
"Vous n'aimez pas vos patients" : avec la proposition de loi Garot, s'ouvre le procès des médecins libéraux
Dans une semaine, la commission des Affaires sociales examinera la proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux, portée par le député socialiste Guillaume Garot. En coulisses, les représentants des médecins libéraux tentent tant bien que mal de mettre en garde les élus contre un texte qui condamne la profession, coupable de ne pas avoir tout sacrifié au nom de la "vocation".

Les représentants des médecins libéraux ne sont pas près d'oublier leur audition, le 5 mars dernier, par les députés du groupe de travail "transpartisan" contre les déserts médicaux, en amont de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi Garot. "On est ressortis de là un peu sonnés, nous souffle le Dr Frédéric Villeneuve, président de la FMF-Gé. On a ressenti une certaine agressivité à notre égard. L'ensemble de cette audition m'a donné le sentiment d'un tribunal improvisé. Un procès à charge contre les médecins libéraux, qui seraient des professionnels peu impliqués, privilégiés, voire coupables de ne pas en faire assez."
Une députée, en particulier, a été "odieuse, en nous renvoyant à la tête notre vocation, prétexte à toutes les contraintes", évoque la Dre Sophie Bauer, présidente du SML. "Elle a expliqué que son époux avait été vétérinaire, que toute sa vie durant avec son associé ils avaient été de garde une nuit sur deux, qu'on ne rendait pas compte que dans les territoires nos concitoyens n'arrivaient plus à se faire soigner", relate son homologue de la CMSF, le Dr Franck Devulder, qui voit dans cette intervention "chargée en émotion" "un appel au secours". "C'est vrai qu'à la fin, c'était très violent, confie-t-il. 'Vous n'aimez pas votre métier, vous n'aimez pas vos patients'…", cite-t-il.
Redoutez-vous le rétablissement de l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires?

Nathalie Hanseler Corréard
Oui
Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus
Des propos "culpabilisants", voire "insultants", mal vécus par les responsables syndicaux. "Moi, je n'ai pas de leçons à recevoir de ces gens-là, j'en suis à 80 ou 90 heures par semaine actuellement, je ne vois que des gens qui n'ont pas vu de médecin depuis 3 ou 4 ans, on ne va pas s'y crever non plus", fulmine encore le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S.
A une semaine de l'examen en commission des Affaires sociales de la proposition de loi le 26 mars, les représentants de la profession tentent, tant bien que mal, d'alerter les élus sur les effets pervers des mesures qu'elle contient. Au premier rang desquelles la régulation de l'installation des médecins, mais aussi le rétablissement de la PDSA obligatoire. "Si les jeunes médecins se rendent compte que s'ils choisissent le libéral, ils ne pourront pas s'installer où ils veulent et qu'ils seront obligés de tous participer à la PDSA et que face à cela, on finance beaucoup plus les centres de santé et le salariat où la productivité est moindre, vous pensez réellement qu'il y aura encore beaucoup de médecins libéraux ?", interpelle Franck Devulder. "Cette loi va foutre complètement par terre la médecine libérale, et notamment la médecine générale. C'est voué à l'échec", martèle le Dr Marty. "Le ministère dit qu'il n'y a plus de territoire sur-dense. 90% est en tension démographique en ce qui concerne l'accès à des médecins", rappelle Franck Devulder. "Tout ce qu'ils vont faire c'est des effets d'aubaine, c’est-à-dire qu'on pourra vendre nos cabinets", lance Jérôme Marty.
Les "transpartisans" n'en sont certes pas à "leur coup d'essai", mais la menace n'a jamais été aussi sérieuse, reconnaît le président de la CSMF. "On nous annonce que le nombre d'élus transpartisans hors RN prêts à voter ce texte atteindrait le chiffre de 250, c'est franchement beaucoup… Mais les ministres sont ouvertement contre cette PPL."
Cinq articles
Mais plutôt que de "jeter en pâture" auprès de leurs électeurs les députés prêts à commettre cette "folie", la CSMF préfère jouer la carte de la diplomatie. Dans une lettre ouverte, lundi 17 mars, le syndicat démonte une à une les mesures problématiques de la proposition de loi, réduite à cinq articles, contre 16 initialement. "Ils l'ont réduite pour qu'elle rentre dans la fenêtre parlementaire de début avril", explique Franck Devulder. Les transpartisans seraient néanmoins déterminés à réintroduire par voie d'amendements les articles sacrifiés : limiter la durée de remplacement des médecins à 4 ans, interdire toute nouvelle installation en secteur 2, financer des postes de médecins salariés, auto-déclarer les arrêts maladie de moins de 3 jours…
"Ce qu'on leur dit c'est : 'N'allez pas imaginer que c'est l'alpha et l'omega', car certains députés le pensent", rapporte Franck Devulder. D'autres en revanche, sont dans "l'idéologie pure et dure", pointe le gastro-entérologue. "Ils nous traitent de populistes mais les populistes, c'est eux, enfonce Jérôme Marty, président de l'UFML-S. Ils feraient n'importe quoi pour avoir leur nom sur une loi et dire à leurs électeurs 'Nous on a fait ça' en se foutant complètement des conséquences."
"Je leur ai dit : 'Faites la PDSA obligatoire, mais le repos compensateur, comment vous l'organisez, comment vous le financez ?'", illustre le généraliste. 'Est-ce à dire que vous imaginez que des généralistes qui bossent déjà 55 heures par semaine vont bosser le soir jusqu'à minuit ou le week-end et reprendre le matin à 8h sans repos compensateur, en faisant fi de toutes les lois du travail ?' Donc pour qu'un médecin voit 2-3 patients en nuit légère, on va pénaliser les 20 qu'ils auraient pu voir le lendemain matin…", démontre-t-il.
Le territoire national a beau être couvert à 96% par la PDSA, "plus de 8 médecins traitants sur 10" y participent déjà d'après la CSMF. Les transpartisans "tordent les réalités", dénonce Jérôme Marty. Ainsi, dans l'exposé des motifs, les auteurs de la PPL vont jusqu'à citer l'Ordre des médecins pour pointer "le désengagement des médecins libéraux" et la baisse du taux de participation… alors que celui-ci a augmenté ces dernières années. "Il atteint presque les 40%, s'écrie Franck Devulder. Si sur un territoire donné, il y a des trous dans la raquette, il faut les identifier. Et utiliser l'ensemble des bras disponibles." Y compris ceux des médecins salariés des centres de santé, tacle le président de la CSMF.
Prenant la parole tour à tour lors de cette fameuse audition, les représentants des médecins libéraux ont pourtant tenté d'avancer des "solutions" aux difficultés d'accès aux soins : l'universitarisation des territoires, la mise en place d'un assistanat territorial ouvrant l'accès à un espace de liberté tarifaire, l'exercice avancé dans les zones sous-denses… "Ce qui prouve que ces gens-là sont idéologues et totalement obtus et qu'ils n'écoutent rien, c'est qu'on a eu droit à la fin à : 'Vous ne faites que râler, mais vous ne proposez rien'", fulmine Jérôme Marty.
De son côté, Guillaume Garot a salué sur les réseaux sociaux un "dialogue aussi franc qu'utile avec les syndicats de médecins", reconnaissant simplement "des désaccords sur la régulation". Nommé ce mardi rapporteur de la proposition de loi au nom de la commission des affaires sociales, le député de la Mayenne a de nouveau convié les présidents de syndicats à participer à une "table-ronde" lundi 24 mars. "On doit avoir mal compris son projet et il veut nous [le] réexpliquer", ironise Frédéric Villeneuve, qui dénonce un "semblant de concertation".
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