urgence sanitaire

"Il commence à y avoir une certaine agressivité qui monte" : infirmière et médecin à Mayotte, ils témoignent

Sur l’île de l’océan Indien dévastée par le cyclone Chido le week-end dernier, le système de santé tente de se relever. Un chirurgien et une infirmière témoignent pour Egora de ce qu’ils ont vécu, et de leurs inquiétudes pour l’avenir.

19/12/2024 Par Adrien Renaud
Mayotte Témoignage
urgence sanitaire

"Des cyclones, j’en ai connu, mais celui-ci était d’une violence particulièrement dévastatrice." Le Dr Christophe Laplace, chirurgien pédiatrique au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), à Mamoudzou, a l’habitude des grands vents : avant d’arriver sur l’archipel de l’océan Indien il y a deux ans, il était en poste en Guadeloupe. Mais ce qu’il a vécu le 14 décembre dernier dépassait de loin ce dont il avait pu faire l’expérience jusqu’ici. "À un moment, j’ai pensé qu’en plus du cyclone, on était en train de vivre un tremblement de terre : le placo des murs est tombé, les toits se sont envolés, j’ai cru que tout était terminé", se souvient-il.

La terre n’a pas tremblé, l’île n’a pas disparu dans l’océan, mais après le passage de Chido, ce qu’ont découvert les soignants au milieu des décombres dépassait l’entendement. "C’est juste catastrophique, se désole Céline Boulineau, infirmière libérale à Mamoudzou au sein de la Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) du Lagon. Il y a des quartiers que je ne reconnais tout simplement pas, il y a du métal partout, les gens se coupent, on fait beaucoup de pansements."

Fort heureusement pour eux, les structures dans lesquelles travaillent les deux blouses blanches semblent épargnées, du moins relativement aux dégâts constatés partout dans l’île. "L’hôpital fonctionne à nouveau, assurait Christophe Laplace mercredi. Pendant le passage du cyclone, la réanimation a été gravement touchée, mais tout est maintenant en place." De leur côté, les soignants de la MSP du Lagon ont eu plus de peur que de mal. "La tempête a ouvert une fenêtre, il y a eu des infiltrations, mais c’est mineur par rapport à ce qui a pu se passer ailleurs", estime Céline Boulineau.

"On s'attendant à beaucoup plus de blessés... C'est probablement une très mauvaise nouvelle"

Ce qui n’empêche pas l’infirmière d’être extrêmement inquiète. "On n’a pas d’information, on a très peu de réseau, témoigne-t-elle. Les seuls éléments qu’on a nous viennent de l’extérieur, c’est vous qui nous les donnez." Une situation qui ne fait selon elle rien pour apaiser les angoisses dans un contexte de pénurie croissante. "On n’a plus d’eau, très peu d’électricité, les distributeurs d’argent liquide sont en panne, énumère-t-elle. Il n’y a plus qu’une station-service ouverte, il y a des heures de queue, et les soignants n’ont pas de station attribuée, cela devient très compliqué."

À l’hôpital, Christophe Laplace constate que la situation est relativement calme, ce qui n’est pas vraiment rassurant. "On s’attendait à beaucoup plus de blessés, j’ai eu à prendre en charge quelques patients en chirurgie pédiatrique, mais pas autant que j’imaginais, s’étonne-t-il. C’est probablement une très mauvaise nouvelle, cela veut dire qu’une grande majorité des personnes touchées sont peut-être décédées." Car ici, pas plus qu’ailleurs, personne ne croit au bilan officiel, qui s’élevait mercredi soir à 31 morts.

"On se demande si l'hôpital va être en mesure de gérer les décompensations"

C’est ainsi que Céline Boulineau est encore à la recherche de certains patients. "Il y a un petit hémophile que je suis et dont je n’ai pas de nouvelles", s’inquiète-t-elle. Et les patients qu’elle a retrouvés ne sont pas forcément en sécurité non plus. "On a énormément de diabétiques à Mayotte, beaucoup ont perdu leurs traitements, et on se demande si l’hôpital va être en mesure de gérer les décompensations", s’alarme l’infirmière, qui pense également à des situations critiques. "Je suis une personne tétraplégique qui est dans un lit médicalisé bloqué en position semi-assise à cause de la panne d’électricité, raconte-t-elle. Il va avoir des escarres, et il faudra être très vigilant pour que cela ne s’infecte pas."

Les professionnels de santé attendent donc avec impatience l’aide qui doit leur parvenir. "La plus grande inquiétude, c’est l’eau, et bientôt ce sera la nourriture", alerte Céline Boulineau. "Il commence à y avoir une certaine agressivité qui monte, on entend parler de vols", confirme Christophe Laplace. Car pour lui, le pire est peut-être à venir. "Les maladies risquent d’arriver, on ne connaît pas la situation sanitaire dans les bangas [petites maisons précaires très présentes à Mayotte, NDLR]", prévient-il. Et nul ne sait combien de temps la situation va durer. "On est peut-être partis pour des mois sans électricité, relève Céline Boulineau. Il nous faut du solaire, du solaire et encore du solaire." En espérant que l’aide qui arrivera sera adaptée à ce type de contraintes.

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