"On ne peut pas penser qu’à soi quand on a pris l’engagement d’être médecin" : à 67 ans, ce généraliste renonce à sa retraite
Le Dr Pascal Martin est médecin généraliste depuis plus de 37 ans à Vire, en Normandie. Fin décembre, deux de ses confrères ont décidé de partir. Au total depuis le 1er janvier 2023, quatre médecins ont quitté la commune de 16 000 habitants. Le Dr Martin estime à près de 6 000, le nombre de patients sans médecin traitant dans sa commune. "C’est une catastrophe", reconnaît-il. Le 1er octobre dernier, alors qu’il arrivait à la date fatidique lui permettant de prendre sa retraite, le généraliste, âgé de 67 ans, a décidé de ne pas raccrocher sa blouse. "Je ne peux pas partir", admet le médecin, qui s’est tourné vers un cumul emploi retraite.
Installé depuis le 1er mai 1986, le Dr Martin a toujours eu l’habitude d’avoir un rythme effréné. "Quand j’étais jeune, j’étais infernal, je commençais à 7h30 et je terminais à 1 heure du matin. Mais ça ne se fait plus maintenant. C’était l’époque où il n’y avait pas de rendez-vous, où les gens attendaient dehors le matin avant que je n’ouvre le cabinet. Je me réveillais et j’entendais déjà sur la place les gens qui étaient arrivés. Il y a des patients qui se souviennent même être venus chez moi à 23 heures, minuit ou même 1 heure du matin." Depuis quelques années, avec l’aide de deux associés et d’un remplaçant, il a ralenti la cadence... mais travaille encore en moyenne un peu plus de 80 heures par semaine.
"Je suis à plus de 3 500 patients médecin traitant"
S’il a accepté de continuer sa pratique, c’est avant tout parce que physiquement, il "peut" le faire. "Je ne me sens pas fatigué", affirme-t-il. Le généraliste confie aussi n’être pas encore "rassasié" par [son] travail. "Je conçois que certaines personnes puissent en avoir un peu marre, mais moi, je trouve toujours un intérêt pour la médecine. J’ai envie de continuer parce que j’aime ça." Et surtout, "je n’imagine pas la tête de mes patients si je pars : ils vont devenir quoi ?", s’interroge le médecin. "On a des patients qui attendent un créneau et qui dépendent de notre présence", indique-t-il, déplorant que certains collègues "partent avant l’âge de la retraite".
Le manque de médecins dans la région lui incombe une quantité de travail colossale. "Je suis à plus de 3 500 patients médecin traitant, presque 4 000", indique le généraliste, en précisant qu’il a également "de nombreux patients qui ne sont pas déclarés". "On n’a pas vu les choses venir et on se retrouve avec un nombre de patients énorme, qui ont réellement besoin d’un médecin." Le généraliste se retrouve tiraillé entre une "charge de travail énorme" et la volonté de ne pas "laisser les gens sur le bord de la route". "Certains viennent nous voir avec des pathologies parfois simples et nous disent : ‘Est-ce que vous pouvez me prendre ?’ Je n’imagine pas continuer ma journée en disant : ‘Non monsieur, vous vous débrouillez’. Ça me fend le cœur."
"J’essaye d’arrêter vers 21 heures"
Le médecin a fait quelques aménagements dans son planning depuis le 1er octobre 2023. Par exemple, "le samedi, je me libère un peu plus tôt que d’habitude, c'est-à-dire vers 14 heures ou 15 heures alors qu’avant, je pouvais aller jusqu’à 19 heures ou 20 heures". Il essaye également de rentrer plus tôt chez lui le soir en semaine, même s’il reconnaît que ce n’est pas toujours simple. "Hier, je suis rentré, il était 22h30", précise-t-il. "J’essaye d’arrêter vers 21 heures. Mais il y a toujours, comme hier soir, des cas complexes qui sont imprévus, ça nous retarde." En rentrant chez lui plus tôt, le médecin parvient à dormir environ une heure de plus par nuit : "J’en sens déjà le bénéfice". Ces petits allègements "peuvent sembler trois fois rien, mais pour moi ça parait beaucoup", reconnaît-il, modestement.
Sa famille a toujours eu l’habitude de le voir "peu, mais bien". "C’était comme ça à notre époque." Maintenant, le généraliste s’autorise davantage à sortir pour profiter de ses proches. "J’ai un collègue chirurgien qui a fêté son départ en retraite. C’était à 19h30, j’y suis quand même allé", se souvient-il. Le médecin s’est également rendu à la remise de diplôme de son fils à la faculté de Caen. "Je m'octroie des sorties que je ne faisais pas avant."
