"C'est la dernière chance de sauver notre métier" : les médecins généralistes dans la rue pour crier leur "souffrance"

Plus de 2000 médecins libéraux ont manifesté à Paris ce jeudi 5 janvier à l'appel du collectif Médecins pour demain et de plusieurs syndicats pour défendre et revaloriser l'exercice. Se faufilant dans la foule, Egora est allé à la rencontre de ces praticiens, jeunes ou moins jeunes, venus de toute la France pour "sauver la médecine générale".

    Article modifié jeudi à 22h45 : nombre de manifestants   

Aux slogans de "Médecins, pas larbins", "non à la délégation, oui aux revalorisations", "pas mon âme à la Cnam",  plusieurs milliers de médecins libéraux (2300 selon la police, 4000 selon les organisateurs) se sont rassemblés devant le Panthéon à Paris, jeudi 5 janvier, à l'appel du collectif Médecins pour demain, soutenu par les syndicats FMF, SML, UFML et Jeunes médecins. Le cortège s'est ensuite dirigé vers le ministère de la Santé, avenue de Ségur, où une délégation devait être reçue. 

Revendiquant un C à 50 euros, de meilleures conditions de travail et luttant contre les transferts de compétences, le collectif Médecins pour demain, qui rassemble plus de 16 000 médecins sur Facebook, avait appelé cette semaine à prolonger la grève entamée le 26 décembre. La suite du mouvement dépendra du rendez-vous au ministère et surtout, des annonces d'Emmanuel Macron, demain. Dans le cadre d'un déplacement au CH Sud-Francilien ce vendredi, le Président de la République a en effet prévu d'adresser ses vœux aux acteurs de la santé. Il devrait présenter les grands axes de la "refondation" du système de soins, à l'hôpital comme en ville. 

"Nous écouterons très attentivement le Président, a lancé à la foule la Dre Christelle Audigier, fondatrice de la coordination. Nous ne faisons pas l'aumône, nous sommes médecins. Nous méritons un revenu digne de notre engagement et de nos responsabilités", a insisté la généraliste, alors que depuis le 26 décembre, François Braun, la Première ministre Elisabeth Borne ou encore Thomas Fatôme, directeur de la Cnam, ont déploré la fermeture des cabinets dans un contexte de tensions hospitalières, jugeant irréaliste la demande d'un C à 50 euros. 

Loin d'être arc-boutés sur ce tarif, les généralistes qu'Egora a rencontrés estiment néanmoins qu'une revalorisation substantielle de la consultation est nécessaire pour leur permettre d'embaucher, d'être dégagés des charges administratives afin de consacrer plus de temps aux patients. 

 

"C'est la dernière chance de sauver notre métier" 

Franck, généraliste installé à Condé-sur-Vire (Manche) 

"On est là pour essayer de sauver notre métier ; clairement, on a l'impression que c'est la dernière chance. On s'est installés dans une zone qui n'est pas très dotée médicalement, on a fait cet effort-là, mais on n'a pas l'impression d'être soutenus. Ce qu'on voudrait, c'est avoir des confrères autour de nous qui puissent s'installer dans de bonnes conditions. Dans notre canton, on a 4 confrères qui vont bientôt partir à la retraite. 

La politique adoptée depuis 40 ans nous a menés dans un mur et on s'enferme dedans. Je suis persuadé que dans 10 ans, la médecine générale telle qu'on la connaît aura disparu. 

Il nous faudrait un peu plus d'indépendance pour être de nouveau des entrepreneurs, embaucher nos propres personnels, s'équiper, exercer comme on le souhaite et ne plus dépendre de forfaits ubuesques qui changent tous les ans, au bon vouloir de la Cnam, et qui n'ont aucun intérêt pour les patients. C'est impossible de se projeter dans l'avenir quand on n'a pas un revenu assuré… J'avais déjà fait grève en 2015… un peu pour les mêmes raisons d'ailleurs ! 

Le montant de la consultation est presque accessoire : l'important est qu'il nous permettre de vivre en toute liberté et d'embaucher. Les patients sont derrière nous. De prime abord, ils trouvent qu'on exagère avec les 50 euros mais on leur explique que ce n'est pas notre bénéfice qu'on veut multiplier par deux mais notre chiffre d'affaires. Si demain on nous donne 2, 3, 4, 5 euros, je vais être content, je vais gagner un peu plus d'argent mais je ne pourrais pas embaucher." 

