Choléra : comment l’épidémie a été endiguée à Mayotte
L’île de Mayotte a connu récemment le retour d’une maladie que l’on pensait oubliée : le choléra. L’épidémie a pu être jugulée grâce à la réactivité des systèmes étatiques et la mise en place d’actions sanitaires à plusieurs échelles : le soin des malades, la prophylaxie des cas contacts, la prévention de la population.
L’épidémie de choléra qui a sévi à Mayotte, DOM-TOM français niché au cœur du canal du Mozambique, a été réellement active entre mars et juillet 2024, avec deux pics, en avril et en juin. Il y a eu au total 215 cas confirmés, dont 5 décès sur tout le territoire. Ces décès ont tous eu lieu avant d’arriver dans une structure de soins.
Lorsque le Dr Julien Carvelli, médecin réanimateur, décide, en novembre 2023, de mettre en pause son poste de PH dans une réanimation polyvalente de Marseille pour une année dans celle du centre hospitalier de Mayotte (CHM), il ne se doute pas que sa fiche de poste va rapidement devenir plus éclectique. C’est en effet dans cette lourde réanimation regroupant des patients adultes mais également pédiatriques qu’en mai 2024, il va prendre une seconde casquette : celle de co-gestionnaire de l’unité choléra avec le Dr Mohamadou Niang, chef de l’unité de médecine polyvalente du CHM.
Tout commence en ce lundi 18 mars 2024, lorsqu’un un cas suspect de choléra en provenance des Comores est détecté à Mayotte, grâce aux médecins du Samu Centre 15. Il faut alors réagir vite. L’extension de l’épidémie risque d’être fulgurante, à cause des problématiques d’eau potable et de promiscuité dans les "Bangas", ces habitations précaires fabriquées en tôles ondulées où transitent habituellement les migrants comoriens.
L’ARS de Mayotte, de concert avec le CHM, commence à déployer immédiatement des actions devant permettre de limiter les risques de diffusion de la maladie sur le territoire.
Une tente de tri prend racine au niveau des urgences. On y effectue le triage des patients présentant une symptomatologie digestive à type de vomissements, diarrhées et un état clinique de déshydratation.
Un test rapide à orientation diagnostique (Trod) est effectué sur un prélèvement ou un écouvillon de selles. Ce test, s’il est très sensible, est peu spécifique. "On a trié plus du double des malades qui avaient le choléra", nous informe le Dr Carvelli. C’est pourquoi chaque Trod, qu’il soit positif ou négatif, est systématiquement confirmé par PCR. Le Trod permet toutefois de s'orienter en une quinzaine de minutes afin de débuter les actions dites "de terrain". Il s’agit de se rendre au domicile du présumé malade pour vacciner et donner l’antibioprophylaxie adéquate à l’entourage, mais également de recourir à la désinfection de l’habitation.
Les patients ayant une maladie confirmée sont alors transférés dans l’unité choléra, formée par le regroupement de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) pédiatrique et de l’UHCD adulte, comprenant 12 chambres et 14 lits, pouvant aller jusqu’à 20 lits au plus fort de la crise.
Selon Tanguy Cholin, chef du département de la sécurité et des urgences sanitaires de l’agence régionales de santé (ARS) de Mayotte, "le plan d’attaque était un armement de capacités d’hospitalisation spécifiques à 4 niveaux, qui allait du CHM uniquement, jusqu’à l’extension aux centres médicaux de référence (CMR). On prévoyait d’hospitaliser jusqu’à 180 personnes, alors que la tendance habituelle était de 20 patients".
Mobilisation des ressources humaines
A partir du mois de mai il a été décidé de tout concentrer au même endroit : le CHM, pour une stratégie de gestion de la ressource humaine. Celle-ci, composée initialement de plusieurs médecins de médecine polyvalente et de réanimateurs, a été largement étoffée par la réserve sanitaire. Organisme de Santé publique France (SPF), cette réserve est constituée de professionnels de santé (médecins, infirmiers, psychologues, ingénieurs sanitaires...) volontaires et mobilisables en renfort lors de situations sanitaires exceptionnelles.
