Généralisation du SAS : "Je crains qu’on aille dans le mur et qu'on perde des médecins"

18/01/2023 Par Louise Claereboudt
Alors que le bilan des premières expérimentations se fait attendre, le service d’accès aux soins (SAS) est appelé à être généralisé dans toute la France en 2023. Un top départ trop hâtif, juge le président de la Conférence nationale des URPS* médecins libéraux. Dans une lettre, il a alerté Emmanuel Macron sur les risques d’une généralisation bâclée. "Il y a tout à reprendre", met en garde le Dr Antoine Leveneur, qui craint un désengagement des médecins au sein d’un dispositif déjà très fragile. Entretien.

  Egora.fr : Le service d’accès aux soins doit être généralisé en 2023, alors qu’aucune évaluation des expérimentations** n’a été rendue publique à ce jour. C’est une erreur ?

Dr Antoine Leveneur : Je n’ai jamais vu d’expérimentations qui précèdent une généralisation sans qu’il y ait d’évaluation intermédiaire. C’est déjà une faute en quelque sorte. Par ailleurs, s’il y a certains SAS qui fonctionnent à peu près correctement, ce serait intéressant de savoir comment et pourquoi. Sur le terrain, on se demande si on va être efficaces, opérants, si nous n’avons pas identifié les freins qui font que d’autres SAS ne fonctionnent pas de façon satisfaisante. C’est cela qui nous préoccupe. Dans ce climat compliqué, imposer des choses à marche forcée ne nous paraît pas productif, au contraire. On va perdre des gens plus qu’autre chose à mon avis.   Lees évaluations ont-elles au moins été réalisées sur le terrain ? A ma connaissance, non. La commande élyséenne était une généralisation depuis le départ. On est passés outre cette phase indispensable d’évaluation.   Pourtant, vous pointez de nombreux dysfonctionnements, à commencer par le cadre juridique des SAS. Pourquoi ? On n’a pas de cadre juridique stabilisé. Le mot SAS n’existe pas dans la loi, dans les décrets. Il y a sûrement eu des instructions et des circulaires mais ça ne fait pas office de loi. Comme souvent, on en parle dans la convention nationale mais en face, il n’y a pas d’existence juridique. Cela peut générer des conflits voire des recours dans le temps… Il y a des problèmes qui se posent dans la vie quotidienne : s’il n’y a pas d’existence légale et réglementaire à un dispositif de type SAS qui en région, ou en département plus exactement, est en capacité d’être employeur d’opérateurs de soins non programmés, tout est très bancale. Avant de généraliser, il faut un texte de loi, un décret, qui traite de la question.     La question du statut sous lequel recruter des assistants de régulation demeure également sans réponse… Pour les assistants de régulation médicale (ARM), on dit que c’est la composante AMU (aide médicale urgente) qui recrute. Mais finalement sur quels fondements ? Historiquement, les Samu recrutaient des ARM. Les SAS – je le dis tout le temps, ce n’est pas un problème de Samu ni d’hôpital, c’est un problème de médecine libérale. Il regroupe deux choses : l’aide médicale urgente et la filière médecine générale. Concernant l’AMU, il y avait des Smur et il y aura toujours des Smur : le SAS ne change rien dans tout cela. En revanche, avoir en journée des régulateurs et des effecteurs libéraux, c’est une nouveauté introduite par le Service d’accès aux soins. On voit bien que la question du SAS est donc d’abord une question posée à la médecine libérale. C’est à elle de s’organiser, d’identifier les régulateurs et effecteurs libéraux sur les territoires.   Vous déplorez par ailleurs la faible mise à disposition de créneaux dédiés dans le cadre des projets pilotes. Comment l’expliquer ? De quelles données disposez-vous ?   Pour nous, il n’y a pas de SAS s’il n’y a pas d’effecteurs. Or on ne s’est pas préoccupés des effecteurs. Les soins non programmés font partie des missions socles des CPTS. Mais on a besoin d’effecteurs même là où il n’y a pas de CPTS. On n’a rien expliqué, on n’a pas mobilisé, informé, sensibilisé les médecins généralistes sur ce qui était attendu d’eux, c’est-à-dire qu’ils dégagent des plages de consultations de soins non programmés à la demande du SAS. C’est là où nous avons un gros problème. Par ailleurs, il a été dit qu’il y aurait une plateforme nationale de rendez-vous mais elle ne fonctionne pas dans plusieurs régions. C’est un échec industriel. Les généralistes ne peuvent pas s’approprier l’outil. Dans ma région (Normandie), nous nous sommes amusés avec l’URML à chercher un généraliste à Avranches : on tombait soit sur un praticien dans le département d’Ille-et-Vilaine soit sur un endocrinologue, non généraliste, à Avranches. La plateforme n’apporte rien sauf de l’énervement et de la confusion. Elle n’est pas mûre. Ça fait six mois que le déploiement doit venir, ça ne vient toujours pas. Comment on a pu faire ce constat ? On a vu cela grâce aux chiffres de la Cnam. Combien y a-t-il d’actes de soins non programmés (+15 euros) faits par les généralistes ? C’est epsilon… Ça veut bien dire que les généralistes ne se sont pas approprié ce dispositif, alors qu’ils font bien des soins non programmés dans leur cabinet tous les jours. Ils ne cotent pas. Pourquoi ? Parce qu’ils peuvent coter si ça vient du SAS – dans certains départements il n’y en a pas – ou si ça passe par la plateforme, qui ne fonctionne pas. CQFD. La conférence nationale des URPS a toujours dit qu’elle était d’accord avec le principe de départ du SAS. Mais la déclinaison opérationnelle et les outils juridiques qui encadrent le dispositif… Il y a tout à reprendre. C’est là où l’évaluation aurait été intéressante pour cibler les SAS où il fallait progresser avant de généraliser. Là je crains qu’on aille dans le mur.