 

"J'espère que le Gouvernement entendra notre souffrance" 
Marine, 36 ans, généraliste près de Reims 

"Je suis installée dans un cabinet médical en semi-rural depuis 7 ans. Nous sommes quatre. On a fermé le cabinet les 1er et 2 décembre et la semaine dernière. On a dû reprendre cette semaine pour faire face à la comptabilité. 

J'exerce mon métier avec mon cœur tous les jours, j'essaie de prodiguer les meilleurs soins possibles en prenant le temps nécessaire mais je peux de moins en moins le faire. On a été obligés de réduire le temps de secrétariat sur place car on n'avait plus les moyens de le financer. Les charges, notamment le coût de l'électricité, augmentent, alors que le tarif de la consultation n'a pas bougé depuis 2017. Le boulanger augmente ses tarifs avec l'inflation, le Smic augmente tous les ans, le timbre aussi mais notre tarif à nous ne bouge pas. Moi, je ne vais pas m'épuiser à voir plus de patients. Quand j'en ai déjà vu 30, je ne peux plus. 

C'est épuisant de devoir faire tous les jours le job de secrétaire, de comptable… Ce qui est le plus difficile pour moi dans ma pratique c'est que nous avons de moins en moins accès à des spécialistes et à des lits d'hôpital. Hier, j'ai passé une heure à essayer de trouver un lit, sans être rémunérée pour ça. Quand on envoie nos patients aux urgences, c'est la boule au ventre. J'espère que le Gouvernement entendra notre souffrance et augmentera notre rémunération de manière à nous permettre d'embaucher des secrétaires, des assistants médicaux. 

J'aime mon métier et je veux continuer à l'exercer, mais pas comme ça. Je veux retrouver le plaisir de soigner, avoir du temps pour leur prodiguer une bonne médecine. J'aimerais qu'on reconnaissance notre importance… Quand on voit le tarif d'une visite à domicile alors qu'on y passe énormément de temps, en comparaison du plombier ou du coiffeur. Alors qu'on soigne des humains !

Il y a des choses à faire pourtant : facturer les lapins, déléguer aux infirmières ce qui relève de leurs compétences comme les pansements, l'éducation thérapeutique, exonérer de charges les médecins qui voient beaucoup de patients, supprimer les certificats inutiles, laisser les patients autogérer les arrêts de moins de 3 jours, etc." 

"Je gagnais parfois mieux ma vie quand j’étais interne aux urgences"
Franck, jeune généraliste récemment installé dans une MSP au nord de Rennes 

"Ce qu’on souhaite c’est une revalorisation financière. En ce moment on a beaucoup de patients, je fais 8h30 – 21h, je passe beaucoup de temps avec mes patients. Et je reviens le dimanche pour compléter les dossiers que je n’ai pas eu le temps de terminer. Ce n’est pas normal qu’on soit aussi dévalorisé à bac+9 à 50 heures de travail par semaines parfois plus. Certains de mes collègues ont des revenus confortables mais ils travaillent 80 heures par semaine, c’est deux plein temps et demi. 

J’ai fermé mon cabinet aujourd’hui pour pouvoir faire la grève, je n’ai pas les moyens de fermer mon cabinet sur toute la période de grève. J’ai 4 400 euros de charges par mois, 7 000 euros de chiffre d’affaires ce qui fait que je dois être à 2 600 euros. Je gagnais parfois mieux ma vie quand j’étais interne aux urgences à Rennes au maximum à 40h par semaine. Ça va s’améliorer parce que je suis jeune médecin, mais pas tant que ça. Ça me dévalorise. J’ai des amis qui sont partis après leur doctorat pour faire de l’informatique. Après, 50 euros la consultation, je ne sais pas si c’est la bonne somme. Pour les consultation complexes, quoi qu’il arrive on passe 30 min. 35 euros en visite, alors qu’on passe facilement 45 min, ce n'est pas possible…  

J’ai été choqué par les propos du directeur général de l’Assurance maladie, qui a fait un amalgame entre chiffre d’affaires et salaire. Je ne suis pas 100 000 euros de revenus par an, je suis à 30 000 euros, avant impôts. Donc, si on double le montant de la consultation déjà on ne doublera pas le salaire, on doublera les charges et c’est pour justement engager du personnel.  

