconte-t-il, aujourd'hui.

Régis est loin d'être le seul à avoir fait ce choix. Chaque année, quelques centaines d'étudiants français s'envolent vers ce pays d'Europe de l'Est pour rejoindre les bancs d'une des trois universités de médecine proposant une formation en français, Iasi, Timisoara et Cluj-Napoca. Cette dernière faculté compte aujourd'hui entre 120 et 150 Français par promotion, estime l'association francophone des étudiants en santé de Cluj (CMC**). Au début des années 2010, ils étaient une trentaine à rejoindre l'université chaque année. Des chiffres variables selon les années, en raison notamment de l'entrée récente de la Roumanie dans l'Union européenne - qui n'a poussé que progressivement les jeunes à venir étudier dans le pays - et d'"abandons" au cours des six années d'externat, précise Chloé Fredon, vice-présidente académique de la CMC. "Autour de 2015", les étudiants français sont arrivés en plus grand nombre, et on en comptait alors "une petite centaine" par promotion, ajoute-t-elle.

Louis*, 29 ans, s'est justement envolé pour Cluj en 2015, après avoir échoué deux années de suite au concours de la Paces. "J'ai découvert un peu par hasard le cursus en Roumanie. J'ai déposé un dossier et je suis parti, résume-t-il. Ça s'est fait en un mois. Ce n'est pas quelque chose que j'ai réfléchi en amont."

"Le système roumain n'est pas organisé pour préparer les EDN"

Sur place, il découvre une formation universitaire qui correspond en tout point "aux normes européennes". "En Roumanie, pour la partie théorique, les profs s'appuient sur les recommandations formulées en Europe", insiste celui qui est désormais interne en médecine générale en Auvergne. Côté pratique, les futures blouses blanches vont rapidement dans les hôpitaux et doivent apprendre le roumain "pour discuter avec les patients". Durant les six années d'externat, "les matins on est en stage auprès des patients avec un médecin pour [environ] huit étudiants, et l'après-midi on fait de la théorie avec des cours magistraux", indique Louis.

Les étés, les étudiants doivent réaliser des stages : pour beaucoup, c'est l'occasion de revenir s'exercer dans l'Hexagone. "J'ai fait tous mes stages en France, sauf un en Suisse. A chaque fois, ça s'est bien passé", glisse Régis.

Pour l'Alsacien d'origine, comme pour Louis, la formation dispensée en Roumanie n'a donc rien à envier à celle des universités françaises. A la différence qu'elle ne prépare pas aux EDN – anciennement ECN -, seule voie pour revenir faire son internat en France. "Le système roumain n'est pas organisé pour préparer ces épreuves", confirme Régis, qui a passé les ECN en 2019 : "Quand on est France, dès la deuxième année, on bassine tous les jours les étudiants avec 'ceci' est important pour les EDN, 'cela' tombe souvent… Ils sont vraiment formatés à cet examen. Mais en Roumanie, le programme est un peu différent et, au cours de la sixième année, on doit aussi passer une thèse en parallèle de la préparation des EDN. On a [en plus] des présences en cours qui sont obligatoires."

Nous ne sommes pas une priorité pour la France

"Ça fait beaucoup de choses qui entrent en jeu", souffle Louis. Et ce ne n'est pas l'université roumaine qui va "nous rabâcher qu'il y a un concours à préparer pour la sixième année", ajoute le jeune homme, insistant sur l'importance de l'entraide entre étudiants. "On s'organisait entre nous [et notamment avec l'aide de la CMC, NDLR] pour savoir quand il fallait démarcher l'administration de notre faculté pour anticiper nos absences, faciliter le passage des concours, préparer les papiers, les certificats…"

Pour s'assurer un classement raisonnable, ces jeunes expatriés sont nombreux à avoir recours à des plateformes d'entraînement privées. Ils n'ont, en effet, pas accès à la plateforme gratuite de l'Uness*** – anciennement Sides -, qui aide les externes étudiant en France à se préparer aux EDN.

 

Malgré ces difficultés, Louis et Régis sont tous les deux parvenus à atteindre la spécialité qu'ils souhaitaient : la médecine générale. Ils reconnaissent toutefois qu'il est moins évident pour les étudiants venus de Roumanie de décrocher des spécialités plus convoitées. "On n'a pas tous les outils, tous les cours" pour y parvenir, avance Louis. "La voie royale pour faire une spécialité [plus prisée] reste de faire son cursus en France, car tout le système emmène vers les EDN, abonde Régis. On ne se bat pas avec les mêmes armes."

