Devenir salarié pour ne pas dévisser : le choix d'un généraliste

19/05/2017 Par Aveline Marques

Après 25 ans de libéral, le Dr Alain Radet est passé du "côté obscur" de la médecine. Débordé par la paperasse et la comptabilité, ce généraliste a accepté d'être salarié par sa commune, Coron (Maine-et-Loire). Sa rémunération a chuté, mais il revit.

Pendant près de vingt ans, le Docteur Alain Radet a exercé en libéral dans son cabinet de Coron, petite commune rurale de 1600 habitants. Jusqu'à n'en plus pouvoir. En 2013, un de ses confrères "sous pression" dévisse sa plaque pour aller faire des remplacements. "Il m'a devancé", lâche alors le médecin lors d'une conversation avec celui qui deviendra le maire de la commune. "J'avais l'impression de ne plus faire de la médecine, mais de l'administratif : remplir les dossiers d'APA, d'ALD d'admission en maisons de retraites, les objectifs de la Sécurité sociale… Je voulais simplement examiner les gens, comme du temps où je faisais des remplacements", raconte-t-il.  

Vidé

  Ses journées, chargées, s'étalent de 8 heures à 22, 23 heures, le vidant chaque jour un peu plus de son énergie. "Je voyais 25 à 40 patients par jour, et je finissais par la comptabilité le soir." "On le sentait déprimé, morose, on s'inquiétait", relève Xavier Testard, le maire. Le médecin peine de plus en plus à trouver des remplaçants. "Les quatre dernières années, je n'en avais plus. On s'arrangeait avec les collègues du coin. On est loin d'Angers et de Nantes. Les jeunes ne veulent pas venir travailler à la campagne. Et ils veulent des horaires fixes, pas finir à 22 heures." Dès son élection, au printemps 2014, le nouveau maire se saisit du dossier. Pas question pour Coron de perdre son unique médecin généraliste, qui assume 7 à 8000 rendez-vous annuels. " S'il était parti, il y aurait eu une perte de vie dans la commune. Et garder le médecin, c'était pérenniser la pharmacie", relève Xavier Testard. Les deux hommes cherchent ensemble une solution. Embaucher une secrétaire ? Lourd à gérer pour le médecin. Le maire, comptable de profession, fait ses calculs: au regard de son bénéfice non commercial, en comptant un mi-temps de secrétaire, le maire propose au médecin de le salarier à hauteur de 4400 euros net mensuels. "Ça correspondait à une baisse de rémunération de 30% pour lui, un vrai effort", reconnaît le maire. Le prix de la qualité de vie.  

Centre de santé municipal

  La mairie loue les murs du docteur Radet et ouvre son centre de santé municipal le 2 janvier 2015. "On a tout de suite recruté un second médecin, pour permettre au Dr Radet de prendre ses congés. Il était médecin coordinateur à mi-temps dans un ehpad et effectuait des remplacements. Il a arrêté les remplacements pour venir avec nous, à mi-temps", expose Xavier Testard. Une secrétaire, aujourd'hui à temps plein, complète l'équipe. "Du lundi matin au samedi midi, il y a toujours un médecin. C'est ma seule exigence", insiste le maire. "La première année, il y a eu un lourd travail pour se faire reconnaître de toutes les caisses complémentaires", relate l'élu, pas peu fier du résultat : 2015 s'est achevée "presque à l'équilibre" avec un déficit de 2000 euros. Et 2016 a permis de dégager plus de 12 000 euros d'excédent. Un bénéfice qui servira à financer les travaux dans le centre municipal pour aménager un second cabinet de consultation et recruter un autre médecin à mi-temps. "La commune voisine a perdu ses deux généralistes : un médecin roumain qui est parti, et un mois plus tard l'autre médecin a pris sa retraite", détaille Xavier Testard. Cinq cents patients se retrouvent sans médecin traitant. "On a une énorme liste d'attente. On les reçoit pour les urgences. Mais avoir deux médecins en simultané nous permettrait de les prendre en charge."  

La secrétaire gére la compta

  Quant au Dr Radet, il revit. Le généraliste goûte aux 35 heures et aux cinq semaines de congés payés, auxquelles s'ajoutent deux à trois semaines de récupération, car il lui arrive de remplacer son collègue. "Je commence à 8h30, je finis à 19h30-20h. Et je ne travaille que trois jours et demi par semaine, mon collègue fait les deux jours qui manquent. Je vois environ 30 patients par jour. Mais je prends le temps de discuter avec eux. Quand j'ai fini avec les patients, je rentre à la maison!" Plus question de travailler le soir ou sur ses jours de repos. "Les papiers, je m'en occupe quand j'ai un trou." Fini la compta: c'est la secrétaire qui gère, le maire se contentant de suivre chaque mois le nombre de consultations pour évaluer le chiffre d'affaires. "J'ai de moins en moins de rapports avec la Sécu, se réjouit le Dr Radet. Je suis prêt à les recevoir de temps en temps quand il veulent 'nous informer'; j'en profite pour leur balancer quelques petites choses", sourit-il. La diminution de sa rémunération compense largement ce qu'il a "gagné en qualité de vie". Mieux vaut cela que "gagner beaucoup d'argent pour ensuite faire un burn out et ne plus en profiter" selon lui. Depuis qu'il est salarié, le généraliste a enfin pris le temps de suivre une formation pour devenir maître de stage. Les deux médecins du centre municipal accueilleront bientôt une interne. Trouver des remplaçants n'est plus mission impossible : les horaires réguliers et la présence d'une secrétaire rassurent les jeunes. "Je ne dis pas que c'est LA solution, commente le maire. Mais à Coron, tout le monde est content."

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