Patrouilles, vidéo-surveillance, formation… Ce que propose le rapport sur les violences envers les soignants
L'assassinat de l'infirmière Carène Mezino, le 22 mai dernier au CHU de Reims, a mis en exergue la problématique des violences commises à l'encontre des professionnels de santé. Le phénomène n'est pas nouveau : l'Observatoire national des violences en santé (ONVS) recense chaque année près de 20 000 signalements de violences, ce qui représente environ 30 000 atteintes aux personnes et 5 000 atteintes aux biens. Dans son rapport 2022, publié le mois dernier, l'Ordre des médecins faisait par ailleurs état de 1244 déclarations, en hausse de 23% par rapport à l'année précédente.
Dans un contexte global de montée des violences à l'échelle de la société, notamment depuis la pandémie de Covid (+15% de coups et blessures volontaires, +11% de violences sexuelles entre 2021 et 2022), la ministre déléguée chargée des Professions de santé a confié au Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, et Nathalie Nion, cadre supérieure de santé à l'AP-HP, une mission sur le sujet en janvier dernier.
La lutte contre ces agressions, qui "peuvent entraîner des blessures physiques et psychologiques*, une diminution de la qualité des soins, une perte de confiance des professionnels et une détérioration du climat de travail", revêt en effet "un enjeu crucial, à la fois pour la santé des professionnels de santé mais aussi pour l’attractivité des métiers", soulignent les auteurs du rapport, remis jeudi 8 juin à Agnès Firmin Le Bodo et François Braun. Au terme de 4 mois d'auditions, les ayant amenés à rencontrer 80 personnalités et représentants des soignants, des étudiants, des établissements, des forces de l'ordre etc., ces derniers formulent 44 propositions, autour des questions de prévention, de gestion des événements et de protection des victimes.
Des ratios soignants/soignés
Elles visent en premier lieu à améliorer les conditions d'accueil des patients et de leurs proches, sources de tensions et, in fine, de violences. Les auteurs expliquent ainsi que face à une charge de travail excessive, des ressources limitées et/ou des procédures qui entravent la qualité des soins, les soignants peuvent développer un "syndrome de victimation" : "se sentant 'victimes' ils peuvent devenir cyniques, désengagés/détachés et éprouver des difficultés à établir des relations positives avec leurs patients", soulignent-ils. Pour prévenir ou atténuer ce syndrome et ses conséquences délétères, "il apparait essentiel de mettre en place des changements organisationnels et des politiques de gestion des ressources humaines qui permettent aux professionnels de santé de fournir des soins de qualité sans se sentir épuisés ou impuissants. L’adaptation dans les services des ratios d’effectifs à la charge en soins, à partir de maquettes organisationnelles validées en collaboration services/directions, est un préalable".
Lutter contre l'engorgement des urgences, "facteur de tensions et d'agressivité", en est un autre, relèvent les rapporteurs, qui se montrent favorables à la régulation systématique par le 15. Dans les maisons médicales de garde (MMG) et autres centres de soins non programmés (SNP), ils plaident pour la mise en place de bornes d'horodatage, permettant "de fluidifier et diminuer le temps d’attente, et de faire respecter l’ordre de passage".
Le rapport souligne également la nécessité d'améliorer la communication envers les patients en formant les personnels d'accueil :"savoir gérer le comportement d’une personne malade qui peut être anxieuse, angoissée, en détresse, en stress, douloureuse [etc.] ne s’improvise pas". Le recours aux métiers intermédiaires que sont les IPA présente deux avantages, relèvent les auteurs : décharger les médecins, donc diminuer la pression pesant sur ces derniers, et offrir un appui spécialisé à leurs pairs (notamment en psychiatrie et aux urgences).
"Patrouilles" et vidéo-surveillance
Insistant sur la nécessité de renforcer le sentiment de sécurité des professionnels, le rapport recommande de fusionner les deux métiers d'agents de sûreté et de sécurité-incendie, de mettre en place des "patrouilles continuelles" et de développer la vidéo-surveillance pour "sécuriser à la fois les salles d’attente, mais aussi les zones dites de circulation, ainsi que les espaces normalement réservés aux soignants". "Leur coût n’est pas exorbitant. Leur effet dissuasif est important et en cas de violences, il s’agit d’un élément essentiel pour l’apport de preuves", argumentent les rapporteurs. La vidéo-surveillance devrait également être...
développée "aux abords des cabinets, officines et laboratoires".