  Comment faire en sorte que le dispositif décolle ? Ce n’est pas simple. Il ne vous a pas échappé qu’on est dans un climat professionnel tendu. Mobiliser pour construire d’autres modes d’organisation est aujourd’hui très compliqué. Je suis étonné du climat qui se radicalise de plus en plus dans pas mal de départements. La violence verbale est parfois évidente. Je n’avais jamais constaté ça à ce point-là. Dans certains endroits, il y a un mot d'ordre pour se désengager des CPTS et pour faire exploser le SAS. Comment ils font ? Ils disent à leurs patients qui téléphonent pour prendre un rendez-vous 'Appelez le SAS, faites le 15'. Résultat : la régulation explose. Le SAS du Havre – il s’agit d’un projet expérimental qui a près de 2 ans – ne fonctionne pas trop mal mais a été formaté pour 1000 à 1500 appels par jour. Mais aujourd’hui, ils sont à 2500/3000 appels par jour – notamment du fait de la régulation de l’accès aux urgences par un passage 15. Résultat : le 15 sature. Le projet était calibré sur ce nombre de départ et avait prévu tant d’ARM, tant d’OSNP, tant de médecins régulateurs. L’enveloppe budgétaire...

correspondant à ce qu’il faut pour répondre à ces 1000/1500 appels par jour. Aujourd’hui, cette enveloppe ne permet pas d’embaucher des ARM, des OSNP supplémentaires. A Rouen – où un SAS est en projet – et au Havre, il y a grève des médecins régulateurs et des réquisitions par l’ARS tous les jours… Voilà où on en est aujourd’hui. Dans ces deux villes, les régulateurs ne cherchent pas à faire capoter le dispositif, ils démissionnent, ils n’en peuvent plus, ils craquent. Ils vont bosser le ventre noué car quand ils travaillent, leur priorité n°1 est de raccrocher le plus vite possible pour prendre l’appel suivant qui est là depuis 1h30… Ils sont conscients de faire un travail dégradé en termes de qualité. Je connais des médecins qui régulent depuis 20 ans et qui arrêtent car ils font n’importe quoi et ne supportent plus de travailler dans ces conditions.   Une meilleure rémunération pourrait-elle favoriser l’engagement des régulateurs et effecteurs ? Aujourd’hui, les effecteurs sont rémunérés +15 euros et les régulateurs, 100 euros de l’heure. La question à mes yeux n’est pas d’abord et avant tout une question de rémunération. La rémunération n’est pas si mal : tout le monde en convient, même si certains vont dire l’inverse. C’est plutôt un problème de conditions de travail. Comment améliorer les conditions d’exercice d’un régulateur ? En faisant en sorte que la charge de régulation qui est la sienne soit mutualisée avec d’autres régulateurs. Il faut augmenter le pool. Pour cela, il faut faire venir de nouveaux médecins. Mais comment faire venir des gens qui sont dans leur cabinet, déjà un peu explosés ? C’est compliqué… On vit une période fantastique : on dit aux généralistes qu’ils sont de plus en plus vieux et de moins en moins nombreux, mais qu’ils doivent travailler plus dans leur cabinet car il y a 6 millions de patients qui n’ont pas de médecin traitant. Et en même temps, on leur dit de quitter leur cabinet en journée pour aller faire de la régulation dans les SAS. On est dans une position quasiment schizophrénique. Et l’injonction nationale est pour le moins ambivalente vis-à-vis d’eux. C’est compliqué à vendre sur le terrain. Je laboure pas mal la région, quand on aborde ce sujet, on se fait laminer. Après le boulot, c’est de trouver de nouveaux candidats pour la régulation en plus des effectifs actuels. Je ne connais pas d’autre solution que de poser la question de l’augmentation du niveau de rémunération. Un régulateur de PDSa (week-end ou 20h-8h) a une exonération fiscale sur les revenus issus de la régulation. On demande que ce soit le cas pour les régulateurs SAS, en journée.

  Votre URPS a lancé un appel à la "solidarité territoriale" pour recruter. Quel a été l’impact de cet appel ? Toutes les unions régionales devraient-elles suivre votre exemple ? Chaque URPS fait comme elle l’entend. De notre côté, nous ne sommes pas mécontents. En faisant un appel de ce type avant Noël, en période de vacances et de grève, on a recruté en moyenne 10 nouveaux candidats régulateurs par département normand. Idem pour les effecteurs.   *Unions régionales des professionnels de santé. **Depuis deux ans, 22 projets-pilotes ont été portés.

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