Mme Marie Pezé est docteure en psychologie, psychanalyste, fondatrice et responsable du réseau de consultations Souffrance et Travail Egora.fr : Les troubles psychologiques sont désormais la deuxième cause d’arrêt maladie, après les troubles musculo-squelettiques (TMS). L’assurance-maladie a reconnu quelque 1 600 maladies psychiques d’origine professionnelle en 2021 et 10 700 accidents du travail liés à des affections psychiques, des chiffres en augmentation. Comment expliquer cette détérioration de l’environnement de travail ? Marie Pezé : La violence au travail se généralise, à cause de nouvelles formes d’organisation (accroissement de la charge de travail, production en mode dégradé, réorganisations permanentes…) et de la précarisation de l’emploi.
En France, les conditions de travail sont un impensé. Les lois magistrales de 2002 (loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; article L.4121 du Code du travail sur l’obligation de sécurité) posaient la protection de la santé physique et mentale des salariés en termes de résultats. Il s’agissait d’« adapter le travail à l’homme ». Puis la notion de « qualité de vie au travail », importée des États-Unis, a pris la place de la prise en charge de la santé au travail, dont il n’est plus fait mention dans le dialogue social. Comment définir les risques psychosociaux ? A quel moment le travailleur peut-il y être confronté ? Six facteurs de risques sont définis par le rapport de Michel Gollac de 2011 : les exigences du travail (intensité et complexité, horaires difficiles, conciliation avec la vie privée), les exigences émotionnelles (empathie, nécessité de cacher ses émotions…), le manque d’autonomie et de marge de manœuvre, le conflit de valeurs (désapprobation des actions, qualité empêchée), la mauvaise qualité des rapports sociaux (manque de reconnaissance, conflit, harcèlement…) et l’insécurité socio-économique (salaire, soutenabilité jusqu’à la retraite…). Or la réflexion est animée de stéréotypes. On parle de paresse des salariés français… qui sont les 4es mondiaux en termes de productivité horaire et 1ers pour la consommation de psychotropes. On met en avant des fragilités personnelles alors qu’il s’agit de vraies pathologies dues aux conditions de travail. On croit que celui qui craque est le plus fragile alors que c’est le plus investi. Le travail réel est invisibilisé par la grammaire chiffrée utilisée pour évaluer le travail. On ne traite pas le fond du problème : revoir les organisations. Quels sont les symptômes de cette souffrance ? Les signaux d’alerte sont des signaux faibles, difficiles à interpréter et informels. Cela peut être une sensibilité exacerbée, des crises de larmes, un changement brutal d’habitudes et/ou d’attitude, des plaintes récurrentes, l’isolement... La fatigue chronique est le symptôme le plus courant. On a affaire à des états de stress post-traumatique (cauchemars, crises d’angoisse…), des dépressions, des burn-out. Cela se ressent également sur la santé physique : accident vasculaire cérébral ou cardiaque, maladies métaboliques, TMS… Des troubles cognitifs peuvent apparaître, avec des pertes de compétences parfois définitives. Quel doit être le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge ? Le médecin généraliste est au centre du parcours de soins. Il a un rôle clé : il connaît le patient de longue date, voit sa situation, peut prescrire un arrêt de travail… Un guide a été publié sur ce sujet par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) : sur l’arrêt maladie, le médecin ne doit pas évoquer un lien direct avec le travail, ni la notion de harcèlement moral, ni citer le nom de tiers. Il a un délai de deux ans pour requalifier un arrêt maladie en accident du travail si un malaise subit suit un événement ponctuel au travail, ou déclarer en maladie professionnelle une dépression, une anxiété généralisée ou un état de stress post-traumatique, les trois seules pathologies reconnues par la Sécurité sociale hors tableau. Le médecin doit s’entourer d’une équipe pluridisciplinaire composée d’un psychiatre, d’un psychologue spécialisé et d’un neuropsychologue, être en contact avec le médecin du travail pour les visites réglementaires et informer le médecin conseil de la CPAM. Quand faut-il orienter le patient vers des spécialistes ? La bonne démarche intervient le plus en amont possible. L’urgence est de faire sortir le patient de la situation toxique avec un arrêt de travail – qui a souvent du mal à être accepté par l’intéressé – et de mettre en route une prise en charge pluridisciplinaire. L’ingénierie médicale, sociale et administrative [ie, le parcours médical et administratif (démarches, professionnels à contacter), afin que le salarié puisse bénéficier d’un suivi adapté NDLR] est à connaître. Vers la fin de l’arrêt maladie, une visite de pré-reprise est organisée par le médecin du travail à l’initiative du médecin traitant, du médecin conseil ou du travailleur. Mais au final, 80 % des salariés sortent de l’entreprise. La rupture conventionnelle ou l’inaptitude définitive à tout poste dans l’entreprise demeure la réponse la plus efficace pour préserver la santé du patient.
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