Annoncé, repoussé, relancé, réformé : le dossier médical partagé (DMP) revient de loin. Porté par la Cnam, qui a repris le dossier en 2016 après 12 ans d'échecs couteux (500 millions d'euros), ce "carnet de santé numérique" doit devenir "une évidence pour tous les Français, comme la carte vitale", a annoncé la ministre de la Santé, à l'occasion du lancement officiel du nouveau DMP, mardi 6 novembre. Objectif : ouvrir 40 millions de dossiers d'ici à 2022. Plébiscité par les patients, adopté par les pharmaciens, le DMP doit pourtant encore convaincre les médecins traitants de son utilité. Cinq bonnes raisons de se lancer.
- Les pouvoirs publics ont repris la main
"Demander à tous les médecins de mettre en commun tout ce qu'ils ont sur chaque malade est possible en trois mois", lançait Philippe Douste-Blazy en 2004. Douze ans et deux plans de relance plus tard, l'échec est cinglant : seuls 500 000 DMP avaient été ouverts et la moitié étaient vides. En 2016, exit l'agence publique Asip santé : Marisol Touraine confie le dossier à la Cnam, qui s'attelle à "comprendre pourquoi le DMP n'a pas trouvé sa place", explique son directeur, Nicolas Revel. Et à apporter toutes les corrections nécessaires pour que cet outil ait "une valeur d'usage" pour les patients comme pour les soignants. Pour le gouvernement en effet, ce "carnet de santé numérique" est emblématique de la stratégie de transformation du système de santé engagée à la rentrée et de son "virage numérique". Il doit permettre d'améliorer la coordination des soins, de mieux prendre en charge les patients chroniques et de "décloisonner le système de santé", énumère Agnès Buzyn. Sans oublier les économies générées par la suppression des actes et examens inutiles, car réalisés en doublons. Mais sur ce point, le directeur de la Cnam est resté dans le flou, se bornant à rappeler le budget qui sera consacré chaque année pour le fonctionnement du DMP : 15 millions d'euros.
- Les patients sont demandeurs
Pour la ministre de la Santé, le DMP répond "à une demande croissante de responsabilisation des patients, qui ne veulent plus être passifs". "Les Français l'attendent", a renchéri Alain-Michel Ceretti, président de France assos santé. Le sondage dévoilé ce mardi par la fédération des patients le montre : 70% des Français sont "spontanément intéressés par la possibilité de disposer d’un outil de centralisation en ligne de ses données de santé". Et le DMP "tel qu'il est proposé" suscite l'adhésion de 85% des sondés. Titulaires de leur dossier, ces derniers auront la main sur tout : ils pourront créer, consulter et alimenter le DMP en ligne ou sur une appli, autoriser les professionnels de santé de leur choix à y accéder, voire masquer certaines informations sensibles. Seul le médecin traitant aura accès à tout; il pourra également masquer certains résultats d'examens, le temps de pouvoir en discuter avec le patient. Si la confidentialité et la protection des données préoccupent les patients, "le fait que ce soit la Sécu qui porte le DMP les sécurise, a estimé Alain-Michel Ceretti. Il n'y a pas de sujet sur l'intention de l'opérateur, qui est identifiable et public." L'hébergeur des données cryptées, Santeos, a été agréé par le ministère de la Santé. Nicolas Revel a par ailleurs rappelé que la loi n'autorisait pas la Cnam à accéder aux données contenues dans les DMP. Les résultats de la phase pilote conduite dans 9 départements ces 18 derniers mois semblent confirmer l'engagement des patients : au 30 octobre, près d'1.9 million de patients disposaient d'un DMP. "Sur la dernière semaine, 80.000 DMP ont été ouverts", se félicite Nicolas Revel.
- Les outils sont opérants
Ces 14 dernières années ont permis à l'ensemble des acteurs d'essuyer les plâtres. "On n'est pas reparti de zéro en 2016", assure le directeur de la Cnam. Mais il a tout de même fallu résoudre un problème technique majeur : assurer l'interopérabilité du DMP avec les logiciels métiers, pour éviter une double saisie chronophage et décourageante pour les professionnels. Selon la Cnam, 146 logiciels métiers sont désormais compatibles. Sur la dizaine de logiciels destinés aux médecins de ville, "69% sont DMP compatibles", relève Nicolas Revel. A l'instar de la convention médicale, la Cnam va négocier avec chaque profession "un élément de rémunération" pour inciter les autres libéraux de santé à s'équiper de logiciels métiers compatibles. Les professionnels qui n'ont pas encore de logiciel métier à jour peuvent passer par internet, dès lors qu'ils disposent d'un lecteur de carte CPS. Quant aux officines, bien entraînées par le dossier pharmaceutique, elles s'équipent déjà en masse pour le DMP. Dans les 9 départements qui ont participé à la phase pilote, 8000 officines se sont mises à jour "et des centaines d'officines s'équipent chaque jour", assure Nicolas Revel. Reste à connecter l'ensemble des dossiers patients informatisés des établissements de santé au DMP.
