Déléguer, travailler plus… mais encore ? Comment les généralistes se débrouillent pour faire face à la demande de soins
Le constat est sans appel, mais pas vraiment surprenant. 78% des généralistes libéraux jugent l’offre de médecine générale insuffisante dans leur zone d’exercice, d’après une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) menée entre janvier et avril 2022 – à laquelle plus de 1550 MG ont répondu*, et dont les résultats viennent de paraître ce jeudi. Ils étaient 67% trois ans plus tôt, en 2019. "Cette évolution est principalement liée à l’augmentation marquée de la part des médecins jugeant l’offre très insuffisante : elle est passée de 22% en 2019 à 34% en 2022", précise l’organisme de statistiques.
L’étude de la Drees confirme par ailleurs le lien entre l’indice d’APL, qui mesure l’accessibilité au médecin généraliste en tenant compte de l’offre et de la demande de soins locales, et le ressenti des praticiens eux-mêmes sur la situation. Ainsi, 50% des MG exerçant dans les territoires les moins bien dotés en généralistes d’après l’APL trouvent l’offre de soins très insuffisante, contre seulement 20% de leurs confrères qui travaillent dans les zones les plus dotées. Or la démographie médicale ne devrait pas reprendre des couleurs de sitôt : les projections de la Drees font état d’une baisse de la densité de généralistes jusqu’à la fin des années 2020.
Si la situation est, dans certains territoires, déjà plus que critique – au grand dam des élus locaux qui toquent à toutes les portes pour trouver de nouveaux praticiens –, près de trois médecins sur quatre s’attendent à ce que l’offre de soins dans leur zone régresse encore. "La part de médecins anticipant une forte baisse s’est accrue de 2019 à 2022, passant de 43% à 49%", complète la Drees. Là encore, les praticiens exerçant dans les "déserts" – un terme critiqué par les représentants médicaux – sont, sans grande surprise, plus nombreux à anticiper une dégradation de l’offre.
Conséquence d’une baisse de l’attractivité des métiers de la santé, la quasi-totalité des généralistes (87%) rencontrent des difficultés à orienter leurs patients vers des confrères d’autres spécialités, contre 77% en 2019, compliquant encore davantage leur quotidien et – bien sûr – celui des malades. "Le constat est similaire pour les professions paramédicales, malgré une hausse de leurs effectifs et une meilleure accessibilité géographique", ajoute la Drees. 62% des généralistes ont rencontré des difficultés en 2022 pour orienter leurs patients vers ces professionnels, contre 39% trois ans auparavant… Dans les zones ayant la plus faible accessibilité aux infirmières libérales, les difficultés sont encore plus marquées puisque 71% des MG déclarent avoir éprouvé des difficultés pour orienter leurs patients vers des paramédicaux, contre 57% dans les zones les plus dotées en ces professionnelles. L’orientation vers des services d’aide à domicile ou d’aide à la personne est elle aussi problématique pour près d’un MG sur deux.
Par ailleurs, l’épidémie de Covid semble avoir été un tournant pour les généralistes de l’hexagone – qui ont été en première ligne pour prendre en charge les personnes infectées par le Sars-CoV-2. Pour six médecins sur 10 (62%), répondre aux sollicitations des patients était plus difficile en 2022 qu’avant la crise sanitaire. Un ressenti d’autant plus répandu chez les jeunes praticiens (71% pour les moins de 50 ans, 65% pour les 50-59 ans, et 54% chez les 60 ans ou plus).
Refus de nouveaux patients
Pour répondre aux besoins de santé qui augmentent – du fait du vieillissement de la population et de la chronicisation des maladies – les généralistes ont mis au point certaines mesures d’adaptation de leur organisation, voire de leurs pratiques. Une façon de panser les défaillances d’un système de santé dont ils déplorent le naufrage. La Drees a étudié huit stratégies d’adaptation (voir graphique ci-dessous), et note que 98% des MG en ont adopté au moins une. La première est d’allonger leurs journées de travail au-delà de ce qu’ils souhaiteraient. Ils sont 72% à l’avoir fait en 2022, un taux sensiblement identique à celui issu de l’enquête de 2019 (71%). Certains (57%) optent pour une augmentation de leurs délais de rendez-vous (54% en 2019).
En outre, 65% des répondants ont déclaré avoir refusé de nouveaux patients en tant que médecin traitant – un taux en net hausse par rapport à 2019 (53%). Il s’agit de la plus grosse évolution par rapport à l’enquête de 2019. "La prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques a aussi un peu évolué", ajoute la Drees. En 2022, 44% des médecins ont indiqué avoir vu moins fréquemment leurs patients chroniques (contre 40% en 2019). En revanche, ils sont un peu moins nombreux à refuser des patients "occasionnels", c’est-à-dire dont ils ne sont pas le médecin traitant, qu’il y a trois ans (40% en 2022 contre 45% en 2019).
Enfin, 50% des généralistes disent rogner sur leur temps de formation (47% en 2019), 27% raccourcissent le temps de consultation par patient (28% en 2019) et 23% délèguent certaines tâches qu’ils assuraient avant – un taux qui reste inchangé par rapport à la précédente enquête de 2019.
Il existe par ailleurs d’autres modalités d’adaptation, comme le recours à des médecins remplaçants, mais elles n’ont pas été étudiées par la Drees dans le cadre de cette enquête.
