
"Il y a des pertes de chance pour les enfants" : menacées "d'extinction", les PMI tirent la sonnette d'alarme
C'est un véritable SOS que lancent aujourd'hui les professionnels de la Protection maternelle et infantile (PMI). Malgré la dégradation des indicateurs de santé publique, notamment de la mortalité infantile, rien n'est fait pour redresser le secteur qui ne cesse de s'effriter : fuite des professionnels, sous-financement des missions... Les recommandations qui ont découlé des Assises de la pédiatrie, organisées au printemps, n'ont donné lieu à "aucune mesure concrète". Face à cette "inertie", les professionnels réclament un "sursaut politique". Il en va de l'avenir de la PMI.

"Sans un sursaut des pouvoirs publics, la poursuite des évolutions observées pourrait aboutir à une extinction de la PMI dans la majorité des départements d’ici une décennie", alertait en mars 2019 la députée Michèle Peyron, dans un rapport sur la crise du secteur, qui pointait "l'absence de stratégie nationale de santé publique pour la PMI", "l'absence de pilotage et de portage partagé entre ministère et départements" ou encore l'"insuffisance de moyens financiers et humains se traduisant par une diminution de l'offre". Six ans plus tard, "la situation continue de se dégrader", a déploré la Dre Cécile Garrigues, co-présidente du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI), lors d'une conférence de presse organisée ce jeudi 6 février par la plateforme "Assurer l'avenir de la PMI".
Pourtant, les Assises de la pédiatrie, qui se sont tenues en mai dernier, ont donné lieu à une feuille de route ministérielle, déclinant une série d'actions concrètes à mettre en œuvre. Mais depuis, rien ; aucune déclinaison. "Aucune mesure n'a été prise", a souligné le Dr Pierre Suesser, président du SNMPMI. "L'instabilité gouvernementale l'explique sans doute en partie, mais il y a aussi à notre sens une inertie plus chronique des pouvoirs publics sur ce dispositif."
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
Les chiffres actuels témoignent du naufrage de la Protection maternelle et infantile. Ainsi, "le nombre de consultations infantiles a été divisé par deux depuis 1995", passant de 2,7 millions à 1,38 million d'examens, a indiqué Cécile Garrigues. Les visites à domicile de sages-femmes PMI auprès des femmes enceintes ont, elles, baissé de 36% entre 2004 et 2019. Le secteur fait également face à une crise de la démographie de ses professionnels. Pas moins de 38% des effectifs de médecins de PMI ont ainsi "disparu" entre 2010 et 2022, soit une perte de plus de 800 praticiens qui assurent les consultations dans ces centres (ils étaient 2250 en 2010 vs 1397 en 2022). Une tendance qui "s'accélère depuis 2019". De nombreux psychologues manquent aussi à l'appel dans les centres de PMI. Et la hausse du nombre de puéricultrices et d'infirmières, de l'ordre de "7%","ne compense malheureusement pas les pertes", a constaté la Dre Garrigues.
Les généralistes ont peu le temps et peu la formation pour faire le même travail
"Ça fait cinq ans qu'on n'a pas de médecins de PMI", a ainsi illustré Stéphanie Chiffoleau, infirmière puéricultrice dans un centre de PMI en Ille-et-Vilaine. "C'est une perte de chance pour les enfants, notamment dès qu'il y a apparition de troubles. On a des délais d'attente qui sont facilement de deux ans sur des prises en charge." "La PMI doit suivre les enfants de la naissance à l'âge de six ans. Or, aujourd'hui, il y a énormément de lieux où le suivi s'arrête vers deux ans […] mais l'enfant n'arrête pas de se développer à cet âge-là ! Si vous ne dépistez pas les problèmes d'amblyopie à 3 ans chez un petit, il y a une perte de chance très importante si vous attendez de le voir à 4, 5 ou 6 ans", a ajouté Pierre Suesser. "Bien sûr qu'il y a des généralistes, mais ils ont peu le temps et peu la formation pour faire le même travail pluriprofessionnel" que celui réalisé en PMI.
