"Médecin, je refuse d'être rémunéré pour vacciner"

22/04/2021 Par Marion Jort
Témoignage

Médecin urgentiste au Havre (Seine-Maritime), le Dr Eric Testaert a décidé d’assurer bénévolement des vacations de vaccination contre le Covid dans un vaccinodrome. Loin de se considérer comme un exemple pour ses confrères, le praticien souhaite simplement accomplir un acte de solidarité en proposant de mettre de côté l’argent économisé pour soutenir les personnes de son territoire pénalisées par la crise sanitaire. Pour Egora, il détaille son idée à laquelle, il l’espère, d’autres médecins adhérent.  

C’est pour “apporter sa pierre à l’édifice” qu’au début de la vaccination des soignants, le Dr Eric Testaert, médecin urgentiste dans une clinique du Havre (Normandie), et âgé de 61 ans, décide de rejoindre l’équipe de vaccinateurs de l’établissement. “J’ai commencé à vacciner les médecins salariés, les chirurgiens à la clinique où je travaille parce qu’il y avait besoin de ressources et ça me semblait faisable”, explique-t-il. Et puis, le praticien décide de s’inscrire pour renforcer les équipes du vaccinodrome havrais, situé au Stade Océane. Mais à une condition : que sa participation soit bénévole. A l’heure actuelle, les médecins touchent 420 euros pour quatre heures, ou 105 euros de l’heure si la présence est de moins de quatre heures, 460 euros pour quatre heures le week-end et les jours fériés, 115 euros si la présence est de moins de quatre heures.  

Conscient que sa démarche dénote, le Dr Testaert précise d’emblée que cette décision “n’engage que lui”. “Je n’ai rien d’un chevalier”, ajoute le médecin, qui a déjà effectué quatre vacations de quatre heures. Ce qui le motive ? Le retentissement de la crise sur de nombreux Français. “Je ne suis pas spécialement pessimiste de nature, mais je me dis que le ‘quoi qu’il en coûte’, on va le voir revenir à un moment. On a aucune idée de ce que ça va être”, analyse-t-il.  

 

"Pot commun"

Agacé notamment de la possibilité pour tous de pouvoir déclarer un arrêt de travail en ligne directement sur le site de l’Assurance maladie en cas de contact avec une personne positive au Covid, le médecin estime que l’impact de la crise n’est pas “sans préjudices”. Il le constate...

aussi autour de lui : les entreprises ferment, de nombreux restaurants de sa région sont à vendre, des jeunes ne trouvent pas d’alternance ou sont contraints de redoubler. Il pense aussi à tous ceux qui “décompensent, enfermés entre quatre murs, avec leur ordinateur pour seul loisir”.  

Face à ce constat, le Dr Testaert ne souhaite pas être bénévole simplement pour ne pas toucher de rémunération. “Je ne revendique pas le bénévolat, car on est en plein rêve”, plaisante d’ailleurs le médecin. Mais il aimerait, idéalement, travailler sur la possibilité d’un “pot commun”. “Compte-tenu de ce que ça représente comme argent, je me suis dit qu’on pouvait en faire autre chose. On peut imaginer qu’il y ait une quote-part qui aille sur un compte dédié, qui permettrait d’alimenter par exemple des chèques cadeaux qui soient uniquement dédiés aux acteurs locaux du territoire qui en ont besoin : restos, bars…”, dévoile-t-il, avant de tempérer ses propos : “Je dis n’importe quoi, car je n’ai pas la belle idée. Il faut trouver le bon projet, facile à mettre en place. Certains savent mieux le faire que moi !” “Imaginez, un buffet campagnard géant sur la place du Havre, un jour où il fera un temps magnifique quand le Covid ne sera plus là, ça pourrait être sympa non ?”, plaisante tout de même l’urgentiste.  

A la question de savoir si c’est aux médecins de compenser le “quoi qu’il en coûte” de la crise, le Dr Testaert convient toutefois que non. D’autant que les médecins sont logés à la même enseigne: confinement, restrictions de déplacements, pénibilité de la situation… Mais à ses yeux, sa décision est un vrai “acte de solidarité”. Il a d’ailleurs choisi de rester discret vis-à-vis de ses collègues du vaccinodrome, qu’il n’a pas informé de sa démarche. Ainsi, à l’issue des heures de vacations effectuées, il ne remplit pas de “petite feuille”, comme c’est le cas pour eux. "Ça me met mal à l’aise”, reconnaît-il. Il y a quelques semaines, le médecin parle de sa démarche à un confrère qui lui répond tout de go : “Oh toi, tu as un problème avec l’argent.” “Alors que non”, s’indigne-t-il. “Je me répète : c’est une pierre à l’édifice.” Car il le précise, cela ne l’empêche pas de gagner sa vie par ailleurs, ni d’être malheureux.  

 

"Différences étonnantes de tarifs"

Le Dr Testaert est aussi dérangé par certaines modalités de fonctionnement de la rémunération dans le vaccinodrome. A commencer par le principe de...

“toute heure entamée est due”. “Imaginez un peu, un technicien qui vient réparer votre lave-vaisselle et à 1h10, il vous en facture une deuxième… Vous n’êtes pas content”, compare-t-il ainsi. De même, les différences de rémunération déroutent l’urgentiste. Que ce soit celle des infirmières, ou celle des médecins retraités, payés deux fois moins que les médecins encore en exercice“Tout vaccinateur devrait être rémunéré de la même manière si tout le monde fait le même travail. Ce n’est pas normal”, estime-t-il. Pour les infirmières, la rémunération est de 220 euros la demi-journée, 55 euros de l’heure si la présence est de moins de 4 heures. Le week-end, de 240 euros la demi-journée et 60 euros de l’heure si la présence est de moins de 4 heures.  

Il se satisfait néanmoins de la fin de la rémunération à l’acte dans les centres de vaccination, annoncée par l’Assurance maladie le 14 avril dernier, notant qu’il y a eu des “différences étonnantes en termes de tarifs” et “même des scandales avec des gens qui se sont fait beaucoup d’argent”. Le Canard Enchaîné révélait, en effet, il y a quelques semaines que certains praticiens avaient gagné jusqu’à 2.000 euros pour quatre heures de vaccination en privilégiant la rémunération à l’acte plutôt qu’au forfait. Une somme qui n’avait pas manqué de faire réagir.  

Voulant introduire une note d’optimisme, le Dr Testaert présage qu’un jour, “on va bien se sortir de tout cela”. C’est en ce sens qu’il aimerait pouvoir utiliser la somme récoltée, des dizaines de milliers d’euros peut-être si d’autres médecins se joignent à lui, “pour arranger les choses localement”. Car il pense qu’il n’est pas le seul à partager cette conviction. Même si tous les vaccinateurs ne sont pas là “par philanthropie", le Dr Testaert espère que d’autres lui emboîteront le pas. Il assurera, en tout cas, autant de vacations dans le vaccinodrome que son emploi du temps lui permettra, bénévolement.  

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