L'heure du choix approche pour les futurs internes. Alors que la major des ECN 2021, Marie Ahyerre, a annoncé son intention d'opter pour la médecine générale, le Dr Pierre Frances, généraliste à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-orientales) se souvient d'un temps où la spécialité, qui n'en était pas encore une, était méprisée par les mandarins. "Les étudiants en médecine, dès leur 4ème année, rentrent dans le moule de la préparation des ECN. Ceux qui veulent embrasser les spécialités les plus convoitées, comme l'ophtalmologie, travaillent d'arrache-pied pour terminer en tête du classement, négligeant parfois les stages de terrain. Les étudiants les moins bien classés se retrouvent à choisir parmi les spécialités les moins considérées, pour lesquelles il reste souvent de nombreux postes : la psychiatrie, la santé publique, la médecine du travail et la médecine générale. Mais cette année, un cataclysme s'est produit, modifiant l'ordre naturel des choses : la major des ECN a décidé de choisir la médecine générale. Une spécialité qui n'en est une que depuis quelques années, et qui reste peu prise en compte au sein des universités.
"Un peu de tout, mais surtout n'importe quoi" Ayant plus de 50 ans, j’appartiens au groupe des généralistes « ancienne génération », et au décours de mes études j’ai dû affronter les vexations répétitives des mandarins et des personnels hospitaliers dès lors que j’ai affirmé vouloir être généraliste. J'ai confirmé ce choix dès que j’ai été reçu au concours de 1ere année. Je me rappelle fort bien de plusieurs anecdotes, au cours de mes stages, qui en disaient long sur le mépris de la médecine générale. Ainsi, un chef de service m’avait expliqué droit dans les yeux qu’être généraliste, « c’est faire un peu de tout, mais surtout n’importe quoi ». Un autre expliquait qu’il était important de faire la distinction entre résidents (les anciens internes de médecine générale) et internes de spécialité. Les résidents n’avaient à ses yeux pas le mérite de passer le concours de l’internat, et étaient de ce fait des sous-médecins. Cependant, des réformes universitaires ont permis une ouverture vers la médecine générale. Les étudiants ont très progressivement quitté durant quelques semaines l’université pour venir dès les 4ème et 5ème années dans les cabinets médicaux. Ce changement a permis à certains de découvrir une pratique qu’ils ne connaissaient pas, situation qui a modifié leur vision, pas nécessairement positive au départ, de la médecine générale. C’est d’ailleurs ce stage qui a motivé la future consœur arrivée première aux ECN de choisir cette spécialité. Internistes libéraux D’autre part, les étudiants sont conscients du fait que le médecin généraliste est non seulement un chef d’orchestre dans la prise en charge des patients, mais aussi un spécialiste qui doit avoir de nombreuses cordes à son arc. Depuis quelques années, du fait d’une pénurie de spécialistes, de nombreux collègues sont obligés de jouer le rôle d’internistes libéraux. Les connaissances et les responsabilités des généralistes se sont majorées. Un élément très motivant pour les étudiants, qui voient dans le travail d’un généraliste une variété importante de prise en charge : traumatologie, abord social de certaines pathologies, participation active aux soins palliatifs. De plus, ils se rendent compte que l’exercice professionnel des médecins généralistes s’est considérablement transformé avec dans de nombreux cas, un exercice pluri-professionnel. Rares sont actuellement les médecins généralistes qui œuvrent seuls dans un cabinet. De nombreux confrères sont motivés pour prendre ces étudiants en stage. Ils communiquent leur passion auprès de ces jeunes qui découvrent comme des nouveau-nés une pratique de terrain qu’ils n’imaginaient pas. De l’autre côté de la barrière, nous les généralistes de l’ancienne garde (ceux qui sont maîtres de stage universitaires) sommes heureux de voir l’engouement des ces futurs collègues lors des stages dans nos cabinets. C’est d’ailleurs cette petite flamme que nous entretenons avec ces jeunes émerveillés qui nous permet de garder de la passion dans notre pratique. Oui, la médecine générale peut être valorisante, et ne doit plus être considérée comme autrefois comme une voie de garage."
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