Migraine : colère des experts face au non-remboursement des nouveaux traitements
On compte actuellement 10 millions de patients migraineux en France (45 millions de patients francophones, 15% de la population mondiale). Et, ainsi que l’a rappelé Sabine Debremaecker, présidente de La Voix des migraineux, lors d’une conférence de presse en amont du troisième Sommet francophone de la migraine organisé le 9 septembre à l’initiative de cette association, cette pathologie neurologique constitue, d’après l’OMS, la deuxième maladie invalidante au monde et la première pour les femmes. Parmi ces patients, 1,4 million de Français (6 millions de francophones), soit 2% de la population nationale, présentent une migraine chronique, caractérisée par au moins 15 jours de crise par mois. Concernant le traitement de fond, « il y a eu, depuis quelques années, une véritable révolution thérapeutique, avec l’arrivée des anticorps ciblant la voix du CGRP, que ce soit la protéine ou son récepteur », a souligné le Dr Christian Lucas, neurologue, chef de service au Centre d’étude et de traitement de la douleur au CHU de Lille, et président de la Société française d'étude des migraines et céphalées (SFEMC). Le CGRP – pour calcitonin gene-related peptide - est un neurotransmetteur qui a une action vasodilatatrice et algogène, en créant une inflammation autour des artères des méninges. Il est sécrété en excès chez les patients migraineux. Les anticorps monoclonaux anti-CGRP « sont très efficaces, réduisant de moitié ou même des trois quarts l’onde de crise, affirme le Dr Lucas. Les crises sont moins intenses, plus facilement accessibles aux traitements de crise. » Mais, problème : « Ces traitements sont disponibles et remboursés dans 23 pays européens… sauf la France ».
Il en existe trois. Deux sont sous forme sous-cutanée, le galcanézumab (Emgality, laboratoire Lilly, 245 euros l’injection en stylo auto-injecteur par mois), et le frémanezumab (Ajovy, laboratoire Teva, 270 euros par mois). Novartis en avait développé aussi un, mais le laboratoire a jeté l’éponge du fait de son absence de remboursement. Il existe aussi une forme intraveineuse, l’eptinezumab (Viepti, laboratoire Lundbeck, 540 euros tous les 3 mois), qui est administrable en hôpital de jour, et pris en charge par l’Assurance maladie. « Mais les listes d’attente sont interminables. C’est l’hypocrisie la plus totale », souligne le migrainologue. En conséquence, les anticorps monoclonaux anti-CGRP sont utilisés par 26 000 patients en Allemagne, contre seulement 2 000 en France, du fait de l’absence de prise en charge financière. Pourtant, « on estime la cible des patients relevant de ces traitements entre 20 et 50 000, ajoute le Dr Lucas. Selon moi, sur la base d’un remboursement à 65%, cela couterait à la communauté entre 20 et 50 millions d’euros ; ce qui est très peu pour une nation comme la France ». La Voix des migraineux confirme cet ordre de grandeur, évoquant 40 millions d’euros. En outre, la société s’y retrouverait car la migraine coute plusieurs milliards d’euros par an si on prend en compte l’ensemble des coûts directs et indirects (hospitalisations, baisse de productivité, etc…). « Mais le Gouvernement raisonne par silo. Ce système est un peu une hérésie. Nos autorités ont peut-être eu peur de débordements. Mais ces anticorps monoclonaux ne peuvent être prescrits que par des neurologues. Et les neurologues investis dans la migraine sont peu nombreux. Donc, simplement par ces conditions, cela limite les prescriptions.»
