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Entre le médecin et la maire, discorde immobilière avec vue sur mer

Les conflits entre municipalités et médecins sont rares, surtout par temps de désertification médicale. Parmi les sujets de tension, l’immobilier. Exemple à Plougrescant, commune bretonne où deux projets de maison de santé se sont dessinés… sur un même terrain. 

23/07/2024 Par Mathieu Plessis
Déserts médicaux
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Référence au cadastre : AB457. Surface : 2 045 m2. Le 1er juillet, lors du conseil municipal, les élus de Plougrescant ont voté à l’unanimité pour vendre cette parcelle à un promoteur, afin qu’il y bâtisse une maison de santé et des logements. En 2021, un autre destin se profilait pour ce bout de terre costarmoricain : la mairie avait promis sa vente au médecin généraliste installé dans la commune, pour qu’il y monte… une maison de santé.

En trois petites années, que s’est-il donc passé ? Peu et beaucoup à la fois. La parcelle AB457 est restée vierge de toute construction, et le médecin exerce toujours dans le préfabriqué provisoire que la mairie lui loue depuis 2020. Mais, depuis le printemps 2023, les rebondissements se sont succédé : annonce (non suivie d’effet) par la municipalité d’une augmentation du loyer du préfabriqué, manifestation et pétition en faveur du médecin, réunion publique de la maire pour s’expliquer, médiation initiée par la sous-préfecture de Lannion et concluant à une situation de blocage, création de l’association Lagad Plougouskant, qui soutient le médecin…

Le dossier est une pelote de laine. La façon de le présenter dépend du fil que vous tirez. Mais, quel que soit le tricotage recherché, le motif général est celui d’un territoire à l’offre médicale fragile et à la population plutôt vieillissante, posant à Plougrescant comme aux autres communes de ce littoral diverses questions : alors que la santé ne fait pas partie de leurs prérogatives, que peuvent-elles, voire que doivent-elles, faire pour attirer et conserver des médecins ? Et dans quels délais ?

"On ne peut pas attendre indéfiniment"

La municipalité a ainsi invoqué le classement de la commune par l’ARS Bretagne en zone d’action complémentaire (ZAC) pour mettre à disposition du médecin, pour 450 euros, le préfabriqué qu’elle loue elle-même près de 900 euros auprès d’une société spécialisée. Au printemps 2023, elle sort toutefois la calculette et annonce en conseil municipal "un reste à charge" d’environ 30 000 euros pour les finances publiques en presque quatre ans. Elle annonce une augmentation du loyer à 600 euros, qu’elle justifie par une hausse des coûts de l’énergie, le temps déjà laissé au médecin pour la constitution d’une patientèle, le retard qu’il a pris, selon elle, pour son projet de maison de santé.

Mais le temps s’écoule-t-il pareillement pour tous ? Dans la presse, le médecin Maxence Clauzel explique alors, notamment, ne pas avoir commencé les travaux de sa maison de santé parce que les prix des matériaux de construction ont flambé et que la viabilisation du terrain, à la charge de la mairie, a tardé. Il évoque aussi le temps qu’il consacre sans compter à ses patients, et à ses visites à domicile.

Visiblement, les deux camps ne se parlent plus directement. Interrogée cet été par Egora, Anne-Françoise Piédallu, maire de Plougrescant depuis dix ans, glisse que le médecin "n’a pas donné suite aux propositions de rendez-vous pour finaliser la vente du terrain. On ne peut pas attendre indéfiniment". Pour elle, aucun doute : la promesse de vente que la mairie lui a faite, au prix de 12 euros le m2, est caduque, et la municipalité est en droit de céder à un promoteur ce terrain "viabilisé, vue mer, en plein bourg", à 40 euros le m2.  

L'association Lagad Plougouskant s’étonne de cette annonce manifestement inattendue et la conteste. Elle fourbit ses arguments et les envoie début juillet 2024 à la sous-préfecture. D’après l’association, le médecin a rempli ses conditions et la promesse de vente de la parcelle reste tout aussi valide que le permis de construire pour son projet de maison de santé. Le médecin n’y a jamais publiquement renoncé.

Force est en tout cas de constater que le médecin n’a pas renoncé à soigner à Plougrescant. L’an dernier, sonné par l’annonce de l’augmentation du loyer du préfabriqué, qu’il qualifie alors de "baraque à frites", il annonce pourtant son départ. Difficile d’en dire plus sur ses éventuels ressorts intimes : sollicité par Egora, Maxence Clauzel ne souhaite pas s’exprimer publiquement, en raison de procédures judiciaires en cours (voir encadré). Le soutien exprimé par des habitants a sûrement compté dans sa décision de rester.

