Agnès Buzyn : "La vieillesse n’est pas un naufrage, mais un processus biologique"

30/05/2018 Par Catherine le Borgne

La ministre de la Santé a présenté sa feuille de route pour "relever le défi du vieillissement à court et moyen terme". Dans un climat tendu, marqué par les mouvements de grève des personnels des EHPAD, qui réclament plus de moyens, Agnès Buzyn a mis quelques centaines de millions d’euros sur la table pour satisfaire le court terme. Mais, pour le moyen terme, elle veut "transformer le modèle de prise en charge" pour assumer le coût du vieillissement, qui ira croissant.


C’est la voix enroulée et secouée de quintes de toux (qui l’ont obligée à s’interrompre plusieurs fois), que la ministre a conclu les travaux de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et de l’Assemblée des départements de France, sur l’autonomie des personnes âgées et les territoires en présentant sa feuille route pour le vieillissement.  

Aucune baisse des dotations

  Ce document de cadrage était très attendu par les personnels, qui se sont mobilisés contre la réforme de la tarification dans les EHPAD, négociée sous le gouvernement précédent, qui devait se traduire par une réduction de leurs moyens, alors que les établissements croulent déjà  sous l’excès de travail et le manque d’effectifs. La ministre les a entendu et promet un « gel des effets de la réforme  pour 2018 et 2019 » de manière qu’aucune baisse des dotations, ni en soins ni en moyens relatifs à la dépendance n’intervienne lors de ces deux années. Ces mesures s’ajoutent aux 70 millions déjà débloqués pour 2018. Pour le court terme, donc, une série de mesures immédiates a été annoncée :  15 millions d’euros seront alloués en 2018 pour le financement de plans de prévention en EHPAD, pilotés par les Agences régionales de santé. Ces moyens seront portés à 30 millions d’euros à partir de 2019 et financés par l’assurance maladie. « Après ces deux années de pause tarifaire, nous  pourrons revoir le système d’évaluation des besoins et insuffler plus de prévention, dès 2020 » a expliqué Agnès Buzyn. Pour que les personnes puissent rester  à domicile « ce qui est majoritairement leur souhait », ou bien leur permettre de trouver des modes d’habitats alternatifs et inclusifs,  100 millions d’euros seront consacrés en 2019 et 2020 à la refonte du mode de financement de l’aide à domicile pour améliorer la qualité des services, les rendre accessibles à tous et recruter du personnel, le manque d’attractivité du secteur, pourtant porteur de croissance et d’emplois, étant « préoccupant » a remarqué la ministre. Pour les familles et les aidants, qui supportent souvent un lourd fardeau,  le Gouvernement s’engage à déployer un plan global de soutien qui permettra notamment le développement de solutions de répit adaptées à leurs besoins, le développement de l’accueil de jour et l’amélioration des conditions de l’articulation entre vie professionnelle et soutien aux personnes âgées.  Le système d’affiliation à l’aide sociale doit également être remis à plat.  

Recruter des personnels soignants


Mais le plus gros de l’effort sera réalisé en direction des  EHPAD, qui recevront 360 millions d’euros supplémentaires de 2019 à 2021 « par rapport à la trajectoire des dépenses de l’ONDAM », pour recruter des personnels soignants, ce qui doit représenter « 147 000 heures de plus d’ici 2021 ».  Un passage au tarif global est prévu pour les établissements, « qui permettra de mieux coordonner les interventions des professionnels, y compris les médecins généralistes ». Le rôle de prescription du médecin coordonnateur doit également être réformé. Pour réduire les hospitalisations en urgence évitables et sécuriser les prises en charge nocturnes, 36 millions d’euros seront consacrés à la généralisation de la présence d’infirmiers de nuit d’ici à 2020. De plus, un effort financier de 40 millions d’euros sur la période 2018-2022 permettra de généraliser l’accès à la télémédecine, en particulier dans les zones à faible présence médicale, recourir à des infirmières de pratique avancée ou à des soins palliatifs. Par ailleurs, 1000 places d’hébergement temporaire en EHPAD pour les personnes sortant d’hospitalisation seront financées à hauteur de 15 millions d’euros par l’assurance maladie dès 2019 , l’objectif étant de réduire les durées d’hospitalisation et de faciliter le retour à domicile des personnes, tout en les maintenant dans un environnement sécurisé. Pour les soutenir les soignants, la commission Qualité de vie au travail installée fin 2017 a proposé un plan d’actions qui mobilisera 16 millions d’euros pour l’amélioration des locaux, la formation au management de l’encadrement, l’acquisition de matériels soulageant les personnel. Enfin, les référentiels d’activités, de compétences et de formation des aides-soignants seront revus d’ici mars 2019 pour adapter les qualifications et les pratiques aux évolutions des besoins.  

"Mieux connaître les besoins des personnes âgées"

  « Mais pour que ces mesures soient pleinement adaptées, il convient de mieux connaître les besoins des personnes âgées et de leurs familles », a rappelé la ministre de la Santé. « Il ne faut pas nous laisser enfermer dans une vision étroite et sanitaire du sujet, qui doit être envisagé de manière globale, en interministériel et non cloisonné. Nous devons mieux connaître et évaluer ». A cet effet, des  enquêtes de satisfaction vont être conduites par la Haute Autorité de Santé (HAS) dans les établissements pour personnes âgées et diffusées dès 2019 afin de mieux définir les actions prioritaires à mener. « Nous devons développer la recherche en gériatrie, la clinique et les sciences sociales. La gériatrie et la gérontologie doivent davantage être présents dans la formation des médecins et des aides soignantes, en formation initiale et continue, pour suivre l’évolution des acquis ». Agnès Buzyn estime que notre système « doit faire des progrès, développer prioritairement le reste à charge zéro pour les lunettes et les prothèses auditives et dentaires » pour ces publics. Car la ministre veut préparer l’avenir avec  un rendez-vous fixé à 2030. « Il nous faut repenser en profondeur notre modèle de prise en charge, car il faudra dépenser plus. Or, nous n’avons pas encore vraiment trouvé... de modèle, malgré la mise en place de l’Aide à l’autonomie et la loi sur l’adaptation de notre société au vieillissement ». Selon la ministre, et contrairement à ce qu’affirmait de Gaulle «la vieillesse n’est pas un naufrage, mais un processus biologique naturel ».  

Une consultation citoyenne

  Un grand débat associant  l’ensemble des acteurs et des citoyens sera lancé pour aboutir à des propositions début 2019. Plusieurs thèmes et enjeux seront livrés à la discussion : Quelles sont les priorités, le socle de biens et de services qui doivent être à l’avenir accessibles à toutes les personnes âgées pour accompagner le vieillissement et la perte d’autonomie ? Quels sont les scénarios de répartition des contributions de chaque acteur pour assurer un financement pérenne et solidaire de la perte d’autonomie ? Comment faire évoluer la gouvernance nationale et territoriale des politiques publiques du vieillissement et de la perte d’autonomie ? La concertation et le débat public seront organisés aux niveaux national et territorial. Une consultation citoyenne permettra à chacun de s’exprimer et de contribuer. Là seront sans doute évoquées les hypothèses entendues il y a peu, d’un jour de solidarité supplémentaire ou d’un alourdissement des cotisations des actifs. Ou d’une plus grande participation des assurances complémentaires au financement. Réponses d’ici  un an.  

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