L’administratif est beaucoup trop lourd. On veut bien que les paramédicaux nous aident sur certaines tâches mais sans transfert de compétences. Les aides pour les assistants médicaux, ce n’est pas pérenne. Une secrétaire, c’est 60 000 euros par an. Donc ça fait peur de s’engager là-dessus. Il faut des engagements à long terme." 

 

"Si on est aussi méprisés par le Gouvernement, on va changer de métier" 
Charline, généraliste exerçant dans les Ardennes 

"On a l’impression que le Gouvernement n’a pas bien compris le rôle qu’on avait. On a énormément de paperasse alors que ça ne devrait pas prendre autant de temps sur notre métier. On a un métier hyper intéressant qu’on a envie d’exercer dans de bonnes conditions et pas en téléconsultation derrière un écran avec des gens qu’on n’examine pas. Au bout de 30 patients dans la journée, on est épuisés et le risque c’est de faire des erreurs médicales. Si on est aussi méprisés par le Gouvernement, on va changer de métier. Les questions se posent clairement. Depuis cet hiver, je passe de moins en moins de temps avec mes enfants. Je ne pense pas à arrêter mais à faire autrement en tout cas j’y réfléchis, et ça m’attriste, j’aime mon métier, j’aime les gens.  

On ne prend plus de visites à domicile, parce que ça prend un temps fou, ce n’est pas rémunéré, c’est ingérable sur notre planning. J’ai réduit mes pauses déjeuner depuis le début de l’hiver et je déjeune si j’ai le temps, parce que y a toujours plus de patients. Le Gouvernement veut que tous les Français aient un médecin traitant, d'accord, mais qu’il mette des choses en place alors ! Je veux bien prendre plus de patients mais derrière il n’y a personne pour faire plus d’administratif. Revaloriser les consultations à 50 euros ça nous permettrait d’embaucher une secrétaire qui s’occupe de ça ou un assistant. Mais ça ne résoudra pas tout. C’est tout le système qui est à revoir. On a dégradé la santé des gens." 

 

 

 

 

"Je ne m’installerai pas à 25 euros, c’est certain"  
Antoine, jeune généraliste remplaçant à Rennes et en campagne  

"J’ai choisi la médecine générale pour avoir une relation privilégiée avec le patient et sa famille, pour faire de la prévention. J’ai vite déchanté, parce que j’ai vu qu’en faisant ça, je faisais très peu de consultations dans la journée.  

Sur les 25 euros, j’ai vu qu’il me restait environ 10 euros après charges et impôts. Je ne vois jamais plus de trois patients par heure, donc je suis sur du 30 euros de l’heure, sachant qu’il y a au moins 2 ou 3 heures dans la journée pour regarder les prises de sang, pour rappeler les gens, sans compter le transport. Ça me fait des journées où je pars de chez moi à 8h15 et où je rentre à 21h30, parfois même 22h. Ça dégoute… On a l’impression qu’il n’y a aucune reconnaissance de ce que l’on fait et sa difficulté.  

Sans revalorisation, sans choc attractif pour la profession, on va perdre tous les médecins généralistes libéraux. En l’état des choses, je n’ai pas du tout envie de m’installer, pas à 25 euros c’est certain. Les médecins que je remplace sont en permanence débordés. Il y a une pression constante, la peur de faire des erreurs. A ce rythme, je ne sais pas si je vais continuer longtemps. J’ai plein d’autres passions dans la vie et je ne sais pas si je vais continuer à m’abimer la santé longtemps comme ça. Si ça n’évolue pas, je ferai autre chose ; soit avec des compléments d’honoraire ou carrément du déconventionnèrent.  

Je ne sais pas s’il faut faire une consultation complexe à 50 ou 70 euros, des visites à 120 euros, ou toutes les consultations à 50 euros. Mais, si la revalorisation est trop faible, ça veut dire que cet argent ne servira pas à employer qui que ce soit. Ça servira juste à compenser le coût de la vie qui a augmenté depuis 20 ans et l’inflation. Le problème restera le même sur la désertification médicale. " 

 

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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