Par ailleurs, arrivent très prochainement, sous la forme de comprimés, les gépants, des antagonistes du récepteur du CGRP. Ils ont déjà une autorisation de mise sur le marché (AMM) ; et deux d’entre eux devraient être disponibles avant la fin de l’année. « Ils ont la particularité que certains vont sortir en traitement de crise, d’autres en traitement de fond, et certains dans les deux indications, ce qui est très novateur. En traitement de crise, le positionnement sera très particulier : cela concernera les patients non répondeurs ou ayant une contre-indication (âge, antécédents neuro ou cardiovasculaires) ou des effets secondaires avec les triptans. En traitement de fond, les gépants pourraient être utilisés chez tous les migraineux », précise le spécialiste. Problème : ces traitements ne seront pas remboursés non plus. « On est dans une médecine à trois vitesses, estime Christian Lucas. Il faut déjà avoir un médecin généraliste. Si on est migraineux sévère, il faut trouver un neurologue qui connaisse la migraine. Et si on est éligible à ces nouveaux traitements – anticorps monoclonaux ou gépants - il faut avoir de l’argent pour se les payer ! Cette révolution est pourtant déjà lancée aux Etats-Unis avec d’énormes succès. » « Non éthique » A quoi est dû ce non-remboursement ? Les anti-CGRP et les gépants ont obtenu un service médical rendu (SMR) important, selon la Haute Autorité de santé (HAS). Mais, particularité française, il y a aussi l’amélioration du SMR (ASMR). « Nous sommes un pays où il y a une doctrine, celle de la HAS, qui dit que pour prétendre à un remboursement il doit obligatoirement y avoir eu des essais versus comparateur actif, détaille le président de la SFEMC. Or pour les nouveaux traitements de la migraine, tous les traitements en question ont été testés chez des patients en multi-échec de 2 à 4 traitements. Il s’agit donc de demander à un patient de participer à un essai dans lequel il a une chance sur 2 de tomber sur un de ces traitements qu’il a reçus précédemment, et qui était donc inefficace chez lui ou a entrainé des effets secondaires. » C’est donc l’ASMR qui bloque le remboursement de ces nouveaux traitements, et qui met la France à la traine. « A titre personnel, je me pose la question : faut-il nous, médecins, experts migrainologues français, continuer à proposer des essais thérapeutiques à des patients ? Car ce sont de faux espoirs ! […] C’est un véritable scandale. Avec La Voix des migraineux, ainsi que l’ensemble de la communauté neurologique, nous avons interpelé différents ministres de la Santé, mais rien ne bouge », ajoute-t-il. Les futures pistes thérapeutiques En développement aussi, mais non encore disponibles, des anticorps monoclonaux anti-Pacap. Enfin, parmi les autres cibles d’avenir, il y a le couple neurono-vasculaire. Et en particulier, les canaux potassiques au niveau des cellules musculaires lisses des artères cérébrales, qui sont impliqués dans les mécanismes de la migraine. On a identifié, en étudiant des familles de migraineux avec aura visuelle, des mutations génétiques, nommées Tresk. « Cela ouvre la porte à des traitements, mais dans un avenir plus lointain », précise le Dr Lucas.
Dans la migraine chronique, il y a aussi la toxine botulique de type A (Botox), « que nous avons eu 10 ans après le reste du monde industrialisé », rappelle le spécialiste. C’est un produit de la réserve hospitalière utilisable par des médecins formés. Une maladie sous-diagnostiquée Plus largement, La Voix de migraineux se bat pour que la migraine soit reconnue comme une maladie neurologique à part entière, avec des dispositifs de santé adaptés. L’impact sur la vie sociale, familiale et professionnelle de cette pathologie est, en effet, majeur. Or, la maladie est souvent banalisée et, de ce fait, sous-diagnostiquée. Ainsi, il existe actuellement une errance diagnostique, estimée à 7,5 ans en moyenne, mais pouvant parfois être beaucoup plus longue. On estime que 35 à 40% des cas de migraine ne sont pas diagnostiqués. On manque aussi cruellement de neurologues. Et les généralistes sont peu formés à cette pathologie. L’association demande une prise de conscience par les autorités de santé, une meilleure formation et information des professionnels de santé, ainsi qu’une meilleure information des patients.
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