Une mesure qui "vide de sens la notion même de médecin traitant" : Ordre et syndicats unis contre l'accès direct aux paramédicaux

04/11/2021 Par Marion Jort
Politique de santé
Pour manifester leur opposition au vote des articles 40 et 41 du PLFSS par les députés, qui introduisent la primo-prescription pour les infirmières en pratique avancée et la possibilité pour les patients d’accéder directement aux kinés ou aux orthoptistes sans qu’ils ne soient placés sous la responsabilité d’un médecin, l’Ordre et tous les syndicats de médecins* ont décidé d’adresser un courrier aux membres de la Commission des affaires sociales du Sénat et au cabinet du ministre de la Santé. “Expérimenter une médecine sans médecins ne peut être la solution aux difficultés démographiques actuelles et prévisibles depuis plus d’une décennie”, plaident-ils. 
 

Les principes fondamentaux de la médecine “battus en brèche”, des mesures qui ne résoudront pas “la question de la perte de chance du patient”, qui rendent “sans objet la notion même de médecin traitant”... Vivement opposés aux articles 40 et 41 du PLFSS votés par les députés le 22 octobre dernier, l’Ordre ainsi que tous les syndicats de médecins ont décidé de frapper fort et de se mobiliser ensemble pour protester contre “une médecine sans médecins”.  Revenant sur les enjeux que le vote de telles dispositions engendrent, à la fois pour les médecins et pour les patients, ils signent conjointement un courrier adressé à la présidente de la Commission des affaires sociales du Sénat, Catherine Deroche, et au cabinet du ministre de la Santé afin de plaider pour une “concertation préalable” entre les Ordres, syndicats et conseils nationaux professionnels concernés, “que le Gouvernement n’a jamais réunis sur ce sujet” du transfert de compétences vers les kinés, les orthoptistes ou encore les infirmières en pratique avancée (IPA). Le texte, examiné à partir d’aujourd’hui par les sénateurs, prévoit en effet la possibilité pour l’orthoptiste de réaliser un bilan visuel et de prescrire des corrections visuelles, sans prescription médicale et sans être placé sous la responsabilité d’un médecin, ou encore l’accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes. Les IPA quant à elle se sont vues accorder le droit de primo-prescription pour des prescritpions médicales obligatoires à titre expérimental et pour une durée de trois ans, dans trois régions. Voici leur courrier, que nous reproduisons en intégralité :   “Madame la Présidente,  En réponse à des revendications professionnelles, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale le 26 octobre 2021, contient trois dispositions organisant l’accès direct des patients aux orthoptistes, aux orthophonistes aux masseurs-kinésithérapeutes et aux infirmiers en pratique avancée (articles 40, 41 quinquies, 41sexies et 41 octies).  Le Conseil national de l’Ordre des médecins et les syndicats de médecins libéraux y sont fermement opposés dès lors que cette prise en charge, déconnectée de tout diagnostic médical et de toute stratégie thérapeutique globale, conduira à des retards de diagnostic et à une perte de chance pour les patients. Le médecin, en raison de sa formation, est le seul à pouvoir poser un diagnostic médical et prendre en charge un patient dans sa globalité ; ces principes fondamentaux, qui ont cours dans tous les Etats de l’Union Européenne sont battus en brèche par des dispositions qui, sans le dire, dérogent aux règles sur l’exercice illégal de la médecine mentionnées à l’article L. 4161-1 du code de la santé publique.  Expérimenter une médecine sans médecins ne peut être la solution aux difficultés démographiques actuelles et prévisibles depuis plus d’une décennie. 

Les dispositions relatives aux masseurs-kinésithérapeutes, aux orthophonistes et aux infirmiers en pratique avancée sont faussement rassurantes lorsqu’elles évoquent d’une part, une simple expérimentation et, d’autre part, un exercice dans des structures d’exercice coordonné. En effet, la plupart des évaluations faites jusqu’à présent s’effectuent à travers d’un questionnaire limité aux expérimentateurs sans aucune évaluation scientifique externe qui d’ailleurs se révèle inutile puisque le seul objectif est la généralisation d’un transfert d’activités hors du champ médical. Evoquer un exercice dans une structure d’exercice coordonné n’apporte pas non plus la garantie d’un exercice interprofessionnel centré sur le patient et coordonné par le médecin. En quoi l’appartenance du professionnel de santé à une CPTS résout-elle la question de la perte de chance du patient qui accède directement à son cabinet, sans consultation médicale et sans lien avec le médecin ?  A ce propos, nous sommes frappés que les solutions interprofessionnelles innovantes qui font leurs preuves...

 en ophtalmologie laissent, dans le projet de loi la place à une activité d’un orthoptiste dans un exercice libéral totalement déconnecté du médecin. Par ailleurs, nous sommes surpris par cette volonté de légiférer dans l’urgence alors que des organisations territoriales, formalisées ou non, sont en cours de déploiement rapide sur le terrain.  Les mesures dont nous demandons la suppression, accéléreraient le cloisonnement des professionnels de santé dans la prise en charge des patients et iraient à l’opposé des mesures législatives relatives à la construction d’un parcours de soins coordonnés par le médecin et au rôle dévolu au médecin dans le diagnostic et la thérapeutique. Elles rendent sans objet la notion même de médecin traitant et vident de leur sens les missions du médecin généraliste contenues dans le code de la santé publique.  C’est le parcours de soins coordonné par le médecin, qui garantit la sécurité générale du patient et la logique des soins, au regard de la segmentation des soins par des professionnels de santé agissant chacun dans leurs domaines sans capacités d’organiser leurs actions dans le triptyque intégré clinique/diagnostic/thérapeutique.  Le Conseil national de l’Ordre des médecins et les syndicats de médecins libéraux attendent de la loi de financement de la sécurité sociale qu’elle propose les moyens pour favoriser la coordination des prises en charge indispensable à l’accès aux soins pour tous et notamment un modèle économique viable pour les IPA. 

Nous avons beaucoup de mal à concevoir la mise en œuvre de la coordination des acteurs de terrain, toutes professions de santé confondues, et l’évolution des périmètres métiers sans une concertation préalable entre les Ordres, syndicats et conseils nationaux professionnels concernés que le Gouvernement n’a jamais réunis sur ce sujet. Cette concertation avec les autres professions de santé et l'État, qui n’a pas eu lieu dans le Ségur de la Santé, nous la réclamons.  Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l'expression de notre haute considération.”    *MG France, Union syndicale Avenir Spé - Le Bloc, la Fédération des médecins de France, UFML-Syndicat, CSMF, SML. 

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