Le Leem inquiet pour l’avenir du secteur du médicament en France

18/01/2023 Par Marielle Ammouche
Médicaments
C’est dans un contexte tendu, marqué par les pénuries et une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui prévoit d’importantes économies sur le médicament, que les entreprises du médicaments (Leem) ont adressé leurs traditionnels veux à la presse le 17 janvier dernier. Et pour le moins que l’on puisse dire, le climat était plutôt à la déception et aux doutes. Le Leem souhaite cependant se montrer constructif et surtout force de propositions, misant sur le fait qu’il s’agit là d’une phase "transitoire" pour améliorer la situation. 

 

Loin de l’optimisme affiché il y a 1 an avec la mise en place de réformes profondes - telles que celle de l’accès précoce - et les promesses d’un nouvel élan pour les investissements et l’emploi via le Plan Innovation Santé 2030, Thierry Hulot, président du Leem, constate que "l’année qui vient de s’écouler a marqué un coup d’arrêt de cette politique volontariste". 

En cause, en particulier, la LFSS 2023 qui constitue "une approche purement comptable et courtermiste de la politique du médicament", avec des baisses de prix et l’explosion de la clause de sauvegarde, qui "confisque l’essentiel de notre croissance", assure Thierry Hulot. Il déplore le conséquences négatives sur l’attractivité de la France "pour la recherche, pour la présence industrielle, pour l’emploi et, à terme, pour l’accès à l’innovation". 

Face à cette situation, Thierry Hulot identifie deux priorités, qualifiées "d’impératifs" pour 2023. Le premier est de garantir l’accès aux médicaments. Cela concerne à la fois les problèmes de ruptures et d’accès aux innovations thérapeutiques. Le deuxième est de réinventer le système de régulation et de financement du médicament. "Le modèle actuel ne correspond pas aux enjeux actuels et encore moins à ceux de demain", affirme Thierry Hulot. 

 

Des recommandations pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement 

L’enjeu des ruptures est majeur et s’amplifie. "C’est une priorité absolue", insiste Thierry Hulot. Au premier semestre 2022, plus de 660 ruptures ont été déclarées contre 900 sur l’ensemble de l’année 2021. Cela concerne des produits matures, souvent génériqués. Leurs causes sont multifactorielles : augmentation de la demande, du fait d’un regain de pathologies hivernales, et une production qui ne suit pas. Or, dans ce contexte, la France est plus exposée à ce phénomène que ses voisins européens du fait de la faiblesse des prix, "les plus bas d’Europe" * rappelle T. Hulot, des obligations de stockage, et de l’impossibilité de répercuter la hausse des coûts de production. En conséquence, non seulement les industriels sont frileux à investir en France, mais en outre, notre pays n’est plus prioritaire en cas de tensions d’approvisionnement.  

En comparaison, la stratégie est bien différente chez nos voisins. L’Allemagne, par exemple, où les prix sont pourtant plus élevés, vient d’annoncer son intention de relever de 50% le prix de certains médicaments matures à risque de tensions.  

Le Leem va donc proposer, d’ici la fin du trimestre, un plan d’action et des recommandations aux pouvoirs publics, autour de plusieurs grandes lignes directrices comme : un meilleur partage de l’information, la nécessaire mise en place d’un outil de pilotage en temps réel à l’échelle européenne et une priorisation sur les 200 à 300 molécules d’intérêt stratégique, "dont il est urgent que l’Europe établisse la liste", rappelle Thierry Hulot. "J’appelle d’ores et déjà à ce que nos propositions soient au cœur du Plan d’urgence 2023 que le Gouvernement s’est engagé à mettre en place." 