Et notamment le soutien de Lagad Plougouskant. L’association ratisse au-delà de la santé, tout en se défendant de préparer une liste aux élections municipales – "pour le moment, ce n’est pas le but", élude Sandy Picot, sa coprésidente. Elle a notamment dénoncé la tenue à huis clos de trois conseils municipaux fin 2023, justifiée par la maire au nom de "l’ambiance délétère" dans la commune. L’association précise ne pas agir "pour ou contre la mairie, mais en tant que patients, pour une offre de santé qui fait cruellement défaut". "Le calcul est vite fait, estime Sandy Picot. Certains se disent que le docteur est jeune [41 ans, NDLR], avec encore des dizaines d’années à exercer, alors que dans deux ans on va potentiellement changer de conseil municipal." La maire, ancienne responsable d’un centre d’action sociale départementale, âgée de 67 ans, annonce d’ailleurs qu’elle ne briguera pas de nouveau mandat ; en 2020, sa liste l’avait emporté de 348 voix, contre 341.

"Plus besoin d’un médecin que d’un maire"

Dans un tel contexte, face à la pénurie médicale, Sandy Picot est catégorique : "Nous avons plus besoin d’un médecin que d’un maire". Elle s’inquiète : en cas de départ du Dr Clauzel, serait-il facile de lui trouver un successeur ? Son conflit avec la mairie est en effet de notoriété publique, comme le fait que son prédécesseur ait quitté la commune au bout de deux ans, en 2017. Anne-Françoise Piédallu s’en défend encore, déplorant son départ rapide, au moment où des travaux allaient être lancés pour un cabinet médical. Dans la presse, l’ancien médecin avait, pour sa part, décrit des désaccords de nature immobilière avec la mairie.

Aujourd’hui, Anne-Françoise Piédallu balaie les inquiétudes sur une éventuelle mauvaise réputation de la commune auprès des professionnels de santé, affirmant, sans en dire beaucoup plus, avoir "des pistes" pour la venue de certains d’entre eux. Est-ce à dire que l’offre médicale pourrait s’étoffer si son propre projet de maison de santé, inscrit dans son programme électoral en 2014, abandonné un temps au profit de celui du Dr Clauzel, et remis au goût du jour en 2023, aboutit, et que l’actuel médecin continue d’exercer dans la commune ? "Plougrescant mérite plusieurs médecins", répond la maire de cette commune qui, aux dernières nouvelles, compte quelque 1 300 habitants et presque une moitié de résidences secondaires, avec un pic de fréquentation touristique en été.

Selon le Conseil départemental de l’Ordre des médecins, qui se refuse à commenter toute situation particulière, de tels "différends" entre collectivités locales et médecins, entre autres causés par "des questions immobilières liées à un cabinet ou à une maison de santé", sont "rares". Rares, mais potentiellement intenses. Au final, à Plougrescant, les deux camps se renvoient la balle. Sandy Picot accuse la mairie de mettre "des bâtons dans les roues" du médecin. "Totalement faux, rétorque Anne-Françoise Piédallu. On nous dit qu’on fait tout pour faire partir le médecin, alors qu’on a tout fait pour qu’il soit là." Dans ce joli coin du Trégor, la concorde semble moins à portée de vue que la mer...

 

Le médecin a été mis en examen pour diffamation envers une personne dépositaire de l’autorité publique, selon Ouest-France. Selon le journal, il a été "rapidement mis hors de cause" dans l’enquête pour tentative d’homicide ouverte après que les freins de la voiture de la maire ont été retrouvés détériorés, en mai 2023, dans un contexte national marqué par une recrudescence des agressions contre des élus. D’autres procédures ont été lancées, notamment pour des menaces de mort reçues par le médecin et la maire. Impossible de dresser un tableau judiciaire exhaustif et actualisé, ni d’affirmer si des faits seraient en lien ou non avec le conflit mairie/médecin. En effet, puisque la justice suit son cours, ni la maire ni Me Chaste, avocat du Dr Clauzel, n’ont souhaité faire de déclaration. Le procureur de Saint-Brieuc n’a pas donné suite à nos sollicitations.

 

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