Six questions sur ce "règlement arbitral" que redoutent tant les médecins libéraux

10/02/2023 Par Aveline Marques
Assurance maladie / Mutuelles
La convention de 2016 ayant été dénoncée le 30 septembre dernier, les six syndicats de médecins libéraux ont jusqu'au 28 février pour négocier un nouvel accord avec la Cnam. Mais les représentants de la profession, refusant les contraintes du contrat d'engagement territorial (CET) et déçus de la revalorisation à 26.5 euros proposée, ont suspendu leur participation aux groupes de travail techniques et appelé à manifester mardi 14 février. Désormais, le règlement arbitral se profile… 
 

Le règlement arbitral, qu'est-ce que c'est ? 

L'article L162-14-2 du code de la Sécurité sociale prévoit qu'"en cas de rupture des négociations préalables à l'élaboration d'une convention", ou "d'opposition à la nouvelle convention", "un arbitre arrête un projet de convention ou d'accord dans le respect du cadre financier pluriannuel des dépenses de santé".  

L'arbitre désigné dispose d'un délai de trois mois à compter de sa saisine pour transmettre un projet de règlement arbitral. Durant cette période, il "auditionne" les représentants de la caisse et des syndicats représentatifs (article R162-54-8). Il n'a pas, en revanche, l'obligation d'avoir leur accord… Seule compte "l'approbation" des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale. 

Le règlement arbitral est arrêté pour une période de cinq ans. Mais les partenaires conventionnels doivent engager de nouvelles négociations "au plus tard dans les deux ans". 

Le règlement arbitral vise essentiellement à garantir le remboursement des assurés sociaux en période de vide conventionnel. Mais contrairement à une idée répandue, il ne se définit pas par la poursuite de l'actuelle convention… en théorie. En pratique, c'est souvent le cas. 

 

Qui est l'arbitre désigné ? 

L'arbitre a été désigné avant même le début des négociations. Il s'agit d'Annick Morel, énarque, inspectrice générale des affaires sociales (Igas) honoraire. Par le passé, elle a présidé la Caisse nationale des allocations familiales ou encore le Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie.  

Sa nomination a été proposée par la Cnam et "acceptée" par les syndicats représentatifs, précise MG France.

 

"A moins d'un retournement de dernière minute…" 

 

Y a-t-il eu un précédent ? 

L'histoire conventionnelle des médecins libéraux, qui a débuté en 1971, a été marquée par deux grandes ruptures.  

Le premier épisode remonte à 1998. Deux conventions distinctes régissant les rapports de l'Assurance maladie avec les médecins généralistes d'un côté, les médecins spécialistes de l'autre, sont signées en mars 1997. Puis annulées par le Conseil d'Etat en juillet et août 1998 à la requête de plusieurs syndicats, en particulier la CSMF, qui dénonce la maitrise médicalisée des dépenses sur la base d'un objectif opposable d'honoraires et de prescriptions. Plusieurs règlements conventionnels minimaux se succèdent alors. Dès décembre 1998, les généralistes signent une nouvelle convention, mais du côté des spécialistes, aucun accord n'est trouvé. Ils resteront régis par un règlement minimal… jusqu'en 2005. "Et ils n'en sont pas morts", ironise le Dr Richard Talbot, de la FMF. 

Le deuxième épisode prend place en 2010. La convention de 2005, qui devait courir jusqu'en février 2010, a été dénoncée avec six mois d'avance par la CSMF. Les négociations sont entamées à l'automne 2009. Mais le contexte n'est pas propice à un accord : d'un côté, le Gouvernement pousse... à concrétiser via la convention plusieurs mesures décriées de sa loi HPST, de l'autre certains syndicats souhaitent laisser passer les élections URPS de 2010 pour garantir une meilleure représentativité du texte conventionnel. Faute d'accord, un règlement arbitral entre en vigueur en mai 2010. Le texte porte le C à 23 euros au 1er janvier 2011 (+1€), valorise la télétransmission et l'utilisation des téléservices, entre autres mesures mineures. Mais pour l'essentiel, il reconduit les dispositions de la convention de 2005.  

Quelle est la probabilité que les négociations actuelles débouchent sur un règlement arbitral ? 