Cette pénurie de personnels entraîne inévitablement une dégradation des conditions de travail. "On essaie de maintenir quelque chose mais ce n'est pas tenable dans la durée. On s'épuise et ce n'est pas satisfaisant dans ce qu'on peut offrir", a commenté Géraldine Goure, psychologue de PMI, évoquant "des glissements de tâches". Et la situation pourrait encore s'aggraver, a mis en garde Stéphanie Chiffoleau. Car si les effectifs d'infirmières puéricultrices (IPDE) sont encore suffisants et permettent de faire tenir certains centres, les écoles qui proposent ces formations (d'un an supplémentaire par rapport au cursus classique) "ne remplissent pas leurs effectifs". "On est à peu près 50% des promotions quasiment au niveau national. Ce qui veut dire qu'on va former de moins en moins d'infirmières puéricultrices, sachant que les infirmières (IDE) n'ont plus de module de pédiatrie dans leur formation initiale…"
Des indicateurs de santé alarmants
L'enjeu est pourtant de taille, soutiennent les acteurs de la PMI, à l'unisson. Car les "indicateurs en santé maternelle et infantile ne sont pas bons", a souligné Cécile Garrigues. En 2024, le taux de mortalité infantile – l'un des indicateurs phares – s'élevait en France à 4,1 décès pour 1 000 naissances vivantes, selon l'Insee. "Après avoir reculé très fortement au cours du vingtième siècle, ce taux ne baisse plus depuis 2005", lit-on dans le dernier bilan démographique de l'institut. "Nous sommes au 23ème rang européen pour la mortalité infantile. C'est quand même incroyable qu'on soit si mal placé alors qu'on a des compétences de très bonne qualité et de très haut niveau", a regretté le Pr Jean-Louis Chabernaud. "Nous sommes assez interrogatifs sur le fait que ce chiffre n'ait pas provoqué une mobilisation extrêmement vigoureuse des pouvoirs publics, premièrement pour comprendre et ensuite pour agir", s'est ému quant à lui le Dr Pierre Suesser.
D'autres signaux témoignent d'une dégradation de la santé de la mère et de l'enfant dans notre pays : "dépression post-partum – qui touche 10 à 15% des mères, augmentation des troubles du neurodéveloppement, augmentation des situations de violences conjugales ou intrafamiliales, inégalités sociales de santé…", a énuméré la Dre Cécile Garrigues. Autant de domaines dans lesquels la Protection maternelle et infantile, en tant que "service public de l'Etat", "accessible", "gratuit" et "qui pratique l'aller vers depuis toujours", est compétent. "C'est un acteur indispensable de la santé publique", a défendu Stéphanie Chiffoleau ce jeudi. "Mais ce système, même s'il fonctionne bien, est sous utilisé et sous-financé", a indiqué le Pr Chabernaud. "Nous sommes des services départementaux. A l'intérieur du conseil départemental, on est une toute petite mission de santé au sein d'un énorme service social…", a abondé la Dre Cécile Garrigues.
"Les financements dédiés à la PMI ne sont nulle part fléchées dans les budgets départementaux", a également déploré le Dr Suesser. "La PMI a été confiée aux départements, ça reste leur seule mission de santé obligatoire. C'est un peu une mission qui, selon les orientations politiques de l'un ou de l'autre, peut être favorisée ou ignorée."
A l'occasion du troisième anniversaire de la loi Taquet relative à la protection des enfants, qui prévoyait déjà de renforcer les services de PMI*, les représentants du secteur ont décidé d'agir. "Nous avons prévu un appel au ministre de la Santé et de l'Accès aux soins", a expliqué la co-présidente du Syndicat national des médecins de PMI. La plateforme "Assurer l'avenir de la PMI" a convié les 4500 signataires de la pétition qu'elle avait lancée en amont des Assises, pour réclamer la revitalisation du secteur, à faire suivre son "appel d'urgence" par email à Yannick Neuder ainsi qu'aux ARS ce vendredi. Un texte d'une page reprenant ses propositions phares pour sauvegarder la prévention en santé de l'enfant et de la famille.
