Arthrose : un expert fait le point sur les pistes de nouveaux traitements

07/01/2023 Par Marie Ruelleux-Dagorne
Rhumatologie
L’arthrose concerne actuellement entre 8 et 15% de la population française. Un chiffre qui atteint 65% des plus de 65 ans, d'après l’Inserm. Pourtant, aucun médicament ne permet de la guérir ni de stopper son évolution aujourd’hui. Le point avec le Pr Jérémie Sellam, président de la section arthrose de la Société française de rhumatologie (SFR) et rhumatologue à l’hôpital Saint-Antoine (Paris).

  Egora : Comment expliquer que l’arsenal thérapeutique n’ait guère évolué depuis des années ? Est-ce dû au manque de connaissance de la maladie en elle-même ? Pr Jérémie Sellam : C’est la combinaison de différentes choses. Même si elle est l’une des maladies les plus fréquentes, qui peut à la fois avoir un impact majeur sur le quotidien et augmenter la mortalité via la sédentarité, il n’y a pas de prise de conscience des pouvoirs publics sur l’enjeu sociétal, économique et individuel de l’arthrose. Et cette préoccupation est mondiale. En ce sens, l’Agence américaine du médicament (la FDA) a publié un plaidoyer Osteoarthritis is a serious disease pour affirmer la nécessité urgente de trouver de nouvelles thérapeutiques médicamenteuses dans l’arthrose. Par ailleurs, des années durant, l’arthrose a été apparentée à une conséquence normale et attendue du vieillissement alors qu’elle constitue une maladie bien identifiée au-delà du simple vieillissement des articulations, et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Cette vision complètement erronée traine encore dans le grand public et malheureusement dans le corps médical. De plus, quand on regarde les facteurs de risque (âge, obésité, antécédents traumatiques), on voit bien qu’il n’y a pas une, mais des arthroses ! Cela sous-tend que probablement, les traitements ne sont pas les mêmes en fonction du facteur de risque. Par exemple, l’arthrose métabolique associée à l’obésité et au diabète a conduit à étudier actuellement certains antidiabétiques pour traiter directement l’arthrose. De plus, la douleur est le symptôme principal de l’arthrose. Or il n’y pas de corrélation parfaite entre l’intensité de la douleur (qui est plurifactorielle) et les lésions articulaires. On assiste donc à la mise en place de différentes stratégies thérapeutiques : celles où on va tenter de bloquer les lésions articulaires en espérant secondairement que les gens aient moins mal et évitent la prothèse. Malheureusement, avec la sprifermine dont le développement a nécessité plusieurs études, les patients refont du cartilage mais pour autant, ils présentent toujours le même niveau de douleur. Ce découplage entre lésions et douleur exprimée par le patient rend les choses très difficiles. Ainsi, d’autres stratégies vont consister à cibler la douleur. Sont actuellement étudiés la capsaïcine intra-articulaire et les anti-cytokines, notamment.

  Certaines pistes comme les anti-TNF, les anti-NGF et la sprifermine ont débouché sur des impasses. D’autres axes de recherches nourrissent ils l’espoir de voir bientôt émerger de nouvelles thérapeutiques ? Parmi les recherches médicamenteuses, les grands mécanismes ciblés sont l’inflammation articulaire, l’anabolisme et le catabolisme du cartilage mais les médicaments ciblant ces mécanismes sont à un stade précoce de leur développement (phases 1 ou 2). La douleur est également ciblée directement dans les études évaluant la capsaïcine intra-articulaire. Mais il est vrai que pour l’instant, la spécialité essuie des échecs. De plus, nous venons d’apprendre lors de l'American Congress of Rhumatologie (ACR) que l’étude portant sur le lorecivivint (un inhibiteur de la voie de signalisation cellulaire Wnt dans la gonarthrose) était négative. Encore un espoir déçu certes, mais on...

vérifie si les caractéristiques des patients inclus ne seraient pas en cause. Il y aussi d’autres voies inflammatoires qui sont développées. Et nous aurons en 2023 les résultats de l’essai académique multicentrique français Estival que je coordonne sur la stimulation auriculaire du nerf vague dans l’arthrose des mains.   Quid des injections de cellules souches, cette voie de recherche qui suscite beaucoup de travaux ? Pour se prononcer, il faudra attendre les résultats du large essai européen coordonné par le Pr Christian Jorgensen (CHRU de Montpellier) : le projet Adipoa2. Il s’agit à mon sens d’une très belle étude randomisée contre placebo avec une évaluation jusqu’à 2 ans. On attend les résultats dans un peu plus d’un an ! On parle aussi beaucoup des concentrés enrichis en plaquettes. Cette stratégie parait intéressante mais aujourd’hui il y a autant d’études positives que négatives sur le sujet. En pratique, on y a recours de temps en temps en fonction des demandes patients mais ce n’est pas une révolution thérapeutique comme on peut parfois l’entendre. D’ailleurs, les recommandations sur la prise en charge de l’arthrose du genou de la Société française de rhumatologie en 2020 ne se prononçaient pas par manque de données solides.    Comment voyez-vous la prise en charge de la maladie dans 10 ou 20 ans ? L’effort va d’abord être de détecter précocement les différentes arthroses et savoir ensuite identifier celles qui sont à risque de progression. Ce qui n’est pas le cas pour toutes les arthroses, car certains patients se satisfont d’antalgiques, d’AINS topiques et d’infiltrations ponctuelles (corticoïdes ou acide hyaluronique). Mais il ne faut pas être défaitiste ! Il y a une partie des patients qu’on parvient à soulager. Pour autant, nous avons besoin de nouveaux médicaments. En recherche, il y a un effort important sur la caractérisation moléculaire des patients à risque de progression afin de comprendre ce qu’il se passe chez eux d’un point de vue biologique, d’une part, pour pouvoir les identifier précocement, et d’autre part, pour trouver de nouvelles cibles thérapeutiques. Un autre pan de recherche très important, est celui de la signature moléculaire de la douleur et ses différentes composantes. Comprendre les mécanismes de chaque type de douleur serait une grande avancée ! Globalement, la prise en charge multimodale de l’arthrose fonctionne. Mais le patient doit devenir acteur de sa prise en charge. Il faut promouvoir l’activité physique en adaptant les traitements antalgiques et travailler sur le renforcement musculaire. L’étude Incredible conduite notamment par le Pr Alain Saraux à Brest, cherche à savoir si finalement un traitement médical optimal (incluant kiné, diète, infiltrations, supervision médicale et paramédicale…) peut faire aussi bien qu’une prothèse de genou. Rappelons que 15 à 20% des patients avec prothèse du genou restent douloureux, preuve que le traitement médical a toute sa place dans l’arthrose.   * Le Pr Jérémie Sellam déclare avoir participé à des interventions ponctuelles pour : Astra Zeneca, Roche, Chugai, Pfizer, BMS, MSD, Abbvie, Sandoz, Hospira, Janssen, Novartis, Fresenius Kabi, Sanofi Genzyme, Galapagos ; et touché des subventions de recherche avec : Roche, Pfizer, MSD, Schwa Medico, et BMS.

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