- Le médecin n'est plus seul en charge
"Avant, pour ouvrir un DMP, il fallait que soit le médecin, en face à face avec son patient", rappelle Nicolas Revel. Mais ça, c'était avant. Le temps médical étant devenu particulièrement précieux, les pouvoirs publics ont veillé à ce que la charge du DMP n'incombe plus au seul médecin traitant. Pour atteindre l'objectif de 40 millions de DMP ouverts dans les quatre prochaines années, la Cnam a multiplié les possibilités et les opérateurs : si le patient est dans l'incapacité d'ouvrir son DMP seul sur internet (www.dmp.fr) avec sa carte vitale, d'autres professionnels peuvent le faire en 30 secondes top chrono, promet-on. Les pharmaciens, qui voient défiler 150 à 200 patients dans leur officine chaque jour, seront rémunérés à hauteur de 1 euro par DMP ouvert. Tout autre professionnel de santé muni d'une CPS pourra également le faire, tout comme les secrétaires médicales et les personnels administratifs des établissements (avec une carte CPE). Tous ces professionnels sont appelés à alimenter le DMP avec les résultats d'analyses biologiques, d'examens d'imagerie, les divers comptes-rendus (consultation, hospitalisation, opératoire, accouchement…), les bilans de soins infirmiers, etc. Quant à la Cnam, elle y versera dès l'ouverture l'historique des remboursements (médicaments, actes, soins, hospitalisation, etc.) des deux dernières années. En revanche, tous les professionnels ne pourront pas consulter l'intégralité du DMP. Une grille d'habilitation a été définie, restreignant par exemple l'accès d'un orthophoniste ou d'un ergothérapeute à certaines rubriques.
- Le DMP pourrait vous être (vraiment) utile
Synthèse, pathologies et allergies, traitements médicaments, analyses, imagerie, données de remboursement, prévention, certificats : le dossier s'articule autour de huit volets. La Cnam compte également y intégrer prochainement les directives anticipées et les vaccinations. Mais pour le Dr Jean-Michel Lemettre, généraliste à Amboise (Indre-et-Loire), "son usage va dépendre de son contenu". Appelé à témoigner de son expérience, le médecin considère qu'un DMP, aussi fourni soit-il, n'est véritablement exploitable que si le médecin traitant y a intégré son volet de synthèse médical (VSM), constitué à partir du logiciel métier. Ce document, dont le contenu a été défini fin 2013 par la HAS et l'Asip santé et qui fait l'objet d'une incitation financière dans le cadre du forfait patientèle, rassemble les antécédents médico-chirurgicaux, les informations sur les pathologies chroniques, les allergies et les traitements de fond suivis par le patient. Des informations qui seront particulièrement utiles aux médecins de garde, aux urgentistes, aux anesthésistes. Ou encore aux médecins généralistes qui récupèrent les patients d'un confrère parti à la retraite. "Au mieux, le patient venait avec son dossier médical entouré d'un élastique, relate le généraliste. Et on passait le samedi après-midi à numériser le dossier dans le logiciel métier. Là, le patient donne son autorisation au nouveau médecin et ce dernier pourra retrouver le VSM dans le DMP." De même, le médecin traitant n'aura plus à numériser les différents courriers de ses confrères, puisque ces derniers les numériseront eux-mêmes. "Il y a du boulot, reconnaît le Dr Lemettre. Mais le patient y trouve un bénéfice et nous aussi : se débarrasser de ce travail sans valeur médicale ajoutée." "Le médecin traitant qui n'alimente pas le DMP, au départ c'est un oubli. Après, ce sera une faute", considère de son côté le président de France assos santé, qui appelle tous les patients à faire du lobbying auprès de leur généraliste.
Si le pharmacien bénéficie d'une rémunération forfaitaire à l'ouverture de chaque DMP, ce ne sera pas le cas du médecin. "ça ne serait pas approprié", a répondu Nicolas Revel en conférence de presse. En clair, la Cnam ne mise pas sur les médecins pour ouvrir les DMP. Les praticiens sont en revanche incités financièrement à remplir les volets de synthèse médicale qui les alimenteront, dans le cadre du forfait patientièle, et à s'équiper de logiciels métiers compatibles au travers du forfait structure. Le directeur de la Cnam a par ailleurs signalé la récente signature avec l'UNPS de l'accord ACIP, dans lequel les médecins, entre autres professionnels, s'engagent en faveur du DMP et de la dématérialisation.
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