"Nous nous sommes tous trompés en matière de santé, et nous allons le payer le prix fort"
Les années se suivent et se ressemblent, imposant aux acteurs de santé toujours plus d'économies. Jean-Carles Grelier, député de la Sarthe membre du mouvement Libres de Valérie Pécresse, est l'une des voix qui s'élèvent contre cette "logique budgétaire mortifère". Alertant sur l'explosion imminente du système de santé, il plaide pour la suppression des ordonnances Juppé, la renégociation de la dette des hôpitaux et la revalorisation financière de la médecine générale. Egora.fr : Comment jugez-vous les arbitrages pris dans le cadre du PLFSS 2020 ? Jean-Carles Grelier : Le PLFSS 2020, c'est le même que celui de l'année dernière… en pire. C'est encore plus d'économies imposées à un système de santé, quelles que soient ses branches, qui n'en peut plus. Pour l'Ondam médecine de ville, la diminution va être sensible et ne permettra pas de déployer les espoirs nés de la loi de transformation du système de santé. A l'hôpital, dont la crise des urgences est la vitrine du mal-être, on va devoir faire des économies supplémentaires : alors que l'Ondam hospitalier devrait être à 4,4, voire 4,5%, on va être à 2,1, soit la moitié des besoins, ce qui va aggraver la situation. Sur la filière médicaments et dispositifs médicaux, on a plus d'1 milliard d'euros d'économies, alors qu'on connaît des pénuries de médicaments et que des officines ferment un peu partout en France. Et la logique de tout ça, c'est qu'il faut qu'on ramène les comptes de la Sécurité sociale à l'équilibre : d'accord… mais pour quoi faire ? On sait que la demande en santé ne va cesser de croître, parce qu'on a une population qui vieillit, mais pas en bonne santé parce que depuis 25 ans on a été incapable de mettre en place une vraie politique de prévention : 65% des dépenses de santé tous les ans sont consacrées aux maladies chroniques. Les arbitrages qui ont été faits sont les mêmes que depuis des années : des économies. Parce qu'on est intimement persuadé, avenue de Ségur, qu'en matière de dépenses, c'est toujours trop : trop de médecins, trop de médicaments dispensés, trop d'hospitalisations, trop de services, trop de personnel et finalement, sans doute, trop de patients.
C'est cette même logique qui avait fait baisser le numerus clausus il y a des années… Exactement ! Très sincèrement, je n'en fais pas un sujet politicien. Mais j'aimerais qu'on en fasse un sujet politique. Je sors un ouvrage en janvier prochain intitulé "Nous nous sommes tant trompés". Parce qu'on s'est tous trompé en matière de santé, toutes formations politiques confondues. Et je pense que...
nous allons le payer le prix fort. Il y a une véritable inquiétude, qui confine à l'angoisse de la part de nos concitoyens, et nous sommes incapables de régler la situation dans des délais rapides. Vous dénoncez une "logique budgétaire comptable mortifère" et plaidez pour une loi organique de santé. En quoi cela peut résoudre les problèmes ? Si demain, on met un terme aux ordonnances Juppé de 1995 et qu'on arrête d'identifier la santé dans une loi de financement spécifique, qu'on en fait une politique publique comme les autres, qu'on la ramène dans le giron de l'Etat et qu'on la traite comme une priorité, au même titre qu'on a su le faire pour l'Education nationale et la Défense nationale il y a quelques années, on peut redonner de l'air et remettre à flot un système à bout. C'est une volonté politique. Si le Premier ministre et le Président de la République l'exigent, Bercy s'inclinera et ira par solidarité chercher dans les autres budgets de l'Etat les moyens nécessaires au déploiement d'une vraie action santé. L'idée serait qu'elle s'étale sur cinq ans. Une fois encore, on a su le faire pour la Défense. On a adopté une loi de programmation budgétaire sur 5 ans et on a su aller trouver dans les budgets de l'Etat les moyens nécessaires et suffisants pour financer un nouveau porte-avion à propulsion nucléaire et des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Ce que l'on a été capable de faire pour la Défense nationale, on doit évidemment le faire pour la Santé, qui concerne tous les Français, de la néonatalité à la fin de vie. Ce n'est pas une solution pérenne… Une fois qu'on aura été jouer sur la solidarité de toutes les politiques publiques, que fait-on ? On retombe dans une politique d'économies ? Certes non ! Mais ce délai de 5 ans permet de réfléchir à d'autres modes de financement. Dans le système actuel, qui a l'air de plaire à la ministre, quels sont les choix qui nous restent si on veut trouver des moyens supplémentaires ? Augmenter les cotisations ou augmenter les impôts. On a bien vu qu'à une période où le pouvoir d'achat