"On a le sentiment que l'Etat a déjà fait le choix du règlement arbitral", déplorait le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, au lendemain des bilatérales tarifaires au cours desquelles la Cnam avait proposé une revalorisation de 1.5 euro pour les consultations de base. En ce jeudi 10 février, alors que chacun campe sur ses positions, la probabilité d'un règlement arbitral est assez élevée. "Personne ne veut signer en l'état", relève Richard Talbot, de la FMF. "À moins d'un retournement de dernière minute, que Thomas Fatôme [directeur de la Cnam, NDLR] nous sorte une proposition intéressante de sa manche…" 

"Les négos c'est un peu comme un match de football, on ne peut pas se prononcer tant que la fin du match n'est pas sifflée", temporise la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. "Mais pour l'instant, nos propositions ne passent pas et on va dire qu'il n'y a pas de signe annonciateur d'une amélioration…" 

Le dialogue n'est pas totalement rompu. S'ils ont suspendu leur participation aux groupes de travail techniques, les syndicats continuent à "échanger" avec la Cnam. Un nouveau cycle de "négociations bilatérales" doit démarrer le 15 février, pour "rebalayer l'ensemble des sujets", a précisé la Cnam, qui promet de faire "évoluer" ses propositions sur le CET, et de détailler les niveaux de rémunération promis en contrepartie.

 

"Si le règlement durcit les choses, ce serait une déclaration de guerre" 

 

Faut-il avoir peur du règlement arbitral?  

"Avec le règlement arbitral, on n'a plus voix au chapitre, c'est l'Etat qui décide tout seul", alerte Agnès Giannotti. "Mais là où il faut envisager sereinement cette hypothèse, c'est que le règlement arbitral ne devrait pas durer. On se remet autour de la table dans l'année qui suit", escompte la présidente de MG France. 

De son côté, Richard Talbot juge que le règlement arbitral ne serait peut-être "pas une mauvaise chose", alors que les négociations sont "dans une impasse complète". "Ça permettrait de remettre les choses à plat, en arrêtant ce compte à rebours qui stresse tout le monde", souligne le syndicaliste de la FMF. "On repartirait dans un nouveau cycle de négociations, sans date butoir." 

Pour Richard Talbot, le principal inconvénient est qu'en l'absence de convention, la vie conventionnelle (nationale mais surtout locale, à travers les commissions paritaires) est suspendue. 

Comme en 2010, en cas de règlement arbitral, les syndicalistes interrogés s'attendent à une revalorisation minimale et à une reconduite des dispositions de la précédente convention. "La convention actuelle et ses annexes font 600 pages", souligne Richard Talbot. "Je vois mal Annick Morel écrire tout réécrire ex-nihilo en si peu de temps." Sans compter que si tout est bouleversé, les éditeurs de logiciel auront du mal à suivre, relève le représentant de la FMF. 

Pour le reste, "ça ne peut pas être pire que la proposition actuelle", ironise le généraliste. "Si le règlement durcit les choses, ce serait une déclaration de guerre." 

 

Les médecins peuvent-ils s'opposer au règlement arbitral ? 

Comme pour une nouvelle convention, ou en cas d'installation, la règle est celle d'une "adhésion réputée acquise" des médecins libéraux (article R162-54-9). Toutefois, "les professionnels de santé qui souhaitent être placés en dehors d'un de ces accords, conventions ou règlement le font connaître par courrier adressé à la caisse primaire d'assurance maladie dans le ressort de laquelle ils exercent leur activité", précise le code de la Sécurité sociale. Ce qui équivaut à un déconventionnement, souligne Richard Talbot. 

 

"On ne joue pas l'échec" : la réponse du directeur de la Cnam
"On va tout faire dans les 15 jours, trois semaines qui restent pour obtenir un accord qui soit conforme au mandat qui a été fixé, à la fois par l'Union des caisses d'Assurance maladie et par les ministres dans leurs lignes directrices, a assuré Thomas Fatôme, dans un point presse mercredi 9 février. On ne joue pas l'échec, on ne cherche pas à avoir un règlement arbitral. On essaiera tout pour aboutir à un accord. Après, si le 28 février au soir on relève qu'il n'y a pas de convergence possible sur la signature d'une convention, l'arbitre rentrera en fonction. On a beaucoup travaillé, on a mis beaucoup de propositions sur la table. On savait que ces négociations seraient difficiles, et elles le sont parce que les attentes des deux côtés de la table sont très elevées. Mais nous, on fera tout pour essayer de proposer des dispositifs qui rencontrent l'adhésion des syndicats dans le cadre d'un mandat très clair qui est de renforcer l'accès aux soins des assurés, en accompagnant les médecins libéraux."
 
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