Personnes transgenres : une chirurgie débordée par la demande

19/05/2023 Par Romain Loury
Chirurgie
Alors que les demandes de réassignation sexuelle sont en forte hausse, l’offre chirurgicale demeure limitée en France, constate l’Académie nationale de chirurgie. Face aux insuffisances de la prise en charge des personnes transgenres, la Haute autorité de santé (HAS) s’est attelée à une réforme du protocole de soins, inchangé depuis 1989.

  En 10 ans, l’activité a doublé : en 2011, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) recensait 210 séjours hospitaliers au cours duquel au moins un acte de chirurgie pelvienne avait été réalisé. En 2020, ce chiffre atteignait 411. Tous actes confondus, le nombre de séjours pour « transsexualisme » a même triplé sur la même période, passant de 536 à 1 615. « L’offre de soins est débordée par la demande », a observé le Dr Antoine Faix, chirurgien urologue-andrologue à la Polyclinique Saint-Roch (Montpellier), lors d’une session organisée le 19 avril dernier sur la chirurgie transgenre par l’Académie nationale de chirurgie. A l’hôpital Foch de Suresnes, le délai de prise en charge est compris « entre deux et trois ans » pour une chirurgie pelvienne, indique le Dr François-Xavier Madec, chirurgien en urologie, andrologie et sexologie, qui y exerce.   Une offre limitée, mais qui se développe En France, ce délai serait même « de deux à cinq ans », selon un rapport* rendu en janvier 2022 au ministère de la santé par deux acteurs de terrain, avec le soutien de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). En cause, « une offre de soins trop limitée et mal répartie géographiquement ». Le pays compterait « un peu moins de dix centres » assurant la chirurgie génitale de réassignation sexuelle, explique François-Xavier Madec. La principale raison en est la haute « technicité » de ces actes.

Face à des délais aussi importants, nombreuses sont les personnes tentées de se rendre à l’étranger, en Thaïlande pour la vaginoplastie, en Serbie ou au Royaume-Uni pour la reconstruction pénienne. Tenues d’assumer 100% des coûts, elles peuvent rencontrer des difficultés à leur retour en France. « Comme ces opérations sont souvent source de petites complications, de ‘retouches’ à faire, le retour dans le système de santé français peut être problématique, alors que les équipes sont déjà saturées par les patients qu’elles suivent de A à Z. C’est aussi pour cela qu’il faudrait un nombre d’équipes suffisant », explique Antoine Faix. L’hôpital de Foch et l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) ont mis en place deux diplômes interuniversitaires (DIU), l’un sur l’accompagnement, aux soins et à la santé des personnes transgenres, l’autre sur la chirurgie de la verge et à la reconstruction urogénitale. De son côté, l’Association française d’urologie (AFU) a mis en place une équipe de référence, qui elle-même s’investira dans la formation d’autres équipes.   Vers une refonte de la prise en charge Longtemps considérée comme un trouble psychiatrique, la transidentité a été recatégorisée en 2019 en sujet de santé sexuelle, lors de la 11ème édition de la Classification internationale des maladies (CIM11) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entrée en vigueur en 2022. Une évolution décisive, qui a incité la HAS à revoir son protocole de soins, qui date de 1989. Récemment lancé**, ce travail pourrait accorder une place plus importante à la médecine de ville, y compris aux médecins généralistes : selon Antoine Faix, ceux-ci « doivent être formés à la question. Ils connaissent l’environnement social et familial de leurs patients, et ils peuvent donc faire de la pédagogie auprès de l’entourage pour protéger leurs patients. Une fois que le traitement hormonal a été lancé, le généraliste peut aussi intervenir dans son renouvellement et son suivi, mais aussi servir de courroie de transmission lors des demandes de prise en charge chirurgicale ». Coprésidente de l’association Trans Santé France, Béatrice Denaes plaide pour étendre la prescription des traitements hormonaux : « n’importe quel généraliste doit pouvoir être capable de les prescrire, à condition d’être formé à cela ». D’autant que, en miroir de la chirurgie, les délais de consultation auprès des endocrinologues hospitaliers sont importants. Une situation qui, selon le rapport rendu en janvier 2022 au ministère, s’expliquerait aussi par un cadre de prescription mal défini. Selon ce rapport, « l’absence d’AMM dissuade nombre de généralistes et d’endocrinologues de s’impliquer dans les traitements hormonaux de transition. Face aux difficultés d’accès aux endocrinologues, les personnes trans se tournent vers des médecins généralistes, encore peu nombreux à prescrire. Or ces derniers ne peuvent pas être primo-prescripteurs de testostérone, principal traitement masculinisant ». A la différence des traitements de féminisation, qui peuvent être primo-prescrits par les généralistes. « Les produits les plus utilisés sont pour certains mal adaptés dans leur format aux besoins des personnes trans », poursuit le rapport. « Ces difficultés d’accès se traduisent par des pratiques d’automédication hors cadre légal (achats de produits à l’étranger sur internet, partage de prescriptions…), qui peuvent se révéler préjudiciables à la santé des personnes concernées ».   *Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans, Dr Hervé Picard (médecin généraliste et médecin de santé publique, Paris) et Simon Jutant (association Acceptess-T) avec l’appui de l’Igas, remis en janvier 2022 au ministère de la santé. **Note de cadrage « Parcours de transition des personnes transgenres » de la HAS (7 septembre 2022).

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