Certains expatriés préfèrent donc se tourner pour leur internat vers la Suisse ou l'Allemagne, où les sélections se font sur dossier. D'autres poursuivent leur formation en Roumanie. "Ils se disent qu’il n’est pas nécessaire de préparer un concours pendant deux ans, avec tous les sacrifices qui s’en suivent, pour avoir médecine générale ou psychiatrie par dépit, alors qu'en restant en Roumanie ils pourront, par exemple, faire chirurgie viscérale ou chirurgie orthopédique. Un choix de cœur et en adéquation avec leurs envies futures", détaille Chloé Fredon.

 

"Je ne me suis jamais senti moins compétent que les autres internes"

A son retour en France, en 2021, Louis craignait de ne pas être à la hauteur ou d'être mal accueilli. "Je pense qu'il y a des préjugés, qui ont peut-être été un peu alimentés à une époque par certains articles à charge contre les étudiants qui partaient à l'étranger", avance l'ancien expat'. Mais les mentalités évoluent "dans le bon sens", insiste Régis. Dès son premier stage, celui qui est désormais médecin s'est senti intégré. "Mon chef m'a dit a posteriori qu'il attendait de voir ce que ça allait donner, se remémore-t-il. Mais il ne me l'a jamais fait ressentir, ni lui ni tous les autres médecins du service. Tout s'est bien passé […] Je ne me suis jamais senti plus mauvais ou moins compétent [que les autres internes]."

 Un ressenti partagé par Louis, encore interne : "Je n'ai pas du tout l'impression d'être en retard. Je pense qu'on [les étudiants français partis en Roumanie, NDRL] apporte aussi des choses […] Ce qui est difficile au départ, c'est plus de s'adapter au système administratif auquel on n'a pas forcément eu l'habitude de faire face pendant notre externat."

Mais si le retour "s'est bien passé ", partir en Roumanie n'est pas "anodin". "Il faut être prêt à ça", affirme Louis. Au-delà de l'éloignement ses proches - qui "n'est pas facile" -, le Français pointe le coût que ce départ représente. A Cluj-Napoca, les frais de scolarité dépassent les 8 000 euros par an. Pour beaucoup, partir veut donc dire "s'endetter". "C'est un investissement", poursuit Louis.

"On ne nous facilite pas la vie pour revenir", estime, de son côté, Régis, qui a lui-même réfléchi à faire son internat en Suisse. Alors que la France manque de praticiens, "on se permet le luxe de perdre des jeunes qui sont motivés et qui l'ont été suffisamment pour s'expatrier à 18 ans pendant six ans". "On leur ferme la porte, mais [seulement] à moitié", regrette-il, dénonçant un comportement "un peu hypocrite". "On peut revenir passer le concours [de l'internat], mais on ne nous met pas dans de bonnes conditions pour le faire. On ne nous aide pas à le préparer […] C'est dommage."

Une réforme qui a freiné les retours

Selon la CMC, avant 2023, la majorité des étudiants Français rentraient réaliser leur internat dans l'Hexagone, soit "plus d'une centaine" par promotion.  Mais depuis l'entrée en vigueur de la réforme des EDN, ce chiffre a chuté. En 2024, seules "neuf personnes sont revenues en France pour l'internat", précise Chloé Fredon. Cette année, "ils seront entre 15 et 30", ajoute la vice-présidente académique. Cette baisse s'explique, selon elle, par une forte incertitude des étudiants face aux nouvelles démarches administratives. "Tout a été fait au dernier moment", entrainant "beaucoup de stress" et "un flou total sur les conditions d'examen", détaille Chloé Fredon. Mais aussi, "les étudiants se rendent de plus en plus comptent que les autres pays [leur] ouvrent plus facilement les portes, notamment sur le choix de spécialité".

Fin 2023, le député LR Yannick Neuder, désormais ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins, avait déposé une proposition de loi visant à réintégrer dans le cursus français les étudiants partis se former à l'étranger. Le texte a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale il y a plus d'un an, sans avancée depuis. L'arrivée de Yannick Neuder au Gouvernement relancera peut-être son examen.

*Le prénom a été modifié.

**L'association est appelée Corporation médicale de Cluj (CMC).

***La plateforme est gérée par un groupement d'intérêt public, associant plusieurs université françaises. 

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