Ils suggèrent d'équiper chaque boxe des urgences "d’un système d’alerte silencieux (type 'bouton poussoir') relié à un agent du PC Sécurité-Sûreté" et de doter les professionnels des MMG ou des centres de SNP de dispositifs similaires portatifs type "alarme silencieuse", géolocalisés et dissimulés (bijoux, etc.), permettant de donner l'alerte en cas d'agression, soit à l'équipe, soit à un centre distant dédié à la sécurité. "À l’extrême, pour les MMG ou les centres de consultations ouverts le soir et le week-end, et pour ceux qui font l’objet d’un risque avéré ou accru, il doit pouvoir être proposé une aide financière pour permettre la présence d’un agent de sûreté aux abords du centre médical ou à l’entrée de la salle d’attente." Les auteurs suggèrent aussi de doter les ambulanciers privés et les personnels des Samu de gilets de protection "anti-armes blanches".
Formation à la gestion des conflits
"Tous ces dispositifs sont assez simples à mettre en œuvre, mais l’application de ces principes revêt, on le voit bien, un enjeu économique crucial, car leur coût peut être dissuasif notamment pour les professionnels libéraux et les travailleurs isolés. Un soutien de l’État par le truchement des ARS, des collectivités locales serait souhaitable pour garantir et rendre pérenne un accès aux soins pour les populations, de jour comme de nuit, y compris en ville."
Autre enjeu : "acculturer" les professionnels de santé. "Les professionnels de santé devraient être formés pour gérer les comportements violents et agressifs, notamment la communication efficace, la gestion des conflits, la médiation et la résolution de problèmes", et ce, dès la formation initiale. Les auteurs posent également la question d'une "formation obligatoire en santé mentale de premiers secours".
Protection pénale renforcée pour les libéraux
Le rapport formule enfin des recommandations pour favoriser les dépôts de plainte et renforcer la réponse pénale. Les conventions santé-sécurité-justice doivent ainsi être réactivées. Il faut aussi "rappeler aux forces de sécurité intérieure la protection pénale spécifique dont bénéficient les professionnels de santé et les personnes chargées d’une mission de service public dans le Code pénal et le code de procédure pénale, protection pas toujours bien connue des enquêteurs, générant parfois des refus injustifiés de prise de plainte ou une mauvaise qualification pénale, préjudiciables aux victimes", signalent les auteurs du rapport.
Considérant que tous les professionnels de santé sont chargés d'une mission de service public, ils insistent pour que les libéraux bénéficient des diverses dispositions de protections pénales renforcées. "Actuellement, ils ressentent une discrimination par rapport à leurs confrères exerçant en établissement de santé public ou privé. Tel est le cas des outrages et menaces de l’article 433-5 du Code pénal", pointent-ils.
Un plan en juillet
Dans un communiqué annonçant la remise de ce rapport, le ministère de la Santé annonce que ces propositions, qui "font actuellement l’objet d’une analyse approfondie", alimenteront le plan de lutte contre les violences faites aux soignants que le Gouvernement présentera début juillet. "Plusieurs propositions ont ainsi particulièrement retenu l’attention des ministres", indique le communiqué : le déploiement de dispositifs d’alerte portatifs pour les professionnels exerçant de façon isolée ; la formation initiale et continue des soignants et des personnels d’accueil pour mieux gérer l’agressivité éventuelle de leurs interlocuteurs ; l’amélioration de la réponse pénale face aux menaces et aux agressions qu’ils subissent ; un meilleur accompagnement des victimes dans leurs démarches judiciaires.
"Protéger ceux qui nous soignent est une priorité absolue et une urgence nationale, rappelle le ministère. Les violences, qu’elles soient physiques ou verbales, commises à l’encontre des professionnels de santé pèsent très lourdement sur les conditions d’exercice des soignants ainsi que sur leur état de santé."
*Les violences déclarées à l'ONVS ont engendré 4111 jours d'arrêt de travail en 2021.
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