Dans ce cas précis, c’est l’ARS qui a fait les demandes de mobilisation. Tanguy Cholin précise : "Il y a eu des liens très étroits avec l’ARS et le CHM sur la gestion de la crise, a minima à un rythme hebdomadaire, durant un temps très long. Quelques 110 réservistes ont été mobilisés pour le CHM, principalement des médecins et des infirmiers, et quelques techniciens de laboratoires. 236 réservistes ont été quant à eux, mobilisés pour les actions de terrain."
Les médecins mobilisés étaient pour la plupart des généralistes ou urgentistes, très peu de pédiatres, alors aidés dans les situations de déshydratation extrême d’enfants par des protocoles efficients ayant émergé progressivement, mais aussi des formations vidéo sur la chaîne YouTube du Dr Julien Carvelli, entre autres.
La fin de l’épidémie ? Vraiment ?
Le préfet et la directrice de Santé publique France ont déclaré dans un communiqué, en date du 7 octobre 2024, la fin de l’épidémie. Pourtant, si le dernier cas autochtone date du 8 juillet et le dernier cas importé du 12 Juillet, la vigilance reste de mise sur l’ensemble du territoire mahorais. "Parce que la bactérie continue de circuler aux Comores, avec quelques 70 cas rapportés à Grande Comore, et parce que la saison des pluies approche", explique le Dr Carvelli.
De fait la tente de tri a été rouverte, et Tanguy Cholin développe que "des maraudes sont organisées grâce aux réservistes, aux médiateurs et à quelques 350 bénévoles d’associations de quartier". Leur mission : la recherche active dans les quartiers de cas suspects, notamment des personnes symptomatiques qui auraient voyagé aux Comores et en Afrique. "C’est ce qu’on appelle la surveillance à base communautaire (SBC), qui associe des médiateurs associatifs aux actions de santé de l’ARS afin de multiplier les relais locaux." L’ARS s’estime satisfaite des actions de prévention mises en place, dont les deux piliers ont été la vaccination et l’accès à l’eau.
Concernant la vaccination, elle a été effectuée selon un processus dit en anneau autour des foyers épidémiques émergents, c’est ce que l’on appelle la "ring vaccination". Selon le Dr Carvelli : "C’était la stratégie la plus adaptée, faute de dose disponible pour l'ensemble de la population. En outre, on ne sait pas exactement quelle sera la durée de la couverture vaccinale, allant de quelques mois à 2-3 ans." Il existe deux spécialités, administrées par voie orales. Le vaccin Vaxchora (de Bavarian Nordic) était privilégié du fait de son utilisation en dose unique. En cas de contre-indication à cette spécialité (grossesse ou immunodépression), on utilisait Dukoral, (de Valvena) administré en deux doses. La protection était efficace 7 à 10 jours après la vaccination. De fait, on donnait en plus une antibioprophylaxie par doxycycline aux cas-contacts.
Concernant l’accès à l'eau potable, il a pu être renforcé grâce à un plan d’action autour des zones ciblées "à haut risque", les plus touchées et les plus précaires. Celui-ci s’est articulé autour de plusieurs points : la réhabilitation des rampes d’eau existantes, la création de nouvelles rampes ainsi que la mise en place de bornes fontaines magnétiques (fontaines activables grâce à un badge magnétique) pour la population non raccordée au réseau d’eau. Maladie dite du péril fécal, le choléra ne peut être endigué que si la population y a suffisamment accès.
Le Dr Carvelli nuance toutefois ce constat de réussite en mettant en exergue une problématique qui persiste : l’adhésion de la population aux stratégies de communication. "Cette épidémie a essentiellement circulé dans les bidonvilles. De fait, il est très difficile d’apporter une solution sanitaire à une population précaire et vulnérable qui n’a pas de droit sur le territoire. C’était extrêmement difficile en termes de communication, la population générale n’y est pas forcément favorable. Il est pourtant important, en termes de santé publique, de pouvoir faire comprendre à la population générale qu'il faut s'occuper des plus précaires et des plus vulnérables pour que la réponse puisse bénéficier au collectif. Oui, le choléra est une maladie contagieuse importée d'Afrique puis aux Comores. Mais le géographie est ainsi faite, l'immigration ne s'arrêtera pas demain et si les Comores restent un foyer épidémique, le choléra reviendra à Mayotte. En s'occupant des malades et par la prévention, le collectif en bénéficiera, pas autrement." Surveillance et cohésion restent donc nécessaires…
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