est un marqueur fort de revendication sociale, on ne peut faire ni l'un, ni l'autre. On est dans un système complètement fermé, étroit, où le seul moyen que ça rentre c'est de continuer à pousser dans l'entonnoir pour faire des économies… jusqu'à ce qu'on ait tué le système. Comment faire face à la crise des hôpitaux et à la souffrance des professionnels à court terme ? Je fais une proposition simplissime, qui nécessite une volonté politique du Gouvernement et un vote au Parlement : créer une caisse de défaisance, comme on l'a fait pour le Crédit lyonnais en son temps, pour la SNCF, pour la Sécurité sociale, pour prendre en charge les presque 40 milliards d'euros de dettes des hôpitaux, qui tuent nos établissements. Si vous suivez les débats du PLFSS, vous n'entendrez jamais parler de la dette des hôpitaux. Alors que c'est la résultante directe des sous-dotations. Quand vous avez besoin de 100 pour fonctionner et que je vous donne 50, vous allez emprunter ce qui vous manque pour continuer à fonctionner. On a généré la dette des hôpitaux. Elle est extraordinaire car elle ne rentre pas dans les critères de Maastricht, mais elle plombe la comptabilité de tous les hôpitaux de France. Quand vous gérez...
un établissement surendetté, vous n'avez plus aucune marge de manœuvre pour embaucher du personnel, acheter du matériel plus performant ou investir dans l'immobilier pour développer de nouveaux services. Faire sortir ces 40 milliards d'euros du budget des établissements, c'est donner à l'Hôpital public une énorme bouffée d'air à budget constant. Il faudra évidemment prendre des garanties, pour encourager les vertueux et pas ceux qui ont laissé filer les comptes. On pourrait gager cette caisse d'amortissement sur le patrimoine non hospitalier des hôpitaux. Il est énorme. Il n'y a sans doute pas de quoi couvrir les 40 milliards, mais de quoi renégocier les emprunts, allonger la durée d'amortissement à l'intérieur de la caisse pour diminuer la charge globale.
Il y a quelques solutions simples comme celle-là. Ce qui m'effare le plus, c'est que personne ne fait jouer son imagination : on reproduit les mêmes schémas inlassablement et tous les PLFSS se suivent, année après année, jusqu'à ce qu'on ait fini par tuer le système de santé. Car ce sont les mêmes fonctionnaires qui tournent en permanence. Mercredi, en commission des Affaires sociales, on auditionnait le candidat pour les fonctions de directeur général de la HAS [Thomas Wanecq, NDLR]. Qui n'est autre que l'ancien sous-directeur de la direction de la Sécurité sociale… On n'en sort jamais. Dans ma région des Pays-de-la-Loire, j'ai connu Cécile Courrèges comme directrice générale de l'ARS avant qu'elle ne devienne directrice de la DGOS au ministère ; et j'ai connu Yann Bubien, qui était directeur du CHU d'Angers, avant qu'il ne devienne directeur adjoint du cabinet de la ministre et qui vient de partir comme directeur du CHU de Bordeaux… et reviendra un jour au ministère pour une grande direction. C'est pour ça que rien ne change jamais. Et c'est pourquoi je souhaite que la santé soit traitée comme un vrai sujet politique, au plus haut niveau : si personne n'impose rien à ces administratifs qui se précèdent et se succèdent les uns les autres, rien ne changera jamais ; dans 20 ans, on sera toujours au même point, avec un système de santé qui sera mort et enterré. Comment améliorer, dans l'immédiat, l'accès aux soins de ville avec une démographie médicale en berne pour les années à venir ? Il faut déjà tenir les promesses que l'on fait. La première figure dans la loi de transformation du système de santé : on nous a annoncé une réforme en profondeur des études de médecine, pour varier le profil des étudiants, un peu moins scientifique et un peu plus ouvert à ce qu'est la réalité de la médecine générale au quotidien. Or, face aux décrets sortis jeudi, les syndicats d'étudiants sont vent debout parce qu'il n'y a rien de ce qui avait été annoncé. On ne remet pas vraiment en cause le numerus clausus puisqu'on laisse à chaque faculté de médecine, avec son ARS, le soin de définir le nombre d'étudiants qui pourront s'inscrire en médecine en 2ème année… Et tant qu'on n'aura pas revaloriser la MG au regard des autres spécialités, on n'y arrivera pas. Vous avez encore des doyens qui expliquent à leurs étudiants que s'ils ne travaillent pas, ils finiront généralistes dans la Sarthe… Pourquoi la MG, médecine de spécialité aujourd'hui, est la seule à 25 euros quand les autres vont jusqu'à 45 ? Si on a envie de revaloriser la MG, la médecine libérale et de favoriser l'implantation dans les territoires, commençons par ça. Effectivement, il faut du temps : former un médecin, c'est au minimum 10 ans. Mais j'ai posé...