D'abord, les représentants des soignants du secteur réclament la mise en place d'objectifs minimaux de couverture populationnelle par la PMI : 20% d'enfants bénéficiant en PMI des consultations infantiles (au moins 12 examens obligatoires jusqu'à 6 ans) et de visites à domicile par les puéricultrices (au moins deux visites), 90% des enfants bénéficiant d'un bilan de santé en école maternelle, 15% de femmes enceintes bénéficiant du suivi pré et post-natal, ou encore 15% des 11-25 ans bénéficiant d'une consultation annuelle de santé sexuelle, etc.
Un jeune médecin qui cherche à s'installer sera toujours mieux payé qu'un médecin de PMI
"Cela nécessite d'avoir des normes minimales d'effectifs […] qui sont inchangées depuis 1995", a expliqué Chantal de Vitry, sage-femme. Aux yeux des représentants, il est nécessaire qu'il y ait une puéricultrice pour 120 naissances, un médecin pour 350 naissances (contre 1 pour 446 naissances actuellement selon la Drees), et une sage-femme pour 530 naissances. "Mais pour arriver à ces normes, il faut attirer les professionnels et les garder", a insisté Chantal de Vitry. Si l'on observe un manque criant de soignants en PMI, notamment de médecins, c'est notamment dû à leur faible rémunération. "Un jeune médecin qui cherche à s'installer sera toujours mieux payé qu'un médecin de PMI", a-t-elle affirmé. "En début de carrière", un médecin de PMI peut prétendre à un salaire de "2900 euros brut alors que dans les centres municipaux de santé, il se voit offrir entre 4500 et 5000 euros brut et un jeune praticien hospitalier environ 4600 euros".
Pour répondre à cette crise démographique, "Assurer l'avenir de la PMI" soutient la création d'un cadre statutaire commun aux médecins salariés de la fonction publique (PMI-santé sexuelle, santé scolaire, centres de santé, ministères-ARS) en alignant leur grille sur celle des praticiens hospitaliers, la reconnaissance du statut médical des sages-femmes (ce qui implique une revalorisation de leur grille), la réingénierie du diplôme de puéricultrice en le fixant à un niveau bac +5 et "en valorisant financièrement leur activité et en revalorisant leur grille au-delà du Ségur de la santé", mais aussi la revalorisation des grilles salariales des autres professions des services PMI.
Tout ceci nécessite un "choc de financement" pour le dispositif de PMI et de santé sexuelle. Le secteur demande 200 millions d'euros de financements supplémentaires à court terme, pour aller à moyen terme vers 500 millions d'euros portant l'ensemble de la dépense de PMI à 1 milliard d'euros – "ce qui ne représente que 0,5% des dépenses nationales de santé" –, en y intégrant le remboursement de l'activité des puéricultrices et des psychologues. "Ce que l'on demande a l'air peut-être très ambitieux, on demande quasiment de doubler le budget de la PMI", a reconnu le Dr Pierre Suesser. Mais "1 milliard d'euros, ce n'est pas grand-chose, à la portée d'un pays comme le nôtre", a estimé le Pr Chabernaud du CNP de pédiatrie. Pas grand-chose surtout, pour répondre aux enjeux de santé publique auxquels l'hexagone fait face, soutiennent les soignants présents lors de la conférence de presse. "On voudrait également un financement plus forfaitaire. Car la PMI, ce ne sont pas que des actes, c'est tout un écosystème de santé préventive", a ajouté le Dr Suesser.
Dernière mesure portée par la plateforme "Assurer l'avenir de la PMI", et non des moindres : l'instauration d'une gouvernance partagée du dispositif de PMI - santé sexuelle via la création par voie réglementaire d'une commission nationale, qui serait coanimée par la Direction générale de la santé (DGS) et l'Assemblée des départements de France, et serait chargée, dans le cadre des priorités pluriannuelles de PMI prévues par le code de santé publique, de co-construire des objectifs stratégiques et opérationnels et d'animer le réseau des structures de PMI et de santé sexuelle. "Il y a beaucoup d'attente de notre part", a conclu Chantal de Vitry, appelant à un sursaut des pouvoirs publics.
*les décrets d'application ne sont toujours pas parus
Au sommaire de ce dossier :
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