 

Miser sur le "made in France"

L’accès aux médicaments passe aussi par une production en France et une réindustrialisation. La France est passée de 1er producteur européen de médicaments en 2004 à 5ème aujourd’hui. Et sur 488 AMM enregistrées entre 2016 et 2021, seuls 42 médicaments sont fabriqués en France contre 112 en Allemagne. "La France et l’Europe se trouvent donc dans une situation d’ultra-dépendance en matière de médicaments vis-à-vis de l’Asie [Chine, Inde, NDLR] et même des États-Unis qui semblent devenir plus attractifs pour certains industriels", souligne Philippe de Pougnadoresse, administrateur du Leem et directeur général d’Ipsen France. "La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une fatalité. Et que nous pouvons encore changer la donne", ajoute-t-il. La volonté est là, de même que le savoir-faire, et...

une "tradition d’excellence" sur les 271 sites de production, dont 32 de bioproduction. En outre, ce constat semble partagé par le Gouvernement, comme le montre le Plan France Relance et le Plan Innovation Santé 2030. "Nous devons aller plus vite et plus fort. Pour cela, nous demandons des dispositifs incitatifs, tels que les crédits CSIS, plus attractifs, mieux dotés, et plus transparents", insiste Philippe de Pougnadoresse. 

 

Accès à l’innovation : peut mieux faire 

Concernant l’accès à l’innovation, malgré la réforme de l’accès précoce, qui permet de traiter des patients avec les dernières innovations avant même leur mise sur le marché, "la phase d’accès au marché reste la plupart du temps compliquée", considère Thierry Hulot. Et ce, du fait, en particulier de la divergence entre la commission de la transparence de la HAS et l’AMM européenne, mais aussi parce les négociations de prix reposent fréquemment sur des comparaisons avec des produits anciens ou génériqués, qui ont des prix très bas, rendant tout accord "hors de portée".  

Si le plan innovation santé 2030, présenté en juin 2021, a suscité beaucoup d’espoirs, "depuis le dernier PLFSS, la France est redevenue illisible et imprévisible pour notre industrie ; c’est décourageant. Un pas en avant, 3 pas en arrière", affirme Corinne Blachier-Poisson, administratrice du Leem et présidente d’Amgen France. "Cela met à rude épreuve la confiance de nos groupes pour investir en France." Pour favoriser l’accès aux thérapies émergentes en France, outre un budget médicament "réaliste", Corinne Blachier-Poisson insiste sur la nécessité d’une recherche clinique forte, et espère des mesures efficaces de l’agence d’innovation en santé, qui vient d’être créée pour mettre en œuvre le Plan d’innovation santé 2030.  

 

Un baromètre de l’accès aux médicaments 

Pour bénéficier d’une information claire et fiable, le Leem a décidé de mettre en place un Baromètre de l’accès aux médicaments et de la dynamique industrielle. Publié tous les trimestres, il présentera tous les indicateurs de performance de notre système en matière de médicament, ainsi que des comparaisons internationales à chaque fois que les données seront disponibles. On pourra ainsi se rendre compte plus facilement des ruptures d’approvisionnement, des délais de disponibilité des innovations, des données économiques des entreprises… La première publication de ce Baromètre est attendue pour fin mars-début avril 2023. 

 

Une mission ministérielle 

Le deuxième "impératif" de Thierry Hulot est de "reconstruire un système de régulation aujourd’hui inadapté", marqué par "15 ans de politique de régulation comptable du médicament". Le Leem est vent debout contre la LFSS 2023, dotée d’un budget "sous-dimensionné", qui donnera lieu à une clause de sauvegarde payée par les entreprises de 2,4 milliards d’euros. "La régulation du médicament représentera en 2023, selon nos estimations, 12 à 13% du chiffre d’affaires du secteur. Cette régulation vient s’additionner à une fiscalité déjà très lourde", explique Thierry Hulot.  

Mais, là aussi, l’espoir est de mise. En effet, la Première Ministre, Elisabeth Borne, a annoncé fin décembre son souhait de lancer dans les prochaines semaines une mission ministérielle "afin de proposer des voies de réformes structurelles de nature à mieux concilier soutien aux industries de santé et à l’innovation, accès aux médicaments pour nos concitoyens et impératifs de responsabilité budgétaire", a précisé le président du Leem, qui tient "à saluer cette initiative qui montre, malgré une année 2022 difficile, une volonté de dialoguer et de travailler ensemble"

 

* Les médicaments en France sont 40% moins chers qu’en Suisse, 33% moins chers qu’en Allemagne, et 18% moins chers qu’en Italie. 

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