la question à la ministre, pour qui la suppression du numerus clausus est l'alpha et l'oméga du règlement du problème de la démographie médicale : qu'est-ce qui nous donne la certitude que dans 10 ans, plus de candidats feront le choix de la MG et plus de candidats feront le choix du rural ? On a absolument aucune certitude. Il est assez probable que dans dix ans, dans un département rural comme le mien, on aura toujours aussi peu de médecins, sans doute même encore moins qu'aujourd'hui et toujours autant de difficultés à trouver un médecin traitant.
Que proposez-vous ? Il faut travailler plus qu'on ne le fait sur le partage des tâches entre les professionnels de santé. Quand vous vous adressez à des étudiants en médecine qui ont un haut niveau scientifique il faut leur proposer des fonctions à la hauteur. Or, les cabinets de MG sont souvent encombrés par des tâches qui ne relèvent pas réellement de la compétence d'un médecin. Les étudiants des spécialités paramédicales sont prêts à travailler à des collaborations. Quand je vois la complexité imposée aux CPTS… Avec des CPTS de 150-200 professionnels de santé, vous n'aurez pas de partage de tâche. On sait bien qu'un médecin, sur son territoire, travaille déjà avec son réseau de spécialistes, son établissement de santé, les infirmières libérales, les kinés, le radiologue… Tout ça fonctionne, il suffit juste de les autoriser à mettre ça en réseau, et de regarder ce qu'on peut sortir des cabinets de MG et renvoyer vers d'autres professions de santé. Un exemple : le PLFSS 2020 supprime les certificats médicaux de pratique sportive pour les enfants. Il me semble que cela représente un danger monumental : on va envoyer des enfants faire des compétitions, sans l'avis d'un médecin, avec simplement une attestation des parents. Pourquoi ne pas avoir délégué ça à une infirmière, qui aurait été en capacité à le faire ? C'est ce type de réflexion qu'on n'est pas en capacité à avoir aujourd'hui parce que le dialogue entre professionnels n'est pas facilité. C'est le rôle de la ministre de mettre tout le monde autour de la table en interdisciplinarité. Vous évoquez le sentiment d'abandon des territoires ruraux et plaidez pour plus de pouvoir aux régions en matière de santé. Comment ? Je ne suis pas favorable à la création d'Ordam, objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie. Je pense que l'Etat doit garder un rôle de régulation. Mais dans l'administration quotidienne, dans les projections d'investissement faits dans les territoires, on pourrait imaginer que les conseils de surveillance des ARS, actuellement sans pouvoir, deviennent des conseils d'administration avec un pouvoir de décision. Les conseils régionaux pour la partie sanitaire, et les conseils départementaux pour la partie médico-sociale, pourraient y siéger. On aurait une vraie coopération pour bâtir des projets et des programmes d'investissement cofinancés par l'Etat, la région et les départements. On est capable de le faire pour les infrastructures de transport avec les contrats de plan Etat-région qui envisagent les grands investissements structurels sur 5 ans, avec un co-financement. On peut, on doit le faire dans le domaine de la santé. J'ai été maire : dans ma petite ville, l'hôpital avait besoin d'un scanner mais n'avait pas la possibilité de le financer ; c'est la ville qui l'a acheté, parce que c'est l'intérêt général des habitants. Pendant dix ans, l'Etat s'est moqué des problèmes de démographie médicale et a laissé les élus des territoires les gérer. Ça a créé des situations disparates. Et là, dans la loi de santé, l'Etat reprend la main au travers notamment des CPTS et met les collectivités à la porte. Mais les CPTS, ça ne pas être une décision de l'Etat, ça doit être la décision des professionnels des territoires, en partenariat avec les élus locaux et les services de l'Etat. On est en train de reconstruire un système de santé à partir des professionnels, mais si on voulait être efficace, il faudrait le reconstruire à partir du patient, qui est un acteur de la santé. On aurait une lecture territoriale complètement différente.
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