Les plus jeunes s’adaptent davantage
La Drees s’est intéressée au profil des médecins généralistes qui adaptent le plus leur pratique à l’offre locale. Elle montre que les médecins de moins de 50 ans ont davantage tendance à s’adapter (4,4 mesures d’adaptation mises en œuvre en moyenne) que leurs confrères plus âgés (3,8 chez les 50-59 ans et 3,4 chez les 60 ans ou plus). C’est également..
le cas des praticiens ayant un nombre de consultations et de visites – c’est-à-dire un volume d’activité – plus élevé (4,1 mesures, contre 3,8 pour ceux ayant un volume d’activité modéré et 3,4 pour les autres). Sans surprise, les médecins des zones sous dotées en généralistes adaptent plus leur pratique que ceux qui exercent dans les territoires les plus dotés, à l’instar de ceux qui sont dans des groupes pluriprofessionnels ou monoprofessionnels par rapport à ceux qui exercent en solo.
"En outre, les médecins qui adaptent le plus leurs pratiques sont également ceux qui estiment avoir le plus de difficultés liées à la démographie médicale dans leur territoire d’exercice", ajoute la Drees.
À partir de ces données, l’organisme de statistiques a dégagé trois profils de généralistes selon leurs stratégies mises en place pour s’adapter à la demande de soins et à la démographie locale. "Les deux premiers profils, qui rassemblent plus de la moitié des médecins généralistes, s’adaptent par de nombreuses façons à l’offre de soins de leur territoire." Le premier profil – qui regroupe 20% des médecins – se démarque par le fait qu’il s’adapte de diverses manières, et notamment en déléguant des tâches à d’autres professionnels, qu’il s’agisse d’assistants médicaux (voir encadré) ou de paramédicaux. Les praticiens du deuxième groupe (35%) varient eux aussi les modalités d’adaptation mais sans déléguer. Enfin, le troisième profil (45%) rassemble ceux qui ne mettent pas ou peu de mesures d’adaptation en place.
La Drees constate que les deux premiers profils de médecins comportent davantage de jeunes que le troisième (profil 1 : 38% de médecins de moins de 50 ans ; profil 2 : 34% ; profil 3 : 20% de médecins de moins de 50 ans). 90% des médecins qui mettent en place de nombreuses mesures d’adaptation et délèguent exercent dans les zones les moins dotées en généralistes, et font des journées plus longues que ce qu’ils souhaiteraient, contre 48% pour ceux appartenant au profil 3 c’est-à-dire mettant en place seulement 2 stratégies sur les 8 étudiées (contre 5,7 pour le profil).
Les praticiens qui ont résolument modifié leur organisation et leurs pratiques exercent par ailleurs plus souvent en groupe (81% contre 71% de ceux du profil 2 et 63% du profil 3) et font davantage d’exercice coordonné (43% font partie d’une CPTS contre 25% pour le groupe 3, 32% sont membres d’une MSP contre 12% pour les médecins du profil 3, etc.). "L’exercice dans ces structures ou ces collectifs semble faciliter l’adaptation de la pratique à la situation démographique, notamment en permettant la délégation d’une partie des tâches", analyse la Drees.
Ceux qui ne délèguent pas mais mettent en place des stratagèmes (profil 2) optent la plupart pour le refus de nouveaux patients en tant que médecin traitant, ou de patients occasionnels. Ce sont par ailleurs plus souvent des femmes (46% contre 38% pour le profil 1 et 37% pour le profil 3). La Drees ajoute que ces médecins sont plus nombreux à ressentir l’impact de la baisse de la démographie médicale sur leur pratique. 78% jugent que répondre aux sollicitations de leurs patients est plus difficile qu’avant le début de la crise sanitaire (contre 64% des médecins du profil 1 et 50% du profil 3).
*Cette étude s’appuie sur les données issues de la dernière vague d’enquête du quatrième Panel d’observation des pratiques et des conditions d’exercice en médecine générale, menée par internet et par téléphone entre le 5 janvier et le 22 avril 2022. Plus de 1 550 médecins ont été interrogés pour cette sixième vague d’enquête.
Une autre étude de la Drees, s’appuyant également sur les données issues de la dernière vague d’enquête du quatrième Panel d’observation, montre que si la plupart des médecins connaissent le dispositif d’assistant médical (91%), mis en place en 2018 dans le cadre du plan Ma Santé 2022, seuls 5% déclarent y recourir début 2022. Les hommes sont plus nombreux dans ce cas (6%, contre 3% de leurs consœurs), tout comme ceux exerçant en maison de santé pluriprofessionnelle (12%) ou appartenant à une CPTS (12%). En revanche, 5% de généralistes n’ont pas d’assistant médical mais déclarent travailler avec un autre professionnel de santé non médecin qui les assiste, une infirmière par exemple, ajoute la Drees. Parmi ceux qui ne travaillent pas avec un assistant, seul 1 généraliste sur 10 (11%) souhaiterait y recourir (59% ne le souhaitent pas et 30% ne s’expriment pas sur la question). Les opinions sur ce dispositif sont "mitigées", observe la Drees, car moins de la moitié des médecins (41 %) estiment que les assistantes médicales constituent une solution pour mieux répondre aux sollicitations des patients. 47% expriment un avis contraire, et 12% n’émettent pas d’avis. L’étude montre que les praticiens dans une MSP apparaissent plus convaincus (53%) que ceux exerçant seuls.
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