Un médecin multi-casquettes
Le Dr Martin est un médecin multi-casquettes. En plus d’être généraliste, il s’occupe de l’équipe de football de Vire. "Je suis souvent les joueurs le week-end", explique le généraliste. Il se rend aux matchs tous les samedis à 18 heures lorsque l’équipe joue à domicile et se déplace "jusqu’à 200 km" lorsque l’équipe joue à l’extérieur. Le Dr Martin est aussi conseiller municipal. Ces deux compétences de professionnel de santé et d'élu lui confèrent une certaine responsabilité. "Je vais essayer de faire bouger les choses pour que des jeunes ou moins jeunes collègues puissent venir nous rejoindre pour nous aider parce que je pense que c’est possible."
Aujourd’hui, il se bat notamment contre une inéquité territoriale sanitaire. "Un dentiste dans le sud de la France m’a dit que s’il téléphone le vendredi pour avoir un...
rendez-vous, le lundi, il l’a. Et s’il téléphone à un médecin à 8 heures, à 9 heures, il le reçoit", rapporte le généraliste. En tant qu’élu, il veut prendre les devants. "Il faut agir auprès des patients en étant présent, mais également en agitant le spectre politique en forçant les choses pour qu’on puisse trouver des solutions. On a bien un professeur dans toutes les écoles qui le nécessitent, on n’a pas la même chose pour les médecins. Il suffit d’un peu de courage politique pour trouver des médecins et c’est possible. Il faut de toute façon que les Français se soignent que ce soit dans le nord ou dans le sud de la France", estime-t-il. "Il y a des solutions notamment apportées par l’Académie de médecine, qui ne coûteraient rien et qui permettraient d’avoir des médecins dans tous les territoires", poursuit le généraliste de 67 ans.
"Il faut du courage politique"
Parmi ces solutions, il y a notamment le "service sanitaire" sur la "base du volontariat". "Il y a un moment donné où il faut du courage politique pour dire : ‘Pendant un an, vous irez dans les déserts médicaux et vous repartirez au bout d’un an si ça ne vous plaît pas. Mais vous donnerez un coup de main pour prendre en charge ses patients, qui du point de vue de la santé ne sont pas pris en charge de façon égalitaire’", peste le généraliste. "On ne peut pas penser qu’à soi quand on a pris l’engagement de devenir médecin. On ne tombe pas malade seulement les jours ouvrables. On peut quand même se serrer les coudes pour répondre présent au moment où un patient est malade."
S’il a pendant un temps imaginé le salariat pour les médecins, il a rapidement déchanté face à cette solution. "Je pensais que ça allait attirer les jeunes médecins qui ont horreur de la paperasse et de faire autre chose que de la médecine, mais j’ai écouté le Dr Jean-Paul Hamon [président honoraire de la Fédération des médecins de France, NDLR]. Il dit que le rendement est très faible, car le nombre de consultations à la journée est très bas. Quand on travaille 35 heures par semaine dans notre métier et qu’il y a beaucoup de temps pris par les formations, les vacances, il reste finalement peu de temps pour travailler."
Concernant le partage des tâches, également mis sur la table pour pallier le manque de médecins, le Dr Martin estime que c’est un "fiasco complet". L'Assurance maladie lui a proposé un assistant médical gratuitement pendant un an. "Déjà, ça voudrait dire changer de cabinet pour qu’il puisse s’occuper du patient suivant pendant que je m’occupe d’un autre", avance le médecin. Mais il estime surtout que "ça casse beaucoup de [son] travail". "Quand je vais chercher un patient dans la salle d’attente, je lui dis deux-trois mots dans le couloir, je prends le dossier tout en continuant de parler avec lui. En fait, j’ai déjà compris le sujet de sa visite, et enfin, on termine par l’examen. Si on nous enlève ces prémices de l’examen médical, ça nous enlève beaucoup de notre travail médical, et ça ne nous donne pas grand-chose en réalité. C'est vraiment une fausse route", admet-il.
Dans une telle "situation", le médecin confie ne pas savoir combien de temps, il arrivera à tenir. "Je ne pense pas travailler des années avec ce rythme-là, par contre, je continue tant que je suis capable intellectuellement et physiquement à rendre service, à travailler, mais avec une intensité moins grande, c’est évident", indique le généraliste, sans pour autant avancer une date ou un nombre d’années.
La sélection de la rédaction
Approuvez-vous la décision de rendre obligatoire une prescription pour les médicaments anti-rhume à base